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Avoir toute sa vie une bête avec soi


"[...] il est assez ennuyeux, je crois,
D'avoir toute sa vie une bête avec soi."
L'Ecole des femmes, I, 1 (v. 109-110)

Dans La Précaution inutile (1655) de Scarron, Dom Rodrigue explique lui aussi à Dom Pèdre qu'il est ennuyeux de passer sa vie avec une femme idiote (1). C'est également ce dont Don Juan tente de persuader Don Fadrique dans La Précaution inutile de d'Ouville (1656) (2).

Le sujet est à la mode dans les milieux mondains. Dans l'Almahide (1660) des Scudéry, une discussion s'engage ainsi pour savoir « lequel souffre le plus, ou d’un amant qui a de l’esprit, auprès d’une dame stupide ; ou de la dame stupide, auprès d’un amant qui a de l’esprit » (3).

Arnolphe, en revanche, défend le parti inverse ("épouser une sotte est pour n'être point sot"). Cette question est liée à celle de savoir si une femme sotte peut même "savoir ce que c'est d'être honnête".


(1)

Dans La Précaution inutile (1655) de Scarron, Dom Rodrigue fait la réponse suivante à Dom Pèdre, qui se méfie si radicalement des femmes spirituelles qu'il cherche à épouser la femme la plus sotte du monde :

Je n'ai jamais vu d'homme raisonnable qui ne s'ennuie cruellement, s'il est seulement un quart d'heure avec une idiote. Il ne serait pas raisonnable que tandis que nos yeux, nos mains, et enfin tout notre corps trouvent à se divertir, que notre âme seule, qui est la meilleure partie de nous-mêmes, eût à supporter une conversation pesante, comme l'est celle de toutes les personnes qui n'ont point d'esprit.
(La Précaution inutile de Scarron (extrait), p. 60)

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(2)

Je ne crois pas lui répondit D. Juan, que vous parliez à bon escient, ni que vous voulussiez faire ce que vous dites, il n’est pas croyable qu’un homme d’esprit puisse avoir jamais d’amour pour une ignorante, non pas seulement pour s’y affectionner tout de bon, mais pour souffrir seulement un quart d’heure son entretien. Il est très certain, que l’esprit est la viande de l’âme, pendant que les yeux s’arrêtent à considérer les beautés du corps, et tout ce qu’il voit en lui digne d’être aimé en sa maîtresse, il n’est pas juste que l’âme demeure oisive ni qu’une créature si pure et si raisonnable se repaisse de viande grossière, et s’entretienne de sottises et de choses ennuyeuses.
(La Précaution inutile de d'Ouville, p. 58)

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(3)

Dans le roman des Scudéry Almahide, une discussion lancée par Cidan porte sur la question : « lequel souffre le plus, ou d’un amant qui a de l’esprit, auprès d’une dame stupide ; ou de la dame stupide, auprès d’un amant qui a de l’esprit » ? La réponse d’Abindarrays est la suivante :

Je vous dirai donc que je trouve que c’est l’amant qui a le destin dont vous parlez qui est le plus malheureux : et cela, parce qu’il est si dur de dire des choses qui ne soient point entendues, quand il importe qu’elles le soient, que je ne sache rien de plus difficile à souffrir. En effet, peut-il y avoir quelque chose de plus fâcheux que de prendre mille soins que l’on ne remarque pas ? que de dire mille choses obligeantes et spirituelles que l’on ne daigne pas seulement écouter ? […] Au reste, le plus grand esprit du monde et plus aisé à gouverner que le petit esprit d’une stupide : car comme elle ne voit les choses que confusément, elle ne sait jamais aussi bien précisément si elle a lieu d’être contente ou de se plaindre ; de récompenser ou de punir […] et le malheureux amant qui souffre ces disparates et ces inégalités est tout à fait infortuné. D’ailleurs quand une maîtresse qui a de l’esprit a pris par malheur quelque fausse impression de son amant, il la désabuse […] Mais il n’en va pas ainsi quand il aime une personne peu éclairée : car la même stupidité qui la fait fâcher sans sujet, la rend opiniâtre et aheurtée […]. Or le malheur n’est pas égal lorsque l’Amant est stupide, et que la dame ne l’est pas. […] la moindre faveur qu’il reçoit le satisfait pleinement : et n’étant ni trop ambitieux, ni trop clair-voyant, la dame fait ce qu’elle veut : et sans le rendre ni trop heureux, ni trop jaloux, elle coule une vie tranquille, et lui en fait couler une de même.
(p. 1362-1366)

Cidan défend, en revanche, le parti opposé :

Car enfin est-il rien d’insupportable pour une dame qui ne se pique pas d’être savante comme la conversation d’un savant ?
(p. 1367)




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