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La vie théâtrale et musicale selon Loret en 1660


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre I, du samedi 3 janvier 1660, « Principale ».

-Malgré le froid, il semblerait que Loret ait vu son coeur réchauffé par la Stratonice de Quinault. C'est la Troupe royale qui, au coeur d'un certain succès, s'est acquittée de la représentation :

Hier, ceux de la Royale Troupe,
Dont le Théâtre a vent en poupe,
Représentèrent, comme il faut,
La Stratonice de Quinault,
Fraîche et nouvelle Comédie,
Qui fut, dit-on, fort applaudie
Par un Grand nombre de ces Gens
Que l’on appelle intelligents.
Ce Quinault est un jeune illustre,
Qui sait donner un si beau lustre,
Et tant d’agréables clartés
Aux grands Sujets par lui traités,
Que le renom de son génie
Attira grande Compagnie ;
Plusieurs quittèrent le tison
Durant cette rude saison
Où la froidure est sans pareille :
Mais on veut voir cette Merveille.

-Loret oeuvre ensuite pour les étrennes de la cour :

POUR LE ROI
Madrigal

Petit Fils de Henri le Grand,
Héritier de Louis le Juste,
Jeune et glorieux Conquérant,
Qui ferez refleurir le beau Siècle d'Auguste,
En ce temps où Phébus recommence son tour,
Les uns avec respect, les autres par amour,
S'obligent, à l'envi, d'Etrennes mutulelels :
Mais, ô Roi, dont le nom vole par l'Univers,
Puisque tous autres Dons sont, pour Vous, bagatelles,
Vous nous donnez la Paix, je vous donne ces Vers.

POUR LA REINE

Illustre, aimable et sage Majesté,
Qui, pour mes Vers, avez de la bonté,
Et dont les mains, les plus belles qu'on voie,
Les ont, toujours, reçus avecque joie,
Souffrez, de grâce, en cet An renaissant,
Que par l'instinct d'un Coeur reconnaissant,
De vos vertus, conservant la mémoire,
D'un peu de Vers, j'étrenne votre Gloire,
Et que je die, ainsi que je le dois,
Vive, à jamais, la Mère de mon Roi.

Lettre V, du samedi 31 janvier 1660, « Bourrue ».

-Quelques jours plus tard, c'est un Loret encore plus enthousiaste que l'on retrouve à l'issue de la représentation du Stilicon de Thomas Corneille :

Stilicon, Histoire Romaine,
Ayant paru, cette semaine,
Admirablement, sur ma foi,
Aux Grands Comédiens du Roi,
Ouvrage du jeune Corneille,
Me fit, Mardi, crier merveille ;
Ce ne fut pas moi, seulement,
Qui montrai du contentement ;
Car cette Pièce dramatique
À l’approbation publique,
Et, surtout, des plus raffinés
Qui se piquent d’avoir bon nez.
On voit dans l’intrigue et sa suite,
Une incontestable conduite ;
Et, le tout, si bien démêlé,
Que j’en fus très émerveillé.
Outre la beauté du spectacle,
Chaque Vers, presque, est un miracle :
Enfin, Corneille, le Cadet,
A si bien poussé son bidet,
Sur ce sujet extr’ordinaire,
Qu’on dirait que Monsieur son Frère,
En Vers, n’a jamais mieux paru ;
Toi qui la vis, l’eusses-tu cru ?

-L'air du Carnaval semble déjà flotter : Loret mentionne spectacles et déguisements. Ainsi :

Dans la semaine précédente
Encor que la Cour soit absente,
Les Masques ont si bien trotté,
Qu’un seul soir on en a compté
Chez Monsieur Janin de Castille,
(Assez bonne et grosse Famille)
Les uns vêtus en Africains,
Les autres en Américains,
En Polonais, en Moscovites,
En Tartares, en Troglodites,
En Indiens, en Iroquois,
Avec leurs arcs et leurs carquois,
En Bohèmes, Ottomans, (et) Perses,
Soixante-et-six Bandes diverses,
Qui trois nuits durant ont couru ;
En bonne foi, l’eusses-tu cru ?

Lettre VI, du samedi 7 février 1660, « Admirable ».

-Loret se fait l'écho de la représentation d’une tragédie de collège : une sainte histoire de saint martyr, semble-t-il. Mais voilà que pour des apprentis, ceux-ci ont contenté notre gazetier au plus haut point, qui les cite nommément et les compare aux plus illustres :

Hier, qu’il était Vendredi,
Quelqu’un m’apprit que Mercredi,
Des Jouvenceaux, tous Gens de Classe,
Au Collège de saint Ignace,
Id est, Collège de Clermont,
Où maint Prud’homme fut semon,
Une Histoire représentèrent,
Que les Spectateurs écoutèrent
Avec beaucoup d’attention,
Et, même, d’admiration.

La Pièce, puisqu’il faut le dire,
Était un Tableau du Martyre
De saint Marc et saint Marcellin,
Qu’un Tyran injuste et malin,
Pour les contraindre en leur croyance,
Fit expirer dans la souffrance.

Les Acteurs de cette Action,
Tous Enfants de condition,
Jouant fort bien leurs personnages,
Furent applaudis des plus sages ;
Et voici (j’en jure les Dieux)
Les noms de ceux qui firent mieux.
Florensac, qui tient sa naissance
Du Premier Duc et Pair de France ; [Mr d’Uzez.]
Le Fils de Monsieur de Bezons [Intendant]
Qu’on admira, pour cent raisons; [en Catalogne.]
Vaillac, pour sa belle prestance,
Plut fort à toute l’Assistance ;
Coulom, revêtu d’habits d’or,
Imitait, quasi, Floridor,
Et, comme Acteur à Diadème,
Trancha fort du Grand, du Suprême ;
Aucun n’eût pu voir sans amour,
Ni le Coigneux, ni Doradour,
Surtout, Coigneux, qui fit Sabine,
Tantôt douce, et tantôt mutine ;
Et, bref, Taleran et Paget,
Firent fort bien sur leur sujet.

