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Les démangeaisons qui nous prennent d'écrire


"Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des vers de sa façon,
Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire"
Le Misanthrope, I, 2, v. 344-347

L'expression "démangeaison d'écrire" est utilisée par La Mothe le Vayer comme équivalent au scribendi cacoethes de la satire VII de Juvénal :

Ce n'est pas sans sujet que les meilleures plumes et les mieux taillées ont nommé la démangeaison d'écrire une maladie d'autant plus dangereuse qu'elle est incurable : Tenet insatiabile multos scribendi cacoethes (Juv.).
(Discours pour montrer que les doutes de la philosophie sont de grand usage dans les sciences, 1669 ; éd. des Oeuvres d 1756, V, 2, p. 13)

Dans l'entretien "Des écrits et des auteurs" du traité du Sage résolu contre la fortune (1644-1652) de François Grenaille, la manie de composer des livres est dénoncée dans les termes suivants :

Quand tu me dis que tu fais des livres, tu te déclares atteint d'une maladie publique, contagieuse et incurable. Tous veulent usurper la charge d'écrire qui n'est propre que de peu de personnes. [...] Plût à Dieu que cette démangeaison ne fût pas si générale, et que les hommes, se contenant dans la circonférence de leur capacité, l'ordre des choses, qui est confondu par la témérité des mortels pût être conservé.
(t. II, p. 11) (1)

Elle est utilisée par Donneau de Visé pour ridiculiser l'abbé d'Aubignac dans sa Défense de Sophonisbe (1663) :

Comme l'on assure que vous avez grande démangeaison d'écrire et que vous souhaitez que quelqu'un vous réponde, afin de faire connaître que, si vous ne savez pas faire de pièces de théâtre, vous en savez du moins les règles, je vous déclare que je suis prêt à me battre.
(p. 79)

On la retrouvera dans Le Parnasse réformé (1668) de Gabriel Guéret :

C’était Horace qui parlait pour lui-même et pour une troupe de Poètes dont il était à la tête. Il se plaignait, mais d’un ton irrité et plein de dépit, de ce que l’on s’était avisé de traduire leurs Poésies en prose Française. Il faut, disait-il, avoir une terrible démangeaison d’écrire pour faire des Traductions si hétéroclites.
(éd. de 1669, p. 11) (2)

Quelques remèdes que nous nous efforcions d’apporter aux désordres qui troublent les lettres, la démangeaison d’écrire qui prend sans cesse à une infinité de gens, les rendra toujours inutiles.
(éd. de 1669, p. 78) (3)

L'auteur de la préface du Recueil de poésies chrétiennes et diverses de 1671 fera le constat de l'universalité de cette "inclination" humaine à la poésie :

Ce serait trop entreprendre que de vouloir persuader aux hommes d'abandonner absolument un art pour lequel ils ont une inclination si puissante. Je n'examine pas si elle est fondée dans la raison, et je sais bien que philosophiquement parlant, il est assez difficile de justifier ce soin et cette gêne que l'on se donne à exprimer ses pensées avec une certaine cadence et à les renfermer dans un certain nombre de syllabes [...] Mais que cette inclination paraisse déraisonnable tant que l'on voudra, il est certain qu'elle est ; et l'on peut dire même qu'il n'y en a guère qui soient plus universelles.
(n. p.)


(1) source : R. Jasinski, Molière et le Misanthropre, Paris, Nizet, 1970, p. 80.
(2) indication aimablement fournie par Simone de Reyff
(3) indication aimablement fournie par Simone de Reyff




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