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Cérémonie turque


"La cérémonie turque pour ennoblir le le bourgeois se fait en danse et en musique"
Le Bourgeois gentilhomme, IV, 5

La cérémonie turque connaît un précédent dans A Christian Turned Turk de Robert Daborne, une tragédie élisabethaine publiée en 1612 (1).

Son déroulement correspond, dans certains de ses détails, aux cérémonies décrites dans l'Histoire générale du sérail et de la cour du Grand Seigneur empereur des Turcs (1624) de Michel Baudier (2)

Des cérémonies accompagnées de musique avaient déjà été jouées par la troupe de Molière à l'occasion de la Pastorale comique ("une cérémonie magique de chantres et danseurs"), Monsieur de Pourceaugnac ("dansent à l'entour") ou Le Sicilien ("mi servir a ti").

Le traité anonyme paru en 1667 et intitulé Les Conformités des cérémonies modernes avec les anciennes, où il est prouvé par des autorités incontestables que les cérémonies de l'Eglise romaine sont empruntées des païens assimilait les cérémonies religieuses chrétiennes aux pratiques en vigueur dans les autres religions.


(1)

Sur fond d'aventures liées à la Course en méditerranée, A Christian Turned Turk de Robert Daborne (1612) peint l'histoire d'un capitaine pirate nommé Ward qui, après quelque trafic d'esclaves et autre coup d'éclat dans Tunis, se voit proposer par le Gouverneur de la place (lui-même un chrétien renégat) d'offrir ses services de manière pérenne à la Barbarie. Bien que motivé par l'appât du gain, l'homme hésite devant l'impérieuse nécessité qui lui est martelée de se convertir pour obtenir une telle charge. Pour arriver à leurs fins, le Gouverneur et son Capitaine des Janissaires jouent alors sur l'amour que le flibustier éprouve pour Voada, belle-sœur d'un important marchand juif (également converti au mahométanisme). Motivé par la perspective d'épouser Voada, Ward accepte finalement la conversion. S'ensuit une cérémonie décrite en ces termes :

Enter two bearing half-moons, one with a Mahomet's head following. After them, the Mufti, or chief priest, two meaner priests bearing his train. The Mufti seated, a confused noise of music, with a show. Enter two Turks, one bearing a turban with a half-moon in it, the other a robe, a sword : a third with a globe in one hand, an arrow in the other. Two knights follow. After them, Ward on an ass, in his Christian habit, bare-headed. The two knights, with low reverence, ascend, whisper the Mufti in the ear, draw their swords, and pull him off the ass. He [is] laid on his belly, the tables (by two inferior priests) offered him, he lifts his hand up, subscribes, is brought to his seat by the Mufti, who puts on his turban and robe, girds his sword, then swears him on the Mahomet's head, ungirts his sword, offers him a cup of wine by the hand of a Christian. He spurns at him and throws away the cup, is mounted on the ass, who is richly clad, and with a shout, they exit.
A Christian Turned Turk, or The Tragical Lives and Deaths of the Two Famous Pirates, Ward and Dansiker, Robert Daborne, London, William Barrenger, 1612, (dans Three Turk Plays From Early Modern England, Daniel Vitkus edition, 2000, Columbia University Press, New York, p. 198)

(2)

Un des vingt prédicateurs de sa cour monte en chaire et par un bref discours lui fait entendre à la Turque la grandeur de la charge à laquelle Dieu l'a appelé, l'exhorte au soin de son Etat, et bien plus à la manutention et accroissement de la Loi de Mahomet. Le Sermon fini le même Prédicateur lui donne par sept fois la bénédiction, et à chaque fois le peuple répond, Amen. Au même lieu le Mufti ou grand Pontife de la Loi qui est présent, lui fait prêter le serment sur l'Alcoran ; lui ceint l'épée que portait jadis Ottoman, et le bénissant lui dit ces paroles Dieu te donne la bonté d'Ottoman : tant ils honorent encores les vertus de ce Prince, qui régnait il y a trois cent vingt-deux ans, qu'ils les souhaitent à ses successeurs. J'ai ouï dire à un Prince de la Maison des Empereurs Turcs, que les doctes en leur Histoire tiennent qu'Ottoman allant par la ville de Preuse ; pour lors capitale de son Empire, disait tout haut au peuple, que quiconque avait faim, ou soif, ou était nu, qu'il s'en vint en sa Maison, dans laquelle y avait de quoi nourrir et vêtir les pauvres. Après le Mufti le peuple le bénit aussi à haute voix : Ainsi chargé de toutes ces bénédictions, il remonte à cheval, et les rapporte dans son Sérail, où il s'occupe à faire étrangler ses frères en sa présence, qu'il a fait venir des lieux où ils étaient : Car il est écrit dans leur Coutumier, Un Dieu au Ciel, un Empereur en Terre.
(éd. de 1659, p. 39-40)

Le Mufti, qui est le souverain Pontife de la Loi des Turcs, en ouvrit le commencement ; il parut le premier dans la place majestueusement assis dans un Tabernacle porté sur le dos d'un chameau : Il avait en ses mains un livre qu'il feuilletaient sans cesse : Autour de lui étaient à pied un grand nombre de Prêtres, et de Religieux Mahométans qui tenaient aussi des livres. Mais leurs fantasques habillements montraient clairement les bizarreries de leur brutaux esprits : Les uns avaient la tête couverte d'un capuchon, les autres de mitres, quelques-uns de couronnes : Plusieurs peaux de bêtes leurs servaient de robe. Ils ne furent pas plutôt arrivés à la place, qu'ils commencèrent à témoigner leur modestie religieuse, en sifflant, hurlant, frappant des poëles et des bassins, faisant sonner des clochettes qu'ils portaient en main, qu'on eût dit que ces témoignages de leur dévotion zélée, étaient un insolent charivari, au son duquel ils sautaient et gambadaient sans cesse. En cette contenance ils firent trois tours par la place, après lesquels il s'arrêtèrent devant la fenêtre du Grand Seigneur, qui regardait leur sottises au travers une jalousie : Là ils firent leurs prières, pendant lesquelles quelques Religieux de la troupe tirèrent leur grand couteaux, et se découpèrent la chair en plusieurs endroits de leurs corps pour l'amour du Prophète, et de leur Sultan. Le Mufti descendit de son Tabernacle, entra dans le Palais, et fit ses présents qui consistaient en quelques livres de la Loi. Après cela il se retira avec la brutale compagnie de ce monstrueux Clergé.
(p. 110-111)




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