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La vie théâtrale et musicale selon Loret en 1664


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre VII, du samedi 16 février 1664, « Hasardée ».

-Loret annonce la création du grand ballet de cour donné à l'occasion du carnaval. Sa description est longue et détaillée :

Mercredi, fut le premier jour
Où le beau Ballet de la Cour,
Agréable par excellence,
Avec grande magnificence,
Au Palais Royal fut dansé,
Où le Commandant, Charnassé,
Gentilhomme digne d’estime,
À la prière d’un intime,
Qui l’en requit obligeamment,
M’y fit placer commodément,
Et tout contre, par bonne chance,
D’une Belle, de connaissance.

Ce Ballet des mieux composés,
S’intitule Amours Déguisés.

Après la première Musique
Qui fut tout à fait harmonique,
Mercure, Pallas et Vénus,
Sur le Théâtre intervenus,
Firent, entre eux, un Dialogue,
Qui du sujet est le Prologue,
Où ces belles Divinités,
En Vers par elles récités,
Prétendent donner la victoire,
L’une à l’Amour, l’autre à la Gloire :
Pallas, avec son sage Esprit,
Le parti de la Gloire prit,
(Seul but des Lettres et des Armes ;)
Et Venus avec ses doux charmes
À qui tant de cœurs font la cour,
Ne parla qu’en faveur d’Amour,
Chacune dans leurs contreverses,
Alléguant des raisons diverses :
Enfin, ne pouvant s’accorder,
Mercure, sans rien décider,
Leur fait accepter pour Arbitre
Louis, qui mérite le titre
Du Roi qui le plus judicieux
Qui soit sous la rondeur des Cieux,
Roi, qui dans la fleur de son âge
Est aussi charmant qu’il est sage,
Et dont ces trois Divinités
Prônant les hautes qualités,
À son honneur cent choses disent
Et ses Vertus immortalisent.

L’excellent Acteur, Floridor, [Tous trois de la Troupe]
Qui vaut mieux que son pesant d’or, [des grands Comédiens du Roi.]
Dans son héroïque figure,
Représenta le Dieu Mercure.
Mademoiselle Des-Oeillets,
Qui dans ses Rôles, ou Rôlets,
A paru toujours admirable,
(D’autres disent incomparable)
Ayant, et lance et coutelas,
Faisait la Guerrière Pallas,
Et du sieur Monfleury la Fille,
Qui d’un air assez charmant brille,
Et mieux que ses riches atours,
Était la Mère des Amours,
Dont tous trois de l’honneur acquirent,
Et firent bien tout ce qu’ils firent.

Le Ballet après commença,
Où notre Monarque dansa
Avec cette grâce Royale
Qui dans l’Europe est sans égale.

Après lui, Monsieur d’Orléans,
Fut le plus Galant de léans,
Montrant une si noble adresse,
Que par le bel air et justesse,
Dont ses pas étaient animés,
Plusieurs beaux yeux furent charmés.

Maint Prince, Duc et Pair de France,
Qui savent aussi bien la danse,
Que le Métier de guerroyer,
Lorsque Mars veut les employer,
Audit Ballet se signalèrent,
Et fort galamment y dansèrent,
Étant Gens d’élite et de choix,
Mais qui plus, qui moins, toutefois,
Enfin, mainte Personne illustre
Parut, illec, dans tout son lustre.

La jeune Reine mêmement,
De la Cour le cher Ornement,
De mille grâces assortie,
Voulut être de la partie,
Avec cette douce fierté,
Naturelle à Sa Majesté,
Qui marque sa naissance Auguste,
Y dansa fort bien et fort juste.

Plusieurs autres nobles Objets,
Dont bien des cœurs sont les sujets,
Augmentant, comme des miracles,
La pompe et l’éclat des spectacles,
Avec un parfait agrément,
Y dansèrent pareillement ;
Et comme elles sont toutes belles,
Je vais spécifier icelles
Dans un style simple et naïf,
Et non d’un ton superlatif
Sans affecter, même, aucun ordre,
De peur qu’on y trouvât à mordre,
Ni relever leurs qualités
Par pointes et subtilités.
De leurs Noms voici, donc, la liste,
Comme ils viendront à l’improviste,
Sans y chercher d’autre façon ;
On m’a donné cette leçon.

Primo, cette aimable Princesse,
Qui de Soissons est la Comtesse,
Un des beaux Esprits de la Cour,
Digne d’honneur, digne d’amour,
Et (ce qui vaut mieux qu’on Domaine)
Surintendante chez la Reine.

D’Elbeuf la Fille, et non la Sœur,
Dont les yeux ont grande douceur,
Dont la face est claire et sereine,
Et qui vient du Sang de Lorraine.

Mademoiselle de Nemours,
Qui, dans la fleur de ses beaux jours,
Est un amas de belles choses,
Et, surtout, de lys et de roses.

Sa Cadette, dont l’air charmant, [Mademoiselle d’Aumale.]
Pourrait d’un Dieu faire un amant,
Blanche et fraîche comme une Aurore,
Et qui là représentait Flore.

La noble Dame de Créqui,
Adorable Duchesse, et qui
Peut passer, dans toute croyance,
Pour un des beaux Objets de France.

La jeune Madame de Foix,
Dont chacun dit, à haute voix,
Que dans tout le Monde habitable
On ne voit rien de plus aimable.

L’agréable et jeune Sully,
Au visage frais et joli.

L’incomparable de Luynes,
Dont les beautés presque divines,
Les yeux, la gorge, et l’embonpoint
Blessent et ne guérissent point.

Vilequier, Marquise excellente,
Spirituelles, intelligente,
Dont la Personne a des appas,
Et qui, surtout, fait de beaux pas,
Étant parée, ou non parée,
En dansant toujours admirée.

