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Les spectacles et la vie de cour dans les Continuateurs de Loret en 1665


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre du 25 mai 1665, par Mayolas.

-Succédant à Loret mort quelques semaines plus tôt, Mayolas débute son office en annonçant qu’il reprend son flambeau, à la demande expresse dudit défunt :

Source d'esprit et de sagesse,
Merveilleuse et Grande PRINCESSE,
Superbe Ornement de nos jours,
Belle et parfaite de NEMOURS,
Sans plus consulter je m'adresse
À votre incomparable ALTESSE
Pour vous déclarer le regret
Que j'ai de la mort de LORET,
Et vous donner, s'il m'est possible,
Après cette perte sensible,
Un peu de récréation
Ou quelque consolation.
Étant son ami plus fidèle,
Il me dit d'imiter son zèle,
Et j'ai cru qu'après son trépas
Je devais marcher sur ses pas.
On verra, sachant bien le suivre,
Dans mes œuvres LORET revivre,
Et, peut-être, direz-vous bien
Qu'en m'ayant vous ne perdez rien.
Au temps qu'il occupait ses veilles
À chanter vos rares merveilles,
Vos vertus et vos agréments,
J'avais tous ces beaux sentiments,
Mais ne pouvant, avec justice,
Vous offrir alors mon service,
Je conservais toujours en moi
Le désir de son même Emploi.
D'une manière aussi galante
Respectueuse et diligente
Je saurai peindre dans mes Vers
Le prix de vos charmes divers.
Je sais que votre belle vie,
Qui ferme les yeux à l'Envie,
Exprime vos perfections
Sans le recours de nos Crayons,
Mais, comme votre modestie
Nous en dérobe une partie,
Il est bien juste de parler
De ce qu'elle voudrait celer.
Ce qui me charme et qui m'anime
Est ce respect et cette estime
Que vos bontés et vos grandeurs
Inspirent aux plus nobles cœurs ;
Il n'est point de lieu dans le Monde,
Ni sur la Terre, ni sur l'Onde
Où, sur les ailes du Renom,
Mon soin ne porte votre nom ;
Les plus Grands Roi, les plus Grands Princes,
Les Républiques, les Provinces
De mes Lettres verront le cours
À la duchesse de NEMOURS.
Et que les Filles de Mémoire
Élèvent un Temple à sa gloire,
Où leur juste et docte pinceau
Formera son divin Tableau,
Pour moi, tout le bien que j'espère
Ce n'est que l'honneur de vous plaire ;
À votre divertissement,
Et, le trouvant dans les Nouvelles,
J'en vais raconter des plus belles.

-Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin, est annoncé à Paris pour mettre son art au service des desseins architecturaux du Grand Roi. Ainsi :

Comme tous les jours on découvre
Pour l’embellissement du Louvre
Des gens fort expérimentés
Pour en accroître les beautés,
Le Chevalier Bernin, rare Homme,
Dont on fait tant d’estime à Rome,
D’Italie en France est venu ;
Son soin sera bien reconnu,
Ayant eu déjà mainte marque
Des bontés de notre Monarque.

-À la fin de la lettre, Mayolas revient sur la mort de Loret et reproduit son épitaphe, composée par lui-même et déjà citée à la page précédente :

Sous ce Tombeau gît et repose
LORET qui faisait Vers et Prose,
Qui n'était Maître ni Valet,
Et qui n'était ni beau ni laid ;
Qui n'avait point d'arpens de terre,
Maison, clos, jardin, ni parterrem
Rentes, ni constitutions,
Charge, emplois, ni commissions,
Qui n'exerçait aucun Office,
Qui n'avait point de Bénéfice,
Qui n'était Marchand, Partisan,
Clerc, Laboureur, ni Courtisan,
Qui n'était bas, ni mercenaire,
Qui ne requit jamais salaire,
Qui ne savait flatter aucun,
Qui ne fut jamais importun,
Et qui, pourtant, malgré fortune,
Était rarement sans pécune.