Des Ballets dansés à la mode,
Et d’une agréable méthode,
Accompagnèrent plaisamment
Ce rare divertissement.

Conclusion, la Tragédie
Était belle, noble et hardie,
Et Père Darot son Auteur,
Encore qu’assez jeune Docteur,
Fut estimé pour sa science,
Par les Esprits de conséquence,
Et, même, des plus beaux du temps,
Qui sortirent tous fort contents.

Lettre VIII, du samedi 21 février 1660, « Attrayante ».

-Loret a évoqué dans la précédente missive (du 14 février), la paix ratifiée par le roi avec l'Espagne et le mariage dudit souverain, qui a ordonné la préparation de festivités d’importance en cet honneur. Aujourd'hui, il rend compte de ces festivités :

Mollier, Esprit de bon aloi,
Illustre Musicien du Roi,
Par une agréable boutade,
Fit un Ballet, ou Mascarade
De Bergères et de Bergers, [Mesdemoiselles Mollier et Giraud[t]]
Qui ne craignant plus les dangers [mères et filles.]
De la Guerre, qui tout saccage,
Dansaient des Danses de Village ;
Mais avec tant d’agilité, [Les Sieurs Cabout,Mollier,]
De grâce et de dextérité, [Des Airs, De Lalun, Dolivet et Renel.]
Que les meilleurs Danseurs des villes
N’auraient pas été plus habiles.
Et pour mieux prouver au Lecteur
Que je n’écris point en menteur,
Sans qu’aucun m’en ait donné charge,
J’ai mis, exprès, leurs noms en marge.

Floridor, et ses Compagnons, [La Troupe Royale.]
Sans être incités, ni semons,
Que pour la véritable joie
Que dans les cœurs la Paix envoie,
Pour réjouir Grands et petits,
Jeudi, récitèrent, gratis,
Une de leurs Pièces nouvelles, [Stilicon, du jeune Mr de Corneille.]
Des plus graves et des plus belles,
Qu’ils firent suivre d’un Ballet,
Gai, divertissant et follet,
Contribuant, de bonne grâce,
Aux plaisirs de la populace,
Par cette générosité,
Autrement, libéralité,
Qui fut une évidente marque
De leur zèle pour le Monarque.

Lettre IX, du samedi 28 février 1660, « Vraie ».

-La paix est bien la fondatrice des arts : Loret relate que depuis « la Publication/ De la Pacification/ D’entre la France et la Castille », diverses réjouissances parsèment le pays de France. Certains font de la poésie, les religieux organisent des processions et Te Deum en tous genres. Le théâtre n’est pas en reste puisque :

Les Comédiens de Paris,
Comme Gens Francs et bien nourris,
Ont été d’humeur libérale :
Car outre la Troupe Royale,
Ceux du Marais, ceux de Monsieur,
Rebutant tout Homme payeur,
(Ainsi, que l’on m’a fait entendre)
Représentèrent sans rien prendre,
Ni leurs Portiers, ni leurs Valets,
Farce, Comédie et Ballets,
Où tant d’Habitants se trouvèrent,
Que leurs loges, presque, en crevèrent,
Leur Théâtre et Parterre, aussi,
Mais à quoi j’ajoute ceci,
Afin de rendre, à tous, justice,
Qu’un des Messieurs de la Police, [Mr le Procureur]
Ce beau dessein leur proposa, [du Roi au Châtelet.]
Aisément les y disposa,
Et paya, de bonne manière,
Les Violons et la lumière.

Avant que finir ce discours,
Je dirai que depuis huit jours
Dans l’Hôtel de Bourgogne on joue
Un Sujet que la Troupe avoue
Un des forts et des mieux traités
Qu’on ait vu depuis dix Étés.
Boyer, habile personnage,
Est l’Auteur de ce grand Ouvrage,
Intitulé Démétrius,
Et qui tient le superius,
Entre plusieurs Pièces nouvelles,
Si l’on en croit bien des cervelles.

Lettre X, du samedi 6 mars 1660, « Consciencieuse ».

-Loret publie une Apostille à propos de ce qu’il a dit des comédiens de Paris dans la lettre précédente :

APOSTILLE
En forme de rétractation.

Les Comédiens de Paris,
Contre moi justement marris
De ce que l’on m’avait fait mettre
En mon autre et dernière Lettre,
Que dans la libéralité
Qu’ils firent à cette Cité
De leur Art charmant et comique
Pendant l’allégresse publique,
En faveur de l’aimable Paix,
Autres qu’eux avaient fait les frais ;
M’ont témoigné, tout au contraire,
Qu’eux seuls avaient voulu les faire,
Et me l’ont juré ; Tant y a,
Quand je dis qu’on les défraya
De la belle et bonne manière,
De Violons et de lumière,
C’est que moi, qui suis peu rusé,
Par quelques Clercs fus abusé,
Qui me firent passer pour Dupe,
(Car souvent on me préoccupe :)
Enfin, leur Billet m’attrapa,
J’en dis, tout franc, Mea Culpa,
Et, dans ce temps de Pénitence,
J’en décharge ma conscience.

Lettre XI, du samedi 13 mars 1660, « Congratulante ».

