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Douze tables des lois d'Amour


Les douze tables des lois d'Amour, que sur peine d'encourir sa disgrâce, il commande à tout Amant d'observer.

Première Table

Qui veut être parfait Amant
Il faut qu'il aime infiniment :
L'extrême Amour seule en est digne,
Aussi la médiocrité,
De trahison est plutôt signe,
Que non pas de fidélité.

Deuxième Table

Qu'il n'aime jamais qu'en un lieu,
Et que cet Amour soit un Dieu,
Qu'il adore pour toute chose :
Et n'ayant jamais qu'un objet,
Tous les bonheurs qu'il se propose
Soient pour cet unique sujet.

Troisième Table

Bornant en lui tous ses plaisirs,
Qu'il arrête tous ses désirs,
Au service de cette belle :
Voire qu'il cesse de s'aimer,
Sinon que d'autant qu'aimé d'elle,
Il se doit pour elle estimer.

Quatrième Table

Que s'il a le soin d'être mieux,
Ce ne soit que pour les beaux yeux,
Dont son Amour a pris naissance :
S'il souhaite plus de bonheur,
Ce ne soit que pour l'espérance,
Qu'elle en recevra plus d'honneur.

Cinquième Table

Telle soit son affection,
Que même la possession,
De ce qu'il désire en son âme,
S'il doit l'acheter au mépris
De son honneur ou de sa Dame,
Lui soit moins chère que ce prix.

Sixième Table

Pour sujet qui se vienne offrir,
Qu'il ne puisse jamais souffrir
La honte de la chose aimée :
Et si devant lui par dédain,
D'un médisant elle est blâmée,
Qu'il meure ou la venge soudain.

Septième Table

Que son Amour fasse en effet,
Qu'il juge en elle tout parfait,
Et quoique sans doute il l'estime,
Au prix de ce qu'il aimera,
Qu'il condamne comme d'un crime
Celui qui moins l'estimera.

Huitième Table

Qu'éprit d'un Amour violent,
Il aille sans cesse brûlant,
Et qu'il languisse, et qu'il soupire,
Entre la vie et le trépas,
Sans toutefois qu'il puisse dire
Ce qu'il veut, ou qu'il ne veut pas.

Neuvième Table

Méprisant son propre séjour,
Son âme aille vivre d'Amour
Au sein de celle qu'il adore,
Et qu'en elle ainsi transformé,
Tout ce qu'elle aime et qu'elle honore
Soit aussi de lui bien aimé.

Dixième Table

Qu'il tienne les jours pour perdus
Qui loin d'elle sont dépendus,
Toute peine soit embrassée,
Pour être en ce lieu désiré,
Et qu'il y soit de la pensée,
Si le corps en est séparé.

Onzième Table

Que la perte de la raison,
Que les liens et la prison,
Pour elle en son âme il chérisse,
Et se plaise à s'y renfermer,
Sans attendre de son service,
Que le seul honneur de l'aimer.

Douzième Table

Qu'il ne puisse jamais penser,
Que son Amour doive passer :
Qui d'autre sorte le conseille,
Soit pour ennemi réputé,
Car c'est de lui prêter l'oreille,
Crime de lèse Majesté.

(L'Astrée, II, 5)




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