Du vice il fut très grand censeur
Et de vertu le défenseur,
Et chérissait, sans artifice,
Vérité, raison et justice,
Sans que jamais si bon instinct
De soi lui valut vingt-et-cinq.
Il était savant sans science,
Grand pécheur et grand conscience ;
Il blâma toujours les méchants
Autant à la ville qu'aux champs ;
Son âme détesta sans cesse
La lâcheté, fraude et bassesse,
Et les Gens de bien, à ses yeux,
Semblaient être des demi-Dieux.

Son humeur était débonnaire,
Mais, par un malheur ordinaire
Et par la malice d'autrui,
Elle se séparait de lui.
Il ne savait tromper ni feindre,
Ni se gêner, ni se contraindre.

Touchant l'entretien jovial
Il ne s'y prenait pas trop mal,
Car il était plus gai que triste ;
Mais d'ennuis une longue liste
Avaient visiblement gâté
Toute sa jovialité
Et le rendaient insupportable
Aussi bien ailleurs qu'à la table.

Du vin sobrement il buvait,
Et pourtant nez rouge il avait ;
Mais il aimait, au lieu du boire,
Le jeu, la Musique et l'Histoire,
Qui fument durant tout son temps
Ses plus chers et doux passe-temps

De lui couraient divers langage
Qu'il était fou, qu'il était sage ;
Mais tel qui fou le débitait
Plus fou que lui souvent était,
Tant le vain amour de soi-même
Cause souvent erreur extrême.

Enfin ce LORET est à bas ;
Il a ma foi passé le pas,
Car DIEU tout bon et pitoyable,
Voyant qu'il était misérable,
L'a retiré de ces bas lieux
Pour le rendre heureux dans les Cieux.

Lettre du 31 mai 1665, par Mayolas.

-De la canonisation de François de Sales :

Par des prières légitimes,
Par des raisons instantissimes [sic]
Et pour le maintien de la FOI,
Suivant l’ordre de notre ROI
Aussi Chrétien que magnifique,
Généreux, puissant, politique,
Notre fidèle Ambassadeurs, [Mr le Duc de Créquy.]
Rempli de courage et d’ardeur,
Obtint du Pontife ALEXANDRE,
Qu’au mois d’Avril, sans plus attendre, [Le 19.]
Au gré de tous, Rome verrait
Qu’enfin on Canoniserait
Le Bienheureux FRANÇOIS DE SALES,
Plein de vertus Théologales [Évêque de Genève.]
Et de Cardinales aussi,
Comme on sait bien dans ANNECY.
Jamais l’Église de Saint-Pierre,
Qui mille raretés enserre,
N’eut tant de dévots agréments
Ni des Étendards si brillants,
Tant d’ornements en broderie,
Tant d’or ni tant d’argenterie,
Tant de lampes ni de flambeaux ;
Surtout paraissaient dix Tableaux,
Où la vue et l’âme ravie
Voyait peinte toute la vie
Et les miracles merveilleux
De cet Évêque Bienheureux.
Un Feu d’artifice agréable
Précéda la pompe admirable
de l’auguste Solennité
Où présida Sa SAINTETE ;
Cardinaux, Religieux, Évêques,
Les Grands et les Petits enfin,
Sur les quatre heures du matin,
Se rendirent dans cette Église
Pour voir comme on immortalise
Ce Prélat au gré des humains
Dans le Catalogue des Saints.
CREQUY, n’ayant plus rien à faire
Après cette importante Affaire,
Revient en France fort content,
Ayant eu tout ce qu’on prétend.

-Sur prière de la Reine, l'Abbé Le Tellier dirige une neuvaine dédiée à la Sainte-Vierge. Ainsi Son Altesse souhaite rendre grâce à Marie mère de Dieu pour sa remise de maladie :

Certes, j’aurais tort d’oublier
Qu’à Saumur l’Abbé LE TELLIER
Fait à la Vierge une Neuvaine,
Par les ordres de notre REINE,
Où tous les jours, selon son but,
On chante grand’Messe et Salut
Pour marquer la reconnaissance
De l’heureuse convalescence
Et de la parfaite santé
De cette Auguste Majesté ;
Où l’Évêque, Homme fort habile,
Suivi des Officiers de Ville,
Assiste à la dévotion
Que leur cause cette Action,
Avec Pauvres, que je ne mente,
De compte fait, douze et soixante,
Qui portent tous des cierges blancs
Et des habits neufs sur les flancs.
À plus de trois mille personnes,
Jeunes, vieilles, belles et bonnes,
On distribue argent et pain,
Que l’on met dans leur propre main,
Et prisonniers et prisonnières
Sont élargis de leurs tanières ;
Mêmes des lits à l’Hôtel-Dieu
Furent donnés en ce dit Lieu
Par la charitable largesse
De notre admirable PRINCESSE.