L’agréable de Montespan,
Que l’on peut nommer un beau plan
De toutes les grâces touchantes
Qui rendent les Dames charmantes.

La jeune Dame de Vibray,
Laquelle, pour dire le vrai,
Et bien parler comme il faut d’elle,
A la gloire d’être fort belle,
D’honnêtes Gens m’ont dit cela,
Car je ne la vis pas bien là.

Montauzier, digne et rare Fille,
En qui la vertu toujours brille,
L’esprit, la prudence et l’honneur,
Qui n’est pas un petit bonheur,

Brancas, dont l’angélique face
L’éclat des plus beaux lys efface,
Fille qu’on aime, avec raison,
Et d’illustre et bonne Maison.

Grancé, belle et jeune Normande,
Des plus aimables de sa bande,
Et qui, parmi ces qualités,
Est fort noble des côtés.

Castelnau, beauté singulière,
Douce fleur, rose printannière,
Dont le Père, Homme martial,
En mourant fut fait Maréchal.

Mademoiselle de la Mothe,
Pour qui maint noble cœur sanglote,
Ayant des mérites assez,
Pour attacher les mieux sensés.

Dardennes, Fille ravissante,
D’humeur belle et divertissante,
Et qui porte dans ses beaux yeux
De quoi charmer des demi-Dieux.

D’Arquien, dont l’esprit est fort sage,
Et dont les yeux et le visage
Ont je ne sais quoi d’assez doux
Pour mériter un digne Époux.

Cologon, la belle inhumaine,
Qu’on estime fort chez la Reine,
Et qui par ses charmes vainqueurs
Se peut asservir bien des cœurs.

De-Pons, illustre Demoiselle,
De l’Honneur visible modèle,
Très digne du doux Sacrement,
Et qui danse admirablement.

J’ai pensé faire une folie,
En oubliant cette jolie,
Cette pucelle Sévigny,
Objet de mérite infini :
Certes, moi, qui l’ai deux fois vue
De divins agréments pourvue,
Et d’une très rare beauté,
Aux Ballets de Sa Majesté,
Si quelqu’un s’en venait me dire,
Et fut-ce le Roi notre Sire,
As-tu rien vu de si mignon ?
Je dirais hardiment que non.

Outre ces Beautés éclatantes,
La plupart des Dames importantes,
Cinq ou six Fillettes encor,
Chacun valant un Trésor,
Fort joliment s’y trémoussèrent,
C’est-à-dire très bien dansèrent,
Mais leurs noms étant oubliés
Ne sont point ici publiés.

Il s’y fit des Concerts si rares,
Qu’ils eussent touché des Barbares,
On chanta quatre ou cinq Récits
Qui tenaient tous nos sens sursis.

Ces trois aimables Demoiselles,
Qui sont si bonnes Chanterelles,
Dont tu vois les noms à côté, [Mesdem. Hilaire, Cercamanan et Anne Bergeroti.]
N’avaient jamais si bien chanté.
Les habits étaient admirables,
Les perspectives agréables,
Riches et beaux les ornements,
Et, merveilleux, les changements.

Mais étant pressé de conclure,
Par mon Imprimeur qui murmure,
En me disant, holà, holà,
Je suis contraint de briser là,
Non pas sans dire malepeste ;
Apprenez de Balard le reste,
Il en a fait un Imprimé
Par qui tout Paris est semé ;
Et, de plus, la Gazette en Prose
En rapporte aussi mainte chose.

Du moins ce beau Ballet Royal,
Et sérieux, et jovial,
Si par hasard je l’estropie
Dans cette imparfaite Copie,
Il se peut vanter qu’aujourd’hui
Je n’ai discouru que de lui :
Enfin, je suis fort las d’écrire,
Et ne croyais pas en tant dire.

Lettre VIII, du samedi 23 février 1664, « Préludée ».

-Loret revient sur le grand ballet précédemment évoqué : plusieurs fois dansé depuis sa première représentation, il a ravi les yeux de son public. Ainsi :

Je vous dis donc, de bonne foi,
Qu’en parlant du Ballet du Roi,
Je fis dans ma Lettre dernière,
Une faute absurde et grossière,
Et que n’eut pas commise un boeuf,
Des deux Demoiselles d’Elbeuf,
Princesses d’illustre Famille,
J’écrivis la Soeur pour la Fille ;
Il est certain qu’icelle Soeur
A de l’esprit, grâce et douceur :
C’est ce que j’en dis dans ma Pièce,
Mais c’était, toutefois, sa Nièce,
(Une jeune Seigneur me le dit)
Qui parut au Ballet susdit,
De cent et cent attraits pourvue.
Lecteurs, excusez ma bévue,
Dont dans cette Relation,
Je vous fais réparation.

Le susdit Ballet harmonique,
Allégorique, magnifique,
A, durant des soirs, ou des nuits,
Été dansé cinq fois depuis,
Où Verbec, fille assez jeunette,
Et, mêmement, assez brunette,
A toujours enchanté les yeux
Des spectateurs jeunes et vieux ;
Et, sans parler par complaisance,
On la tient la fille de France
Qui fait ses pas du plus bel air,
Et qui sait mieux cabrioler ;
Je dis cela volontiers d’elle,
Car quand je vois que l’on excelle
En quelque art, ou profession,
J’en parle avec affection,
Et ce fut toujours ma coutume
D’en donner quelque trait de plume.