-Loret relate le mariage du neveu de Monsieur de Mesmes avec la fille de Monsieur de la Bazinière. Parmi les festivités, on a donné la comédie :

L’Assemblée y fut grande et belle,
Et, vers le soir, à la chandelle,
(Ce serait mieux dit, aux flambeaux)
Ce grand Ouvrage, et des plus beaux,
Savoir Stilicon, de Corneille,[Le Cadet.]
Y parut comme une merveille
D’excellence et de rareté,
Étant, illec, représenté
Devant mainte agréable trogne,
Par ceux de l’Hôtel de Bourgogne.

-Puis il ajoute :

Ces Comédiens de l’Hôtel
Ont dans le cœur un amour tel
Pour la Paix, et pour notre Sire,
Qu’avec raison, d’eux on peut dire
Qu'en ce zèle, à présent commun,
Chacun d’eux ne cède à pas un.
Jeudi dernier, leur troupe entière,
Pour une preuve singulière
De leur susdit zèle, ou ferveur,
Firent chanter dans St-Sauveur,[Leur Paroisse.]
En témoignant leur allégresse,
Un Motet, Te Deum et Messe,
Afin de remercier Dieu,
En ce véritable et saint Lieu,
De cette Paix tant désirée,
Ramenant la saison dorée,
Que deux Augustes Potentats
Font refleurir dans leurs États.

Là, les Cloches carillonnèrent,
Trompettes et tambours sonnèrent ;
Vingt des Amphions de la Cour
Qui savent donner un beau tour,
Et des accents presque Angéliques,
À toutes sortes de Musiques,
Avec la voix et l’instrument,
Composaient ce Concert charmant,
Ce concert de saintes paroles,
Mêlé de Luths et de Violes,
Dont les plus savants connaisseurs
Admirèrent fort les douceurs ;
Et quand cette rare harmonie
Par l’Exaudiat fut finie,
Tous ceux qui dans ce Temple étaient,
Et ce beau Concert écoutaient,
Gens relevés et gens vulgaires,
Le Curé, Prêtres et Vicaires,
Chantres, Comédiens, et moi,
Criâmes tous, Vive le Roi.

La troupe des Chantres, ensuite,
Dans un Cabaret fut conduite,
Où Messieurs les Musiciens,
Par l’ordre des Comédiens,
Furent, pour achever la Fête,
Traités à pistoles par têtes,
Où l’on but assez pour trois jours :
Mais je vais changer de discours.

Lettre XII, du samedi 20 mars 1660, « Dévote ».

-Loret annonce la fin des divertissements de l’hiver et le début de la Semaine sainte (le lendemain est le dimanche des Rameaux) :

Enfin tous divertissements
Qui causaient des ravissements,
Dont Paris d’ordinaire abonde
Pour le grand et le petit monde,
En ce saint temps vont se cacher.
Il n’en faut plus aller chercher
Dans les spectacles des théâtres
Dont les mondains sont idolâtres.
La belle foire Saint-Germain
Aujourd’hui se ferme ou demain ;
Ainsi, trêve de castagnettes,
De singes, de marionnettes,
Trêve de ces sauts périlleux,
Trêve de ces tours merveilleux
De la troupe assez belle et grande
Des danseurs venus de Hollande,
Que dans le plus beaux des faubourgs
Allaient admirer tous les jours
Plus de huit cents, neuf cents ou mille
Des plus apparents de la ville,
Dont chacun en sortait ravi.
Certes, pour moi, quand je les vis,
Je fus charmé de leurs souplesses,
Je fus charmé de leurs adresses,
Et je fus d’eux si satisfait
Que pour la rareté du fait,
Avec gratitude et louange,
Dans notre histoire je les range,
Vu même que publiquement
Ils me firent un compliment
Obligeant et glorieux comme
Si j’eusse été quelque rare homme.

Lettre XIII, du samedi 3 avril 1660, « Cénotaphique ».

-Jodelet qui un an plus tôt était passé dans la troupe de Molière est désormais passé dans l'autre monde. Loret compose son épitaphe :

APOSTILE.
Sur la mort de Jodelet.
Notre Démocrite Gaulois,
De la Mort subissant les Lois,
A payé tribut à Nature,
Et voici pour sa Sépulture.

Ici gît, qui de Jodelet
Joua, cinquante ans, le Rollet,
Et qui fut de même farine
Que Gros-Guillaume et Jean-Farine,
Hormis qu’il parlait mieux du nez
Que lesdits deux Enfarinés ;
Il fut un Comique agréable ;
Et (pour parler selon la Fable)
Paravant que Clothon, pour nous pleine de fiel,
Eût ravi d’entre nous cet Homme de Théâtre,
Cet Homme Archi-plaisant, cet Homme Archi-folâtre,
La Terre avait son Mome, aussi bien que le Ciel.

AUTRE APOSTILE
Dudit Acteur, les Compagnons,
Quoiqu’ils se soient frottés d’oignons,
N’ont pas pleuré cette disgrâce ;
Car Gros-René vient en sa place,
Homme trié sur le volet,
Et qui vaut, trois fois, Jodelet.

Lettre XXVI, du samedi 3 juillet 1660, « Signalée ».

-Sur fond de paix avec l'Espagne, le mariage du roi est l'occasion de réjouissance toujours plus belles et plus nombreuses :

Les Réjouissances publiques,
Les Feux, les Cadeaux, les Musiques,
Ont duré cinq nuits et cinq jours,
Tant dans Paris, qu’en ses Faubourgs,
Touchant le Royal Mariage
Dont on espère un beau Lignage.

Chacun en son particulier,
Prit un soin, assez singulier,
Sans plaindre or, argent, ni monnaie,
De bien manifester sa joie.
Je n’allai pas de bout en bout,
Pour voir et considérer tout :
Mais je rendrai ce témoignage
Des bons Bourgeois du voisinage,
Qu’à moins d’être avecques les Dieux
On n’eût pu se réjouir mieux.
Ce n’était qu’éclat, que lumières,
Durant, presque, les nuits entières,
Et je ferais bien cent serments
Qu’en liesses, ébattements,
Danses, chants joyeux, beaux spectacles,
Notre Quartier fit des miracles.

Mais, entre autres, le Sieur Aubin,
Zélé comme un vrai Chérubin,
Aubin, le Grand Lustrier de France,
Exprima sa réjouissance
Par des Motets bien concertés,
Par des brindes et des santés,
Et des Lustres, aux fenestrages,
À quatre, cinq, ou six étages.
Les Sieurs Riberac et Francoeur,
Agirent, aussi, d’un franc cœur,
Par plusieurs inventions rares,
Des Hautbois, Tambours et fanfares,
Diverses décorations,
Et d’exquises Collations ;
Bref, il firent choses fort belles ;
Mais tout cela sont bagatelles,
Si l’on en fait comparaison
Aux splendeurs qu’on vit à foison,
Au Palais de Son Éminence,
Séjour de la magnificence,
Et dont les somptuosités
Charmaient les curiosités
De mille Gens considérables,
Qui jugèrent plus qu’admirables
Les Feux qu’on voyait à foison
Briller autour de la Maison :
Mais outre l’éclat magnifique
Qu’y faisait voir le Domestique
Pour contenter, à plein, les yeux
Des gros Citadins curieux,
Plusieurs Familles indigentes
D’y venir étaient diligentes,
À cause qu’illec on donnait
À tout pauvre qui survenait,
Par une bonté non commune,
Pitance, boisson, et pécune.

Le bon Dieu veuille guerdonner
Ceux qui savent si bien donner ;
Il n’est point de vertu semblable
À celle d’être charitable ;
Sans cette céleste vertu
Assez rare en ce temps tortu,
Toute autre se rend inutile,
Et tout mortel (dit l’Évangile)
Quoique, d’ailleurs, Homme de bien,
S’il n’a la charité, n’a rien :
Mais brisons là, car je m’avise
Qu’un petit trop je moralise,
C’est à moi de nouvelliser,
Et non pas de moraliser.

Lettre XXIX du samedi 24 juillet 1660, « Affirmative ».

-Un splendide repas est donné par Fouquet en son château de Vaux le Vicomte à l'occasion d'une halte du roi et de la Cour, partis le matin de Fontainebleau et attendus le soir à Vincennes :

Fouquet bien aimé des Puissances,
Seul Surintendant des Finances,
De plus, Procureur Général,
Étant, de ses biens, libéral,
Traita, Lundi, la Cour Royale
Par un superbe et grand Régale
Dans sa belle Maison de Vaux,
Où, par ses soins et ses travaux
Et ses honorables dépenses,
Paraissent cent magnificences,
Soit pour la structure, ou les eaux,
Pour les dorures, ou tableaux,
Ou pour les jardins délectables,
Qui ne sont pas moins qu’admirables.

Ce fut, donc, en ce lieu pompeux,
Que bien décrire je ne peux,
D’autant qu’il passe ma portée,
Que ladite Cour fut traitée :
Mais (outre le zèle et l’ardeur)
Ce fut avec tant de splendeur,
Ce fut avec tant d’abondance,
Et, même, en si belle ordonnance,
Que les Banquets d’Assuérus,
Prédécesseurs du Grand Cyrus,
Soit pour les pâtures exquises,
Soit pour les rares friandises,
Les breuvages, les fruits, les fleurs,
Conservent, de toutes couleurs,
Fritures et pâtisseries,
N’étaient que des gargoteries,
En comparaison du Banquet
Que fit, alors, Monsieur Fouquet.

-Loret signale l'installation à Paris des comédiens espagnols :

Une grande Troupe, ou Famille
De Comédiens de Castille
Se sont établis dans Paris,
Séjour des jeux, danses et ris.
Pour considérer leur manière,
J’allai voir leur Pièce première,
Donnant à leur Portier, tout Franc,
La somme d’un bel écu blanc.
Je n’entendis point leurs paroles ;
Mais tant Espagnols, qu’Espagnoles,
Tant comiques, que sérieux,
Firent, chacun, tout de leur mieux,
Et, quelques-uns, par excellence,
À juger selon l’apparence.
Ils chantent, ils dansent Ballets,
Tantôt graves, tantôt follets ;
Leurs femmes ne sont pas fort belles,
Mais paraissent spirituelles,
Leurs sarabandes et leurs pas
Ont de la grâce et des appâts,
Comme nouveau ils divertissent,
Et de leurs castagnettes ravissent :
Enfin, je puisse être cocu,
Si je leur plaignis mon écu ;
Et je crois que tout honnête Homme
Leur doit porter pareille somme
Pour subvenir à leur besoin,
Puisqu’il sont venus, de si loin,
Avecque Comédie et danse,
Donner du plaisir à la France.

Les Comédiens de Paris,
Bien loin d’être contre eux marris
D’entreprendre sur leur pratique,
D’un souper ample et magnifique,
Où chacun parut ébaudi,
Les régalèrent, Mercredi,
De l’excellent jus de la treille,
On y vida mainte bouteille,
On y but, des mieux, les santés
Des Grands, Princes et Majestés,
Et des Ministres chasse-guerres,
On y cassa plus de cent verres ;
Illec, on mangea, ce dit-on,
Bien des lapins et du mouton,
Avec quantité de volaille ;
Et plusieurs comme rats en paille,
Sans être du métier, pourtant,
Y trinquèrent, ma foi, d’autant,
Exerçant, des mieux, la mâchoire ;
Et je colige de l’histoire,
Que les Comédiens d’ici,
Ne sont pas Gens, coussi, coussi,
Mais Gens, où courtoisie abonde,
Et qui savent fort bien leur monde.

Lettre XXXII, du samedi 14 août 1660.

-Après avoir cité la marquise d'Ampus qui a donné des réjouissances en l'honneur du mariage royal, Loret narre combien Monsieur, frère du roi, a reçu chez lui sa mère, la Reine mère de France :

À propos de réjouissance,
Le beau Philipe, Fils de France,
Dans son Saint Cloud, reçut, Jeudi
À cinq heures après midi,
Non seulement la Reine Mère
Mais cette Princesse très chère,
Digne Sœur des Princes Stuarts,
Dont les doux et brillants regards
Qui tous les cœurs peuvent conquerre,
Sont les délices de la Terre.

Outre Sadite Majesté,
Et cette Angélique Beauté,
Plusieurs autres belles Personnes,
Plusieurs autres jeunes Mignonnes
Étaient aussi dans ces beaux Lieux,
Que Monsieur festoya des mieux :
Entre autres, ces trois Demoiselles,
Ces trois agréables Pucelles,
Ces Sœurs de mérite infini,
Que l’on appelle Mancini,
Filles d’extrême conséquence,
Y payèrent de leur présence.
Plusieurs Braves Messieurs, aussi,
Y furent tout exprès, d’ici,
Autrement (Dieu me le pardonne)
La Fête n’eût pas été bonne ;
Car avec des Objets brillants
Il faut toujours quelques Galants.

Enfin, après la promenade,
Où l’on leur donna mainte aubade,
Les Comédiens de Madrid, [Espagnols.]
Que l’on tient assez Gens d’esprit,
Un de leurs Sujets récitèrent,
Et leurs Sarabandes dansèrent ;
Ensuite de leur Action
On servit la collation,
Qui fut (j’en jure foi de Muse)
Belle, délicate et profuse.
Puis un charmant Bal on donna,
Où le susdit Prince mena
Ladite Princesse Royale ;
Ce qui fit dire dans la Salle
Par maint Courtisan mi-parti,
» Ce Couple est des mieux assorti,
» C’est le Cousin et la Cousine,
» Tous deux sont de haute origine,
» Tous deux ont jeunesse et beauté,
» Tous deux ont de l’égalité,
» Et le lys avecque la Rose
» Serait une assez belle chose.

Lettre XXXIII du samedi 21 août 1660, « Journalière ».

-Encore des fêtes données en hommage de l’union de l’Espagne et de la France, mais à Provins cette fois-ci :

Il faut, encore, qu’ici je die
Qu’en divers lieux on s’étudie
À faire des Feux à l’envi,
Dont tout spectateur est ravi,
Et le tout pour cette Alliance
Qui joint l’Espagne avec la France,
Les uns moins et les autres mieux,
Selon l’opulence des lieux.
Touchant Provins, on sait bien comme
Elle n’est ni Paris, ni Rome,
Mais (avec médiocrité)
Tant seulement simple Cité :
J’ai su, pourtant, d’une Comtesse,
Dame d’honneur et de sagesse,
Savoir Madame Desmarets,
Qu’icelle Ville à faire flores.
Au milieu de leur grande Place,
Qui fourmillait de Populace,
Un Théâtre était élevé,
Où maint Dicton était gravé,
Sur lequel étaient les figures,
De deux illustres Créatures ;
Quand je parle ainsi, croyez-moi,
Car c’étaient la Reine et le Roi.
Assez proche de leurs Images,
Dignes de respects et d’hommages,
Paraissaient la Paix et l’Amour,
Qui semblaient leur faire la Cour,
Et ces deux Royales Personnes,
Ces aimables Porte-Couronnes,
Dont tous les yeux étaient charmés,
Soutenaient deux cœurs enflammés,
Traversés d’une même flèche,
Dont il sortit une flammèche
(Non sans causer ravissement,
Qui consuma soudainement,
Sur un échafaud d’importance,
À quinze grands pieds de distance,
Des casques et des corselets,
Des dagues et des pistolets,
Des épieux et des hallebardes,
Des fauconneaux et des bombardes,
Des guidons et des étendards,
Des bombes, des sabres, des dards :
Bref, mainte arme bien étoffée,
Dont on avait fait un Trophée.

Ensuite de l’embrasement,
Parurent, au même moment,
Un Dieu Jupiter, sans tonnerre
Mars sans épée ou cimeterre,
Bacchus sans Thirse, et Neptunus
Grand Monarque des flots chénus,
(Qui, souvent, se met en colère)
Sans trident, sans nef, sans galère.

Outre ces spectacles divers,
Ornés d’Emblèmes et de Vers,
Douze cents Bourgeois, sous les armes,
De ce jour augmentaient les charmes,
Étant, selon leurs facultés,
Parfaitement bien ajustés.
De plus, le Maire de la Ville,
Homme que l’on tient fort habile,
Et nommé Monsieur Passeret,
Fit couler de bon vin clairet
Le long du jour, devant sa porte,
Où l’on but de la bonne sorte.

Hé bien, chers Lecteurs, vive Dieu,
Les Habitants d’icelui lieu,
Ravis du Royal Mariage,
Ont-ils pas (comme on dit) fait rage.

Je ne demande, jamais, rien,
Mais comme iceux sont Gens de bien,
Pour bien régaler ma Minerve,
Ils m’enverront de la Conserve,
Et j’aurai sachets plus de deux,
Ou, du moins, on croit cela d’eux.

-Fin de l'année scolaire oblige : le récit d'une représentation dans un Collège Jésuite. Ainsi :

Au Collège des Jésuites,
Religieux pleins de mérites,
Et qui, surtout, sont triomphants
À bien enseigner les Enfants,
Jeudi, leurs Écoliers jouèrent,
Ou, pour mieux dire, ils récitèrent
Un beau Sujet Latin, en Vers,
Tout rempli d’incidents divers,
Et, par-ci, par-là, de tendresse,
Que cette agréable Jeunesse
Excellemment représenta,
Et dignement s’en acquitta :
Sujet bien plus saint que profane,
Que le savant Père Dozane
De Falaise, au Pays Normand,
A fait d’un style tout charmant,
Pièce sans faute et sans macule,
Pièce, enfin, que l’on intitule
Clementia Christiana,
Et dont, certainement, on a
Fort loué la sage conduite
En l’honneur de ce Jésuite.

Ce Sujet, bien imaginé,
D’un Ballet fut accompagné,
Duquel l’invention galante
Fut, tout à fait, divertissante,
Et cadrant à l’Hymen du Roi ;
Bref, je vous puis jurer ma foi
Que cette Action dramatique,
Et le Théâtre magnifique,
Des plus beaux et plus éclatants,
Plurent fort aux sieurs Assistants,
Surtout au Nonce du Saint Père,
Qui prit plaisir à ce mystère,
De sa présence l’honora,
Et, même, dit-on, l’admira.

Pour moi, Créature rampante,
La Pièce me parut charmante,
Mes yeux furent souvent ravis,
Et commodément, je la vis
Sans aucun accident sinistre,
Grâce au sage Père Ministre,
Autrement, le Père Gelé,
Par qui je fus là, régalé
De vins et fruits, en abondance,
Et d’une place d’importance.

Lettre XXXVI, du samedi 11 septembre 1660, « Imparfaite ».

-Loret revient sur la fête donnée par Phillipe de France, chez lui à Saint-Cloud, où il y eut représentation.

L’autre jour, Philipe de France,
À Saint-Cloud, son lieu de plaisance,
Régala quatre Majestés,
Et tout plein de jeunes Beautés,
Que Dieu garde de tous désastres,
Et qui, de la Cour, sont les Astres,
Sans compter les Amants transis,
Qui, dit-on, étaient plus de six.
En ce Lieu, tout fut magnifique,
Tant le Repas, que la Musique,
Le contentement Théâtral,
L’ordre, la lumière et le Bal ;
Car, certes, en choses pareilles,
Ce Prince fait, toujours, merveilles.

-Loret relate une réception organisée par Mazarin (« Monseigneur l’Éminentissime,/ Notre Ministre Illustrissime ») en son logis. L'Italien, artisan du mariage franco-habsbourgeois, a fait donner les comédiens espagnols ! Ainsi :

Quand la Collation fut faite,
C’est-à-dire avant la retraite,
Écouter et voir, on alla
La Comédia Spagnolla,
Qui, dans un grand lieu de lumière,
Divertit, selon leur manière.

Lettre XLI, du samedi 16 octobre 1660, « Poétique ».

-Scarron n'est plus. Loret concède qu'il le connaissait peu. Mais il témoigne du respect pour cet homme et sa veuve, dont l'union le laisse songeur... :

Enfin, après plusieurs Mémoires,
Tant certains, que contradictoires,
Scarron, cet Esprit enjoué,
Dont je fus quelquefois loué,
Scarron, fondateur du Burlesque,
Et qui, dans ce jargon crotesque,
Passait depuis plus de seize ans,
Les Écrivains les plus plaisants,
A vu moissonner sa Personne
Par cette faux qui tout moissonne.
Lui qui ne vivait que de Vers,
Est, maintenant, mangé des Vers,
Plusieurs Imprimeurs et Libraires
Firent avec lui leurs affaires ;
Il eut, en vivant, le malheur
D’être estimé malin Railleur,
Il était de bonne Famille,
Il ne laissa ni fils, ni fille,
Mais bien une aimable Moitié,
Digne, tout à fait, d’amitié,
Étant jeune, charmante et belle,
Et, même, fort spirituelle.

J’allais peu chez ce rare Auteur,
(Je ne suis pas grand visiteur).
Disant, pourtant, ce qui m’en semble,
C’étaient deux beaux Esprits, ensemble ;
Mais pour la grâce et les appâts,
Le reste ne ressemblait pas,
L’Épouse avait grand avantage,
Et je crois que leur mariage
S’entretenait par les accords
Bien mieux de l’Esprit, que du corps.

Or comme icelui grand Critique
Respecta la Muse Historique,
J’ai fait ces Vers, tout bonnement,
Pour lui servir de Monument.

Épitaphe de feu M. Scarron.
Quoique Scarron, Auteur de marque
De Charon ait passé la barque,
Du Sieur Scarron on parlera
Tant que le Monde durera ;
Et sans graver pour lui des marbres, ni des cuivres,
Il vivra longtemps dans ses Livres.

On peut dire cela de lui,
Princesse, adieu, pour aujourd’hui.

Lettre XLIII, du samedi 30 octobre 1660, « Reconnaissante ».

-Loret évoque une représentation de L’Étourdi et des Précieuses ridicules au Louvre et rappelle que le Petit-Bourbon a été détruit et que la troupe de Molière a obtenu du roi une nouvelle salle :

De Monsieur, la Troupe Comique
Eut, l’autre jour, bonne pratique,
Car Monseigneur le Cardinal
Qui s’était un peu trouvé mal,
Durant un meilleur intervalle,
Les fit venir, non dans sa salle,
Mais dans sa chambre justement,
Pour avoir le contentement
De voir, non pas deux Tragédies,
Mais deux plaisantes Comédies,
Savoir celle de l’Étourdi,
Qui m’a, plusieurs fois, ébaudi,
Et le Marquis de Mascarille,
Non vrai Marquis, mais Marquis Drille
Où l’on reçoit, à tous moments,
De nouveaux divertissements.

Jules, et plusieurs Grandes Personnes,
Trouvèrent ces deux pièces bonnes ;
Et par un soin particulier
D’obliger leur Auteur Molière [Molier],
Cette généreuse Éminence
Leur fit un don en récompense
Tant pour lui, que ses Compagnons,
De mille beaux écus mignons.

On a mis à bas le Théâtre
Fait de bois, de pierre et de plâtre,
Qu’ils avaient au Petit-Bourbon :
Mais notre Sire a trouvé bon
Qu’on leur donne et qu’on leur apprête,
(Pour exercer après la Fête
Leur Métier docte et jovial)
La Salle du Palais Royal,
Où diligemment on travaille
À leur servir, vaille que vaille.

Lettre XLIV, du samedi 6 novembre 1660, « Follette ».

Scarron est décédé depuis bientôt un mois quand on apporte à Loret un ouvrage à son propos :

On me vient d’apporter un Livre,
Qui n’est pas pour apprendre à vivre,
Mais qui, certes, ne manque pas
De galanterie et d’appâts :
C’est, enfin, la Pompe funèbre
De feu Scarron, Rimeur célèbre,
Faite par quelque bel Esprit,
Et qui couche bien par écrit.

De plus on m’a fait don, encore,
D’un autre qui n’est pas pécore,
Mais formé d’un style brillant,
Et, tout à fait, drôle et galant,
Qu’on nomme (entre autres épithètes)
La Politique des Coquettes,
Lequel, selon mon jugement,
Peut divertir bien plaisamment.

Comme je suis pressé d’écrire,
Je n’ai pas, encore, pu lire
Ces deux Livres tous fins nouveaux,
Ouvrages d’un, ou deux cerveaux.
Si l’on veut, à toute aventure,
D’iceux Livrets faire lecture,
On les vendra soirs et matins,
Sur les quais des grands Augustins,
En la Boutique d’un Libraire,
Imprimeur, ou non, ordinaire ;
Et si le Lecteur demande, où ?
C’est, justement, chez Jean Ribou.

Lettre XLVI, du samedi 20 novembre 1660, « Coulante ».

-Loret a expliqué dans les lettres précédentes que le roi était parti au château de Vincennes avec sa nouvelle Épouse et qu’il pratique la chasse à outrance. Des festivités sont données là-bas. Molière et sa troupe en font partie :

Durant ces sept jours, l’Éminence,
Modèle de magnificence,
A somptueusement traité
Très bien des Gens de qualité ;
Et dans ce Manoir délectable
Il a tenu si bonne table,
Par les soins de Monsieur Colbert,
Esprit rare, Intendant expert,
Que dans les Banquets d’Assuère, [Monarque des Perses.]
On n’eût pas fait meilleure chère.

Outre le plaisir de courir,
De jouer et de discourir,
Quand ce venait vers la soirée,
De mille flambeaux éclairée,
Les Espagnols, pas trop mignons,
Floridor et ses Compagnons, [Comédiens.]
Sieur Molière [Molier] et ses Camarades,
Tous Gens bien faits, et non maussades,
Représentaient, à qui mieux-mieux,
Des sujets graves et joyeux,
Jouant si bien leurs personnages,
Qu’illec on vit rire des Sages
(Ce m’a dit un nommé Henri)
Qui, dit-on, n’avaient jamais ri ;
D’ailleurs, notre Porte-Couronne,
Qu’un beau feu, toujours, aiguillonne,
Ne fut (m’a dit certain Rimeur)
De sa vie en meilleure humeur.

Ainsi, je crois qu’en ce voyage,
Notre Reine, au brillant visage,
Et qui n’est qu’en son beau printemps,
N’a pas trop mal passé son temps.

Lettre XLVII, du samedi 27 novembre 1660, « Tendre ».

-Loret évoque la représentation du Xerxès, entrecoupée d’intermèdes musicaux. Bien qu'il était question qu'il y assistât en qualité d'invité, rien ne s'est réalisé. Notre gazetier se contente donc d'une vague mention... :

Dans le Louvre, dernièrement,
On eut, pour divertissement,
Une Comédie en Musique,
De Xerxès, Monarque Persique,
Dont les Intermèdes follets
Étaient des Danses et Ballets.
Je crois que la chose était belle,
Mais d’en faire un récit fidèle,
C’est ce qui ne m’est pas permis ;
Il est vrai qu’on m’avait promis
Entrée et place d’importance
Pour voir et Comédie et Danse :
Un des Gens de Sa Majesté
À cela m’avait invité,
Mais, Ô mon Lecteur bénévole,
Il ne m’a pas tenu parole ;
Ainsi, je te dis, bien et beau,
Que je ne puis faire un tableau
De cette Action éclatante,
Qui fut, je crois, toute charmante.

Lettre XLVIII, du samedi 4 décembre 1660, « Inquiète ».

-Le Xerxès a été donné chez le roi mais encore une fois, Loret a dû se contenter de récits de tiers. Ceux-ci ayant été détaillés permet au gazetier de gagner en précision sur cette représentation :

Xerxès, Poème Dramatique,
Qu’on ne récite qu’en musique,
S’est plusieurs fois représenté
Au logis de Sa Majesté ;
Il ne m’a point, par ses merveilles,
Charmé les yeux, ni les oreilles,
Car je n’ai pu, pour voir cela,
Parvenir encor jusque là :
Mais des Barons, Marquis et Comtes,
M’en ont fait tout plein de beaux contes,
Et le Théâtre, seulement,
Est construit si superbement,
Qu’on ne saurait voir ce spectacle
Sans, tout soudain, crier miracle.
Or, argent, azur et brocards
Y reluisent de toutes parts,
Et par un grand nombre de Lustres,
Ses décorations illustres
Ont un éclat si surprenant,
Que le siècle de maintenant
N’a point vu de splendeurs égales
Dans les Maisons même Royales ;
Et, toutefois, ouï dire j’ai
Que cela n’est qu’un abrégé
Des apprêts que fait et fait faire
Ce Machiniste extraordinaire
Qui depuis Mai, Juin ou Juillet,
Travaille pour le grand Ballet.

Lettre XLIX, du samedi 11 décembre 1660, « Morne ».

-Loret a enfin vu le Xerxès, au Louvre :

Enfin, je l’ai vu, le Xerxès, [Grande Comédie en Musique]
Que je trouvai long, par excès ; [représentée au Louvre]
Mes yeux, pourtant, et mes oreilles
Y remarquèrent cent merveilles,
Sans compter mille autres appâts
Lesquels je ne comprenais pas,
N’entendant que la langue mienne,
Et, point du tout, l’Italienne :
Mais j’étais près de quelques-uns
Qui n’étaient pas des Gens communs,
Oui bien d’esprit et de naissance,
Qui montraient, à leur contenance,
Par joyeux applaudissements,
Quels étaient leurs ravissements.

[Chaque] Danse était merveilleuse,
La Musique miraculeuse,
Le Théâtre frappait les yeux
D’un éclat riche et précieux ;
La belle et spacieuse voûte
D’un or brodé reluisait toute ;
Par la quantité de flambeaux
Les Objets paraissaient fort beaux
Les pilastres, festons et frises
Étaient choses toutes exquises ;
Des Acteurs, les divers talents,
Furent jugés très excellents ;
Leurs grâces, concerts et mélanges
Attiraient cent et cent louanges :
Mais, entre tous, on en donna
À l’aimable Ségnore Anna,
Qui joua bien son personnage,
Et dont le chant et le visage
Enchantèrent à qui mieux mieux
L’un l’oreille, et l’autre les yeux.

Enfin, il faut que je le die,
Les Ballets et la Comédie
Se pouvaient nommer, sur ma foi
Un divertissement de Roi :
Mais, à parler en conscience,
J’eus bien besoin de patience :
Car moi, qui suis Monsieur Loret
Fus sur un siège assez duret,
Sans aliment et sans breuvage,
Plus d’huit heures et davantage.

Lettre L, du samedi 18 décembre 1660, « Spirituelle ».

-Notre gazetier relate le bal qu’a donné le Roi dans son salon le mercredi. Il s’explique incapable de décrire la beauté des participantes et que même :

Dix mille Vers ne suffiraient pas,
Quand il seraient, même, l’ouvrage
De Mesnardière, ou de Ménage,
Ou de l’admirable façon
Du bel Esprit de Pellisson.

-Il décrit tout de même quelques-une de ces bonnes personnes, puis continue :

Cette Collation finie
On ouït quelque symphonie,
Où le Sieur Le Gros, qui chanta,
Toute l’Assistance enchanta,
Soutenu de deux Théorbistes
Des meilleurs et des plus artistes. [Mrs Vincent et de la Barre.]
Ensuite on dansa le Ballet
Peu sérieux, mais très follet,
Surtout dans un récit Turquesque,
Si singulier et si burlesque,
Et dont Baptiste était Auteur,
Que, sans doute, tout spectateur
En eut la rate épanouie,
Tant par les yeux que par l’ouïe.
Enfin, grâce à Monsieur Bontemps,[Premier Valet de chambre du Roi]
Je passai là fort bien mon temps,
N’étant pas sur chaise durette,
Mais sur des sièges de moquette,
Près de certains Messieurs de Cour,
Qui pour nos Vers ont quelque amour.

-Des festivités de cour, Loret passe à celles de plus modestes, mais non moins glorieuses, compagnies comme lorsqu'un gentilhomme français fait donner la comédie pour l'ambassadeur d'Espagne :

À propos de réjouissances,
De Musiques, Cadeaux et Danses,
L’autre jour, Monsieur du Housset,
Chez lequel, comme chacun sait,
La générosité réside,
Étant opulent et splendide,
Donna, par grande affection,
Comédie et Collation
Au Comte de Füensaldagne,
Ambassadeur et Grand d’Espagne,
À qui ce Régal[e] plût fort,
Demeurant aisément d’accord
Que ledit Housset et sa Femme,
Sage Monsieur, aimable Dame,
À bien agir accoutumés,
Sont des Gens dignes d’être aimés.

J’ai l’âme extrêmement contente
Que l’occasion se présente
De dire (en passant) un mot d’eux,
Car je les aime bien tous deux.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome III (années 1659-62) de l'édition de Ch.-L. Livet de La Muse historique de Jean Loret, 1878, Paris, Daffis éditeur).




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