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La Fontaine, Lettre à Maucroix
De même que la Relation des magnificences faites par M. Fouquet à Vaux-le-Vicomte, ce texte, qui propose une relation de la fête de Vaux, au sein de laquelle ont été créés Les Fâcheux, est resté à l'état de manuscrit au XVIIe siècle.
Si tu n’as pas reçu réponse à la Lettre que tu m’as écrite, ce n’est pas ma faute, je t’en dirai une autre fois la raison, et je ne t’entretiendrai pour ce coup-ci que de ce qui regarde M. le Surintendant : non que je m’engage à t’envoyer des Relations de tout ce qui lui arrivera de remarquable ; l’entreprise serait trop grande, et en ce cas-là je le supplierais très humblement de se donner quelquefois la peine de faire des choses qui ne méritassent pas qu’on en parlât, afin que j’eusse le loisir de me reposer. Mais je crois qu’il y serait aussi empêché que je le suis à présent. On dirait que la Renommée n’est faite que pour lui seul, tant il lui donne d’affaires tout à la fois. Bien en prend à cette Déesse de ce qu’elle est née avec cent bouches, encore n’en a-t-elle pas la moitié de ce qu’il faudrait pour célébrer dignement un si grand Héros, et je crois que quand elle en aurait mille, il trouverait de quoi les occuper toutes. Je ne te conterai donc que ce qui s’est passé à Vaux le 17 de ce mois : le Roi, la Reine Mère, Monsieur, Madame, quantité de Princes et de Seigneurs s’y trouvèrent : il y eut un souper magnifique, une excellente Comédie, un Ballet fort divertissant, et un feu qui ne devait rien à celui qu’on fit pour l’Entrée.
On commença par la promenade. Toute la Cour regarda les eaux avec grand plaisir. Jamais Vaux ne sera plus beau qu’il le sera cette soirée-là, si la présence de la Reine ne lui donne encore un lustre qui véritablement lui manquait. Elle était demeurée à Fontainebleau pour une affaire fort importante, tu vois bien que j’entends parler de sa grossesse. Cela fit qu’on se consola ; et enfin on ne pensa plus qu’à se réjouir. Il y eut grande contestation entre la Cascade, la Gerbe d’eau, la Fontaine de la Couronne, et les Animaux, à qui plairait d’avantage ; les Dames n’en firent pas moins de leur part.
Je remarquai une chose à quoi peut-être on ne prit pas garde, c’est que les Nymphes de Vaux eurent toujours les yeux sur le Roi : sa bonne mine les ravit toutes, s’il est permis d’user de ce mot en parlant d’un si grand Prince. Ensuite de la promenade on alla souper. La délicatesse et la rareté des mets furent grandes ; mais la grâce avec laquelle Monsieur et Madame la Surintendante firent les honneurs de leur maison le fut encore d’avantage. Le souper finit, la Comédie eut son tour : on avait dressé le Théâtre au bas de l’allée des sapins.
Les Décorations furent magnifiques, et cela ne se passa pas sans Musique.
Dans ce Prologue, la Béjart qui représente la Nymphe de la fontaine où se passe cette action, commande aux Divinités qui lui sont soumises, de sortir des marbres qui les enferment, et de contribuer de tout leur pouvoir au divertissement de Sa Majesté : aussitôt les Thermes et les Statues qui font partie de l’ornement du Théâtre, se meuvent, et il en sort je ne sais comment, des Faunes et des Bacchantes qui font l’une des entrées du Ballet. C’est une fort plaisante chose que de voir accoucher un Therme, et danser l’enfant en venant au monde. Tout cela fait place à la Comédie, dont le sujet est un homme arrêté par toute sorte de gens sur le point d’aller à une assignation amoureuse.
On avait accommodé le Ballet à la Comédie autant qu’il était possible, et tous les danseurs y représentaient des fâcheux de plusieurs manières : en quoi certes ils ne parurent nullement fâcheux à notre égard ; au contraire on les trouva fort divertissants, et ils se retirèrent trop tôt au gré de la compagnie. Dès que ce plaisir fut cessé, on courut à celui du feu.
Au bruit de ce feu succéda celui des tambours ; car le Roi voulant s’en retourner à Fontainebleau cette même nuit, les Mousquetaires étaient commandés. On retourna donc au Château, où la collation était préparée. Pendant le chemin, tandis qu’on s’entretenait de ces choses, et lorsqu’on ne s’attendait plus à rien, on vit en un moment le Ciel obscurci d’une épouvantable nuée de fusées et de serpenteaux : faut-il dire obscurci ou éclairé ? Cela partait de la lanterne du Dôme. Ce fut en cet endroit que la nuée creva d’abord ; on crut que tous les astres grands et petits étaient descendus en terre, afin de rendre hommage à Madame ; mais l’orage étant cessé, on les vit tous en leur place : la catastrophe de ce fracas fut la perte de deux chevaux.
Ils étaient attelés à l’un des carrosses de la Reine, et s’étant cabrés à cause du feu et du bruit, il fut impossible de les retenir. Je ne croyais pas que cette relation dût avoir une fin si tragique et si pitoyable. Adieu. Charge ta mémoire de toutes les belles choses que tu verras au lieu où tu es.
(Texte saisi par David Chataignier à partir de l'exemplaire YE-8320, tome III, de l’édition citée ci-dessus).