-La foire Saint-Germain vient de débuter : Loret en fait grand cas. Ainsi :

Je n’ai point encore vu la Foire,
Mais j’ai su de Gens qu’on doit croire,
Qu’on y voit de tous les côtés
Cent plaisantes diversités,
Car, outre les orfèvreries,
Outre les riches pierreries,
Quantité de Bijoux fort beaux
Qui brillent le soir aux flambeaux,
Outre mainte belle Marchande,
Outre les Toiles de Hollande,
Les beaux rubans, les fins mouchoirs,
Les porcelaines, les miroirs,
Les tableaux et les antiquailles,
Qui ne sont pas pour des canailles,
Les confitures et douceurs,
Marionnettes et danseurs,
Outre les animaux sauvages,
Outre cent et cent batelages,
Les Fagotins et les guenons,
Les Mignonnes et les Mignons,
On voit un certain habile Homme
(Je ne sais pas comme on le nomme)
Dont le travail industrieux
Fait voir à tous les curieux,
Non pas la figure d’Hérodes [sic],
Mais du grand Colosse de Rhodes,
Qu’à faire on a bien du temps mis,
Les hauts murs de Sémiramis,
Où cette Reine fait la ronde ;
Bref, les sept Merveilles du Monde,
Dont très bien des yeux sont surpris,
Et que l’on voit à juste prix.

Lettre IX, du samedi 1er mars 1664, « Mascaradisée ».

-A la fin du carnaval, le jour de mardi gras, un grand bal masqué fut donné chez la reine-mère. Femmes de grande beauté, masques et déguisements exotiques furent de mise :

Pour finir les réjouissances,
Les Mômons et les belles danses,
De ce qu’on nomme Carnaval,
Mardi dernier, se tint un Bal
Au logis de la Reine Mère
Que mon âme toujours révère,
Qui donna les grands Violons
Dans le plus charmant des Salons,
Lieu d’Architecture à la mode,
Fort raisonnant et fort commode,
Dont l’accès était fort aisé,
Pourvu que l’on fût déguisé :
Car aux figures naturelles
Quoiqu’avantageusement belles,
N’ayant point le minois couvert,
L’huis ne fut nullement ouvert,
Durant cette aimable soirée
Admirablement éclairée,
Et mieux que n’a jamais été
Un de ces ardents jours d’Été,
Qui dorent les vastes Campagnes,
Les prés, les bois et les montagnes,
Où ne luit qu’un Astre brillant,
Éblouissant, hâlant, brûlant,
Et bien souvent insupportable ;
Au lieu qu’en ce soir délectable,
Pour un Astre, pour un Soleil,
Dont l’éclat n’est que trop vermeil,
Outre nos deux Illustres Reines,
On en voyait là des centaines,
Causant de doux ravissements,
Et non des Éblouissements.

Certes, dans cette conjoncture,
Comme il est vrai que la Nature,
En sa féconde activité
Se plaît en la diversité,
On avait un plaisir extrême
D’admirer en ce beau lieu même
Ce soir de Carême prenant,
Les Masques, allant et venant,
En cent apparences diverses,
Des Turcs, des Chinois et des Perses,
Des Espagnols et des Flamands,
Des Polonais, des Allemands,
Des Gens graves, des Gens allègres,
Des Topinambous et des Nègres,
Des Indiens, des Africains,
Des Hurons, des Américains,
Des Moscovites, des Sauvages,
Des Héros, des fous et des sages,
Des Habits-courts, des Habits-longs,
Des Trivelins, des Pantalons,
Des Arlequins, des Scaramouches,
Des vieilles, des Saintes-Nitouches [sic],
Des Philosophes, des Docteurs,
Des Vénitiens, des Sénateurs,
Des Modestes, des Harangères [sic],
Des Pastoureaux et des Bergères,
Et, bref, de toutes les façons,
Que les Filles et les Garçons,
Pour l’ordinaire, ou pour la danse,
S’habillent, tant ailleurs, qu’en France ;
Bref, sous des masques si divers
Camus, barbus, noirs gris, bleus, vers,
Qu’il faudrait trop de patience
Pour en faire la différence,
Dont je veux, comme un sage Auteur,
En soulager l’Ami Lecteur.

-Tous furent de la fête, du plus petit courtisan au "plus grand roi du monde" :

Louis, notre Souverain Maître,
Notre cher Sire, en voulut être,
Travestissant Sa Majesté,
De trois, seulement, escorté.
Les Reines, aussi, qui masquèrent,
D’infinis joyaux se parèrent.
Monsieur, Madame, mêmement,
Eurent part au déguisement.
Tous les Princes et les Princesses,
Comtes, Marquis, Ducs et Duchesses,
Les Courtisans, jeunes et vieux,
Les folâtres, les sérieux,
Cent et cent Mignonnes charmantes,
Tous les Galants et les Galantes,
Quittant lors tout autre souci,
S’en voulurent mêler aussi ;
Moi-même qui parle, oui, moi-même,
Dans un empressement extrême,
Sans hésiter, ni biaiser
Je voulus mascaradiser ;
Et, sans grande cérémonie,
J’entrai dans une Compagnie
(Puissé-je mourir si je mens)
Qui ne manquait point d’agréments,
De charmes, de lys, ni de roses,
Ni d’autres fort aimables choses.
Nous entrâmes les miens et moi,
Au Louvre, aussi bien que le Roi,
Nous fûmes reçus dans la Salle,
Qui brillait de splendeur Royale :
Car ainsi que j’ai déjà dit,
Les seuls Masques avaient crédit
D’avoir facilement entrée
Dans cette éclatante contrée :
On m’y lorgnait à chaque pas ;
Mais afin qu’on ne connût pas
Qu’elle était ma propre Personne,
Je me fis vêtir en Mignonne ;
Et, jamais, tant ailleurs, que là,
On ne m’aurait pris pour cela.

-Notre gazetier précise que s'est tenue une ultime représentation du Ballet des Amours déguisés. La reine était belle :

Ce Ballet si bien ordonné,
De divers agréments orné,
Et d’invention singulière,
Avec l’ordinaire lumière,
Fut vers le soir, Jeudi passé,
Pour la dernière fois dansé ;
Et comme il est très véritable
Que j’aime fort le délectable,
J’allai dans cet aimable Lieu,
Le revoir, et lui dire adieu
Et d’autant que par bon rencontre
J’étais placé presque tout contre,
Le considérant de plus près,
J’en remarquai les beaux attraits,
De la Reine, et de chaque Belle,
Qui faisaient Entrée avec Elle.

Sans mentir, c’est avec raison
Que l’on prône en toute saison
L’aimable et nombreuse abondance
Des beautés de la Cour de France ;
Certes, il n’est point d’Étranger,
Fut-il ou d’Égypte, ou d’Alger,
Et ne l’eût-il qu’une fois vue
De tant de miracles pourvue,
Qui ne la préférât toujours
À toutes les plus nobles Cours,
Par sa valeur et par ses armes,
Par ses appas et par ses charmes :
Mais je ne puis en ce moment
En discourir plus amplement,
Il faut qu’un peu je me récrie
Sur une affaire de Hongrie.

Lettre XVI, du samedi 26 avril 1664, « Catéreuse ».

-Loret relate une fête donnée par Monsieur à Saint-Cloud pour le roi et les deux reines; on ignore si la comédie et le ballet dont il parle fut en fait une comédie mêlée (le Registre de La Grange ne fait pas allusion à une "visite" de la troupe de Molière durant la semaine précédant le 26 avril) [GF] :

De Monsieur, l’Altesse Royale
Fit, l’autre jour, un grand Régal
En son agréable Saint-Cloud,
Séjour gai, séjour charmant, où
Les trois Majestés se trouvèrent,
Collationnèrent, soupèrent,
De mets triés sur le volet,
Eurent Comédie et Ballet,
Et, bref, des yeux et des oreilles
S’y divertissant à merveilles,
Admirant les Appartements
Et les rares Ameublements
Dont est richement embellie
Cette Maison plus que jolie.

Lettre XVIII, du samedi 10 mai 1664, « Immanquable ».

-Peu de nouvelles de la cour pour Loret cette semaine pour la simple et bonne raison qu'un méchant Suisse l'a refoulé à l'entrée de la fête de Versailles :

De nouvelles je suis à sec,
Cela me clôt quasi le bec :
Car de la fête de Versaille[s]
Je ne puis rien dire qui vaille.
Malgré les douleurs dont mon col,
Dont j’étais quasi pis que fol,
Je me mis en quelque équipage,
Je pris un cheval de louage,
Et fis un dessein courageux
De voir ses pompes et ses jeux :
Mais, de ce beau Château, l’entrée
Ne fut point par moi pénétrée ;
Dès la première, ou basse Cour,
Un Suisse m’arrêta tout court,
Humble, je fis le pied derrière,
Mais il me dit à sa manière,
D’un ton qui n’était pas trop doux,
» Oh, Par mon foi, point n’entre fous ;
Si bien qu’avec plus de trois mille,
Tant des champs, que de cette ville,
Qui furent (non pas sans émoi)
Rebutés aussi bien que moi,
De loin, la Maison regardâmes,
Et soudain nous rétrogradâmes,
Grinçant cent et cent fois les dents
De n’avoir pas entré dedans.

-...Peu de nouvelles émanant de lui, certes, mais quelques-unes tout de même grâce à un tiers :

Enfin, tant d’admirables choses
Étant pour moi des Lettres closes,
Qui voudrait (en ma place) oser
Prendre aucun souci d’en jaser ?
Mais, toutefois, veuille, ou non veuille,
Puisqu’il faut remplir notre feuille,
Je vais sur le rapport d’autrui
En dire deux mots aujourd’hui ;
Et sans, pourtant, observer d’ordre,
Dût-on sur moi dauber, ou mordre,
Mais rien que généralement,
Ne pouvant pas faire autrement.

La première des trois journées
À cette Fête destinées,
(Le propre jour, en vérité,
Où moi, pauvret, fus rebuté)
Dans un lieu plus étroit que vague,
Se firent des Courses de Bague,
Avec des habits fort galants,
D’argent, de soie et d’or brillants,
Dont le Brave et beau La Vallière,
Par son adresse singulière,
Devant plus de deux cents beaux yeux,
Emporta le Prix glorieux,
De valeur extraordinaire,
Qu’il reçut de la Reine-Mère.
Ô Vraiment ! trop heureux Humain !
D’avoir d’une si belle main,
Si blanche, et même si Royale,
Obtenu ce riche Régal,
À savoir Épée et Baudrier,
Propres pour un jeune Guerrier.

Illec, les quatre Âges parurent,
Qui, de tous, très admirés furent,
Et les quatre Saisons aussi,
Non pas, certes, cossi, cossi, [sic]
Mais dans une admirable Place,
Avec tant d’art et tant de grâce,
Tant de pompe et tant de beauté,
Que l’on croyait être enchanté :
Mais entre tant de rares choses,
Le Printemps avec ses roses,
Avec ses oeillets et ses lys,
Qui semblaient fraîchement cueillis,
Son visage et sa riche taille,
Charmèrent, dit-on, tout Versaille[s].
Puis, le soir, on fit un Repas
Si plein de superbes appâts,
Qu’on n’a, dans pas un siècle antique,
Rien vu qui fut si magnifique :
Car, enfin, on n’a jamais su,
Ni dans nul Auteur aperçu
Que sans miracles, ou magies,
On ait vu deux mille bougies
Éclairer, par profusion,
Une seule Collation.

Le second jour, la Comédie,
Par le sieur de Molière ourdie,
Où l’on remarqua pleinement
Grand esprit et grand agrément,
(Cet Auteur ayant vent en poupe)
Occupa, tant lui que sa Troupe,
Avec de célestes Récits
À toucher les plus endurcis,
Animés des douceurs divines
De deux rares voix féminines,
Qui sont (comme j’ai dit un jour)
Les Rossignoles [sic] de la Cour,
Que personne ne contrecarre,
À savoir l’Hilaire et la Barre.

Le troisième jour, aux flambeaux,
Un grand Ballet, et des plus beaux,
Dont était, en propre Personne,
Notre digne Porte-Couronne,
Avec maint Prince et Grand Seigneur,
Et d’autres Gens, qui, par honneur,
Comme étant Personnes de marque,
Sont dans les Plaisirs du Monarque,
Fut admirablement dansé ;
Et quand ce plaisir fut passé,
On finit toutes ces délices
Par des Feux, par des artifices
Allumés sur de claires eaux,
Si radieux et si nouveaux,
Que si les bruits sont véritables
On n’en vit jamais de semblables.

Enfin, tant de ravissements,
Tant de pompeux contentements,
Courses de Bague, magnifiques,
Carrousels, spectacles comiques,
Mille feux brillants dans les airs,
Tant de Festins, tant de Concerts,
Et, dans les Marches rayonnantes,
Tant de Machines surprenantes,
Bref, tant d’apprêts délicieux,
Avaient pour titre spécieux
Les Plaisirs de l’Île enchantée,
Que l’Arioste a tant chantée,
Où quantité de Paladins,
Des plus Preux, et des moins gredins,
(Sans alors se soucier d’armes)
D’Alcine idolâtraient les charmes ;
Et c’était là le fondement
De ce grand Divertissement,
Dont ce qu’ici je viens d’écrire
Est, quasi, comme n’en rien dire,
N’ayant qu’en termes mal conçus
Passé légèrement dessus,
Par un défaut de connaissance,
D’Amis et de correspondance,
Dont je n’ai pas trop, Dieu merci ;
Et je finis ma Lettre ainsi,
Souhaitant bon soir à l’Altesse
Dont si belle et blonde est la tresse.

Lettre XIX, du samedi 17 mai 1664, « Avertissante ».

-Loret revient sur la lettre XVIII dans laquelle il a abordé la fête des "Plaisirs de l'Île enchantée". Il lui faut réparer l'oubli qu'il a laissé : le roi a remporté la course de Têtes. Ainsi :

Quand je parlai, vaille que vaille,
L’autre jour, un peu de Versaille[s],
Faute d’avis, faute d’amis,
Dans notre Lettre en Vers j’omis
Une chose assez de remarque ;
À savoir que notre Monarque,
Qui d’adresse, en plusieurs façons,
Pourrait faire à tous des leçons,
Étant né pour bien des conquêtes,
Obtint en la Course des Têtes
Le très riche Prix destiné
Pour le bras le plus fortuné :
Mais par une bonté Royale,
Que l’on peut nommer sans égale,
Ce Prix qu’il avait mérité,
Par lui ne fut point accepté ;
Et ce Roi que chacun honore,
Voulant qu’on recourût encore,
Monseigneur le Duc de Coâlin,
D’un très noble Père, orphelin,
Et qui, d’esprit et de courage,
Possède le doux avantage,
Si bien courut, et disputa,
Qu’en fin finale il l’emporta ;
Lequel Prix était (que je pense)
Un Diamant de conséquence,
Valant des Louis maints et maints,
Et donné par d’illustre mains. [La Reine.]

Lettre XX, du samedi 24 mai 1664, "Gênée".

Je n'ai quasi plus rien à dire ;
Mes amis, près de notre Sire
(Cela veut dire si j'en ai)
Aucun avis ne m'ont donné
(Qui pour moi serait une grâce)
De ce qu'à la Cour il se passe :
Toutefois, un Quidam m'écrit,
(Et ce Quidam a bon esprit)
Que le Comédien Molière,
Dont la Muse n'est point ânière,
Avait fait quelque plainte au Roi,
Sans m'expliquer trop bien pourquoi,
Sinon que sur son Hypocrite, [Comédie morale.]
Pièce, dit-on, de grand mérite,
Et très fort au gré de la Cour,
Maint Censeur daube nuit et jour.
Afin de repousser l'outrage
Il a fait coup sur coup voyage,
Et le bon droit représenté
De son travail persécuté :
Mais de cette plainte susdite
N'ayant pas su la réussite,
Je veux encor être en ce cas
Disciple de Pythagoras [sic],
Et sur un tel sujet me taire,
Ne sachant le fond de l'affaire,
Qu'on pourra dire en temps et lieu ;
Et sur cela, Princesse, adieu.

Lettre XXII, du samedi 7 juin 1664, « Regrettée ».

-Loret annonce que la troupe dite des "petits comédiens du dauphin" (dans laquelle s'illustre déjà le tout jeune Baron, âgé de 11 ans) donne des représentations au Palais-Royal; de fait, le Registre de La Grange signale une "interruption" au lendemain du mardi 27 mai et jusqu'au mardi 3 juin [GF] :

La plus charmante Cour du Monde,
Où tout honneur et gloire abonde,
Pour qui j’eus toujours grand souci,
Est en bon état, Dieu merci.
Le Ciel en cet état maintienne
Toute la Maison Très Chrétienne,
C’est-à-dire les Majestés,
Altesses et Principautés,
Qui sont du noble Sang de France,
Ou qui leur touchent d’Alliance :
Mais, sur tous, Monsieur le Dauphin,
À qui, sans doute, le Destin,
(Étant Fils d’un vaillant Père)
Promet un quart de l’Hémisphère,
En qualité de Triomphant.

À propos de ce noble Enfant,
Pour qui de zèle je me pique,
Sur ma foi, sa Troupe Comique,
(Qui ne sont pourtant que Ragots)
Avec leurs surprenants échos,
Leurs danses et leurs mélodies,
Pastorales et Comédies,
Se font (foi d’Écrivain loyal)
Admirer au Palais Royal,
Où le plus petit de la Troupe,
Et guère plus haut qu’une coupe,
Dansant, récitant, annonçant,
Est si rare et si ravissant,
Qu’on le pourrait, entre autre chose,
Nommer le petit Bellerose.
À n’en point mentir, sans les voir,
On ne saurait bien concevoir
Comme ces Ragotins s’acquittent
Des jolis endroits qu’il débitent,
Et (sans à faux en discourir)
Tout Paris y devrait courir,
Car je ne crois pas que personne
Plaignît l’argent que l’on leur donne.

Lettre XXVII, du samedi 12 juillet 1664, « Récitante ».

-Loret évoque la fête (musicale surtout) donnée en l’honneur du Légat (neveu du Pape) venu sceller le rétablissement des relations (suspendues depuis deux ans) entre le roi et le pape. On se souvient en effet que suite à l'incident avec la Garde Corse du Souverain-Pontife, elles avaient grandement été mises à mal :

Jeudi dernier, de fraîche date,
Ce Prélat, dont la gloire éclate,
Ce Neveu de Sa Sainteté,
Dont l’aimable affabilité
Charme tout, quelque part qu’il aille,
Fut se promener à Versailles,
Maison de chasse et de repos,
Maison d’ébat et de campos,
Maison qui n’est pas spacieuse,
Mais tout à fait délicieuse,
Maison d’une exquise beauté,
Maison d’Hiver, Maison d’Été,
Maison, enfin, en bon langage,
Et de plaisance, et de ménage.
Ce Cardinal, certainement,
En admira le Bâtiment,
Les cours, les chambres et les salles,
Toutes belles, toute royales,
La quantité des orangers,
Les prés, les bois et les vergers,
Les palissades, les allées
Parfaitement bien égalées,
Le Parc, la merveille des Parcs,
Qui d’or vaut des milliers de marcs ;
Bref, sa grande Ménagerie,
Qu’on peut nommer, sans flatterie,
La plus rare de l’Univers,
Puisque dans ses enclos divers
Avec abondance elle enserre
Tout ce que la Mer et la Terre
Produisent de plus curieux
Et pour le goût, et pour les yeux.
Toutes ces choses le ravirent,
Et les Messieurs qui le suivirent.
Bref, pour dire le vrai du vrai,
Monsieur le Bailly de Souvray,
Qui mille fois a fait paraître
Son zèle envers le Roi son Maître,
Par ordre de sa Majesté,
(Qui fut des mieux exécuté)
Ce jour-là faisant la dépense
De traiter icelle Éminence,
Lui fit avoir à tous moments
De nouveaux divertissements.
Une partie de jeu de Paume,
Des meilleurs Joueurs du Royaume,
Qui, sans mentir, lui plurent fort,
Fut son premier plaisir d’abord :
Ensuite, on couvrit une Table
De maint aliment délectable,
Dont je tais le dénombrement,
Et je vous dirai seulement,
Qu’on le servit à cinq services ;
Et pour augmenter les délices,
Les agréments et les appas
De ce magnifique Repas,
Des Violons, la grande Bande,
Y joua mainte sarabande,
Avec quantité d’airs nouveaux,
Que l’on trouva charmants et beaux,
Ou plusieurs Hautbois se mêlèrent,
Qui fort plaisamment raisonnèrent ;
Quelque temps après par le soin
Qu’en prit volontiers M. Bloin,
Homme d’esprit et de cervelle,
Et dont la Femme est sage et belle,
Ce Prélat, ce Prince sacré,
Vit parfaitement à son gré
Les chambres, cabinets, estrades,
Les alcôves, les balustrades,
Où l’on trouvait en son chemin,
Des fleurs d’orange et de jasmin,
Qui produisaient dans chaque chambre
Une odeur plus douce que l’ambre.
Après, pour le mieux réjouir,
À ce Prélat, on fit ouïr
Dans un lieu propre à l’harmonie,
Une agréable symphonie,
Et les accords presque divins
Des luths, violes, clavecins,
Et la voix, belle à l’ordinaire,
De l’aimable et fameuse Hilaire.
Enfin, pour finir ce beau jour,
Les Italiens, à leur tour,
Où présidait le sieur Baptiste,
Qui d’Orphée est un vrai copiste,
Firent, pour un dernier dessert,
Un rare et célèbre Concert,
Où, pour bien flatter les oreilles,
La Ségnore Anne fit merveilles,
Avec sa nette et claire voix
Qui m’a ravi très bien des fois.

Je puis, en conscience, dire
Tout ce qu’ici je viens d’écrire,
Je n’en fais que de vrai rapports,
Car j’étais à Versailles, alors ;
Ce brave et courtois Gentilhomme,
Que Monsieur de Bourlon on nomme,
Écuyer de Sa Majesté,
Ayant eu pour moi la bonté,
(Dont je lui rends mille fois grâce)
De me donner commode place
Dans une des carrosses du Roi,
Avec des Gens, en bonne foi,
De qualité, non pas petite,
Mais Prélats et Gens de mérite,
Qui retournèrent fort contents
D’avoir si bien passé leur temps,
Et, par sincère bienveillance,
Disant mille biens de la France.

Tout de bon, tant que je vivrai,
Dans mon coeur je conserverai
Un vrai respect, un zèle intime,
Pour ce Légat illustrissime,
Dont, d’une charmante douceur,
Le rare esprit est possesseur ;
Il est civil, affable, honnête,
C’est une bonne et sage Tête ;
Et l’on voit bien à tout moment
Qu’il est d’un grand entendement.
Je parlerais bien davantage
De cet excellent Personnage,
Qui de mon estime est l’objet,
Mais il faut changer de sujet.

-Plus bas, notre gazetier annonce la parution de trois livres d’importance plutôt notable selon lui :

Loizon, Ribou, tous deux Libraires,
Ont mis au jour, depuis naguère,
Trois Livres grandement prisés,
Que, jadis, avait composés
La Muse, presque sans égale,
Du Traducteur de la Pharsale ; [M. de Brébeuf.]
Et ce par les soins qu’en a pris
Un de nos plus rares Esprits,
Grand Homme de littérature,
Savoir Monsieur l’Abbé de Pure.

Ce que j’en dis présentement,
Est pour servir de supplément
Au Général Dictionnaire
Que Monsieur Sorel vient de faire :
Lesquels trois Volumes divers,
Deux en Prose, et l’autre en Vers,
Sont dignes, par leur élégance,
De tous les Cabinets de France.

Certain autre esprit non commun,
Vient de m’en faire présent d’un,
Traitant de Physionomie,
Lequel encor je n’ai lu mie :
Mais ce qui me fait présumer
Qu’on doit cet Ouvrage estimer
Comme d’une plume hardie,
C’est que je vois qu’on le dédie
À ce très Éminent Prélat,
Prince, Cardinal et Légat.
L’Auteur que je juge honnête homme,
Sieur de la Niolle se nomme,
N’est pas étranger, mais Gaulois,
Et du Pays de Charolais.

Lettre XXX, du samedi 2 août 1664, « Curieuse ».

-Loret relate les festivités données en l’honneur du Légat du Pape à Fontainebleau. Il a notamment assisté à une représentation de La Princesse d'Elide et à la création de l'Othon de Corneille [CB] :

Monseigneur le Légat Chizy,
Vêtu d’un fort beau cramoisi,
Avec sa brillante Livrée,
Lundi dernier fit son Entrée
Dans un éclat pompeux et beau,
Au Palais de Fontainebleau.

Monsieur, du Roi le Frère unique,
Prince charmant et magnifique,
Prince digne de tout bonheur,
Accompagné de maint Seigneur,
Et d’un flot de leste Noblesse,
Tous Serviteurs de son Altesse,
Fut (à ce qu’on met en avant)
Une bonne lieue au-devant,
Lui donnant, dans toute la Traite,
Ce que l’on appelle la Droite.

Mardi, qui fut le lendemain,
Cet aimable Prince Romain,
Gardant une sage décence,
Eut, du Roi, bénigne Audiance,
Auquel humblement il parla
Du sujet qui l’amenait là.
Ensuite de son doux langage,
Le Roi, qui fit sur son visage
Paraître un air tout engageant,
Lui tint maint discours obligeant,
Et reçut de fort bonne grâce
Deux jeunes Seigneurs de sa Race,
Et tous ceux qui l’avaient suivi,
(Dont chacun eut le coeur ravi,)
Évêques, Abbés, Gentilhommes,
Qui sont tous de fort sages Hommes,
Ayant des esprits, non communs ;
J’en ai pratiqué quelques-uns,
Gens de mérite et de naissance,
Et j’en parle avec connaissance.

Ensuite de ce grand moment,
Il visita pareillement
Nos deux judicieuses Reines,
Nos deux illustres Souveraines,
Qui d’un air noble et gracieux
L’accueillirent, dit-on, des mieux ;
Puis, il vit le Dauphin de France,
Dont l’aimable et Royale Enfance,
La gentillesse et l’agrément
Lui plurent merveilleusement.

Mercredi, quoique jour de pluie,
Qui volontiers les Gens ennuie,
Il alla, pour se divertir,
(Car je les vis tous deux partir)
À la Chasse avec notre Sire,
Lequel Légat, qui fort bien tire,
Tua quatre ou cinq Lap(e)reaux [sic],
Avec autant de Perd(e)reaux [sic].

Sur le soir, une Comédie
Très abondante en mélodie,
Sujet parfaitement joli,
Où les Sieurs Molière et Lully,
Deux rares Hommes, ce me semble,
Ont joint leurs beaux talents ensemble ;
Lully payant d’accords divers,
L’autre d’intrigues et de Vers :
Cette Pièce (dis-je) galante,
Qui me parut toute charmante,
Et de laquelle, à mon avis,
Les Spectateurs furent ravis,
Fut jouée avec excellence
Devant cette noble Éminence.
Ces deux Filles qui par leurs voix
Ont charmé la Cour tant de fois,
Savoir Mademoiselle Hilaire,
Qui ne saurait chanter sans plaire,
Et La Barre, qui pleinement
Dompte les coeurs à tout moment,
Par le rare et double avantage
De son chant et de son visage,
Jouèrent si bien leur rôlet
Dans la Pièce et dans le Ballet,
Remplis d’agréables mélanges,
Que, certainement, leurs voix d’Anges
Furent dans ces contentements
Un des plus doux ravissements.

Il ne faut pas qu’on me demande
Si la Compagnie était grande :
Outre un frédon de Majestés,
J’y lorgnai cent et cent Beautés,
Dont les radieuses prunelles
Éclairaient mieux que les chandelles ;
J’ai tort, il faut dire flambeaux,
Car en des spectacles si beaux
Chez les Reines, chez notre Sire,
On n’use que de blanche cire.

C’est ce que de Fontainebleau
Je puis raconter de nouveau :
Car, pour vaquer à ma Gazette,
Le lendemain, je fis retraite,
Et je ne fus, chez un Ami,
Audit lieu, qu’un jour et demi.

Ce qu’illec je sus davantage,
C’est qu’Othon, excellent Ouvrage,
Que Corneille, plein d’un beau feu,
A produit au jour depuis peu,
De sa plume docte et dorée,
Devait, la suivante soirée,
Ravir et charmer à son tour
Le Légat et toute la Cour :
Je l’appris de son Auteur même ;
Et j’eus un déplaisir extrême
Qui me fit bien des fois pester
De ne pouvoir encor rester
Pour voir, dudit sieur de Corneille,
La fraîche et dernière Merveille,
Que je verrai, s’il plaît à Dieu,
Quelque jour en quelque autre lieu.

Avant que partir, j’ouïs dire
Aux Courtisans de notre Sire,
(Et j’en devins tout ébaudi)
Que Monsieur le Légat, Jeudi,
Revenant dans cette Contrée,
Ferait à Paris son Entrée ;
Et c’est de quoi, Grands et petits,
Tous nos bons bourgeois j’avertis,
Et je crois que cette nouvelle
Sera pour eux joyeuse et belle.

Lettre XXXI, du samedi 9 août 1664, « Régalante ».

-Un Carrousel à la cour ? La rumeur se répand... :

J’ai su d’un Officier à Sel
Que, Mardi, certain Carrousel
Se fit en la propre présence
De sadite Illustre Éminence,
Où le Roi, Prince haut et droit,
De tous les Rois le plus adroit,
Fit plusieurs courses, qu’admirèrent
Les Étrangers qui s’y trouvèrent,
Charmant les cœurs de tout chacun,
Et du Légat plus que pas un :
Auquel Légat on ouït dire,
Que, pour bien régir un Empire,
Pour bien courre, pour bien chasser,
Pour galantiser [sic], pour danser,
Pour raisonner avec prudence
En des choses de conséquence,
Pour paix, pour guerre, pour conseil,
Ce Grand Roi n’a point de pareil.

Lettre XLIV, du samedi 8 novembre 1664, « Attendante ».

-Loret annonce les créations parisiennes d'Othon de Corneille et de La Princesse d'Elide de Molière.

Il faut ici, donc, que j’avoue
Qu’à l’Hôtel de Bourgogne on joue,
Depuis un jour ou deux, dit-on,
Un sujet que l’on nomme Othon,
Sujet Romain, sujet sublime,
Et digne d’éternelle estime.
Jamais de plus hauts sentiments,
Ni de plus rares ornements,
Pièce ne fut si bien pourvue ;
Je ne l’ai point encore vue,
Et je ne suis que le rapport
Que m’en fit hier maint Esprit fort,
Qui dit qu’elle est incomparable,
Et que sa conduite admirable,
Dans Fontainebleau, l’autre jour,
Charma tous les Grands de la Cour.
Mais d’où lui naît cet avantage ?
Et d’où vient que de cet Ouvrage
Tout le monde est admirateur ?
C’est que Corneille en est Auteur,
Cet inimitable Génie ;
Et que l’illustre Compagnie,
Ou Troupe Royale, autrement,
Qui la récite excellement,
Lui donne toute l’efficace,
Tout l’éclat et toute la grâce
Qu’on doit prétendre, en bonne foi,
Des grands Comédiens du Roi.

De Monsieur, la Troupe Comique,
Qui sait aussi mettre en pratique
Cet Art moralement plaisant,
Qui nous charme en nous instruisant,
En public, mêmement, expose
(Partie en vers, partie en Prose)
Un Poème si bien tourné,
Et de tant d’agréments orné,
Que, certes, si je ne me trompe,
Chacun doit admirer sa pompe,
Ses grâces, ses naïvetés,
Et ses rares diversités.
J’en puis rendre ce témoignage,
Grâce aux Dieux, je vis cet Ouvrage,
Ouvrage fin et délicat,
Dont Monsieur l’Éminent Légat,
Eut dans une superbe Salle
A Fontainebleau le Régale ;
Il la vit attentivement,
Il y prit grand contentement ;
Et malgré son humeur hautaine,
Quittant la gravité Romaine,
Il rit fort aux endroits plaisants,
Aussi bien que nos Courtisans.

Cette Pièce si singulière,
Est de la façon de Molière,
Dont l’esprit doublement docteur,
Est aussi bien Auteur, qu’Acteur,
Et que l’on tient par excellence,
De son temps, le Plaute, ou Térence.

La Pièce dont je parle ici,
Laquelle a si bien réussi,
Est un sujet noble et splendide,
Et c’est la Princesse d’Élide.
Qu’elle se nomme proprement,
Vous assurant avec serment,
Que l’Actrice au joli visage, [Mademoiselle de Molière.]
Qui joue icelui Personnage,
Le représente, au gré de tous,
D’un air si charmant et si doux,
Que la feue aimable Baronne,
Actrice si belle et si bonne,
Et qui plaisait tant à nos yeux,
Jadis, ne l’aurait pas fait mieux.

Avec raison, donc, je puis dire,
Que la Troupe de notre Sire,
Et celle du Palais Royal,
Ne nous divertiront pas mal
Durant environ deux semaines
Puisqu’on verra dessus leurs Scènes
Paraître deux Sujets si beaux,
Si bien joués et si nouveaux.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome IV (années 1663-65) de l'édition de Ch.-L. Livet de La Muse historique de Jean Loret, 1878, Paris, Daffis éditeur).




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