Lettre du 1er juin 1665, par Robinet.

-À la fin de sa lettre, Robinet évoque la mort de celui dont il a repris le flambeau et son épitaphe, citée au bas de la page précédente :

La Mort, grimpant sur le Parnasse,
A fait choir aussi dans la Nasse
De l'ancien Nautonnier Caron
LORET, qui n'était pas Baron,
Ni grand homme à littérature,
Mais vraiment Poète par Nature,
Car il rimait facilement,
Et sans doute assez plaisamment?
Mais, d'autant qu'en bonne Orthographe
Lui-même a fait son Épitaphe.
Prétendant nous en dispenser,
Il faut cet Honneur lui laisser.

D'ailleurs, avant son heure extrême,
Par un soin digne de lui-même;
Voulant avoir un Successeur
Qui put lui faire quelque honneur,
Il en fit avec diligence
Recevoir un en survivance,
Qui, sans doute, a pareillement,
Pris ce soin, non moins dignement.

Lettre du 7 juin 1665, par Mayolas.

-La Reine-Mère de France, Anne d'Autriche, est au plus mal. Pour chasser l'inquiétude, on donne dans la dévotion :

Ces jours passés, toute la France
Etait en grande doléance
Et tremblait d’appréhension,
Sachant l’indisposition
De l’importante REINE MERE,
Dont la vie à tous est si chère.
Notre Grand Roi, dans ce moment,
Témoigna son ressentiment ;
Après lui, Thérèse, de même,
Fit voir un douleur extrême ;
La Cour en montra ses douleurs
Et chacun en versa des pleurs.
Le SAINT-SACREMENT on expose,
Et sur les Autels il repose
Dans les saints Temples de ce Lieu,
Où l’on va demander à DIEU
La guérison de cette REINE
Dévote, généreuse, humaine.
Le Ciel, touché de nos soupirs,
Et favorables à nos désirs,
Depuis quelques jours diminue
De cette fièvre continue
Les mouvements injurieux,
Si bien qu’Elle se porte mieux ;
On espère avec allégresse
Que cette pieuse PRINCESSE
Recouvrant bientôt sa santé,
Nous rendra la félicité.

-La reine a fait montre de sa santé recouvrée en surpassant, telle une amazone chasseresse, quelque antique divinité. Telle est, du moins, la nouvelle que Mayolas a reçu d'un tiers et qu'il relate ici :

Une aimable et parfaite Dame,
Qu’en mes Vers je nomme Myrame,
Dans un Billet sincère et fin
Me fit savoir, Lundi matin,
Qu’un des jours de l’autre semaine
Notre Auguste et charmante REINE,
Epouse du plus puissant Roi
Qui jamais ait donné la Loi,
Alla gaiement à la chasse,
Surpassant la Reine de Thrace,
Dans un Bois épais et prochain
De la Ville de Saint Germain,
Avec maintes belle Princesse,
Mainte Noble et jeune Duchesse,
En de riches habillements
Et de galants ajustements,
Sur des chevaux et des cavales
Aussi beaux que des Bucéphales.
La REINE, en ce grand appareil,
Donnait de l’ombrage au Soleil ;
Par son adresse et son courage
Elle remporta l’avantage,
De sa blanche et Royale main,
D’avoir tué maint Marcassin.
Ces animaux impitoyables
Semblaient devenir raisonnables,
Recherchant, d’un désir jaloux,
L’honneur de mourir sous ses coups
Et rencontrer, dans leur défaite,
Une joie et gloire parfaite,
S’offrant aux pointes de ses dards
Aussitôt qu’à ses doux regards
Cette fameuse Chasseresse,
Diane, la chaste Déesse,
Reine des Forêts et des Bois,
Avec son arc et son carquois,
Avec sa suite si nombreuse,
Etait moins belle et moins pompeuse
Qu’au milieu de toutes sa Cour
Thérèse l’était l’autre jour.

Lettre du 7 juin 1665, par Robinet.

-Des événements précédemment narrés par Mayolas, Robinet fait également sa matière :

L’autre jour une mâle Fièvre,
Faisant la cruelle et la mièvre
Dedans l’illustre sang vénal,
Ou, si l’on veut, artérial [sic],
De notre auguste ANNE D’AUTRICHE,
En sagesse et vertu si riche,
A Saint Germain, on vit la Cour,
Qui l’aime d’une tendre amour,
Se fondre presque toute en larmes,
Tant fortes furent ses alarmes ;
De là le Deuil se répandit,
Et, je crois, si loin s’étendit
Qu’en chaque Ville ou Bourg de FRANCE,
Pour son mal étant tout en transe,
On a versé, comme à la Cour,
Des torrents de pleurs tour à tour.
Mais, las ! faut-il qu’on s’en étonne,
Et, le bon Dieu me le pardonne,
Qui peut, en tel cas d’exempter
De gémir et de lamenter,
Puisque c’est la Cause commune,
Et que notre bonne Fortune,
Comme au Passé dans l’Avenir,
Ne saurait bien se maintenir
Que sur les soins et sur les veilles
De cette Source des Merveilles
Qu’on voit en l’EMPIRE DES LYS,
A savoir le charmant LOUIS,
La PAIX, la Divine THERESE,
Qui des vertus a plus de seize,
L’aimable et ravissant DAUPHIN,
Et MONSIEUR et MADAME enfin ?
Mais le Ciel, qui nous l’a rendue
D’autres fois qu’on la crut perdue,
Etant sensible à nos soupirs,
Semble, pour combler nos désirs,
Nous vouloir conserver encore
Cette Princesse qu’on adore,
Et notre Cour, à dire vrai,
En montre un visage plus gai

La REINE, comme une Amazone
Qui, du même air que sur le Trône,
Se tient sur un beau Destrier,
Aux bois souvent va défier
Les Bêtes, même plus féroces,
Sans de leurs insultes atroces
Rien craindre pour ses grands Attraits ;
Et, l’autre jour, dessous ses Traits,
Elle fit, sans nul en rabattre,
Tomber Sangliers jusqu’à quatre,
Outre un autre qu’elle blessa,
Qui bientôt après trépassa.
De BOUILLON la jeune Duchesse,
Où l’on voit tant de gentillesse,
De douceur, de grâce et d’esprit,
Ce laid Animal entreprit,
Alors tout écumant de rage,
Et, d’un mâle et noble courage,
Acheva de son Pistolet
De lui donner tout franc son fait,
Et la pauvre Bête, ou je meure,
De ce coup décéda sur l’heure.

-Mais avant d'évoquer à son tour l'arrivée du Bernin, Robinet narre un déplacement de la famille royale à Maisons. Accompagnés d'autres Grands, ils ont goûté les plaisirs du repos dans le parc du château :

Un des jours de l’autre semaine,
Notre Charmante Souveraine
Alla promener à MAISONS,
Qui paraît aux belles Saisons
Un petit Paradis sur terre,
Qui mille délices enserre.
MONSIEUR, que vous connaissez bien
Et de qui l’on dit tant de bien
De l’un jusqu’à l’autre Hémisphère,
Cet unique et le digne FRERE
Du ROI, notre visible DIEU,
Fut aussi dans le susdit Lieu,
Accompagnant cette PRINCESSE
Avec votre ROYALE ALTESSE.
Vous voguiez très commodément
Dessus ce flottant Bâtiment
Que votre Berge l’on appelle,
Tout à fait et galante et belle,
Que font aller les Matelots
Plus vite qu’un trait sur les flots.
On comptait encore trois Princesses [De Carignan, De Bade, et de Monaco.]
Avec une de nos Duchesses,
Dont assez grand est le renom
Et dont en marge on voit le nom, [Madame la Duchesse de Montausier.]
Qui vous suivaient dans ce Voyage ;
Et l’on m’écrit en beau langage
Que votre triomphant NEVEU,
Plus joli que l’aimable Dieu
Dans les premiers jours de sa vie,
Etait aussi de la Partie,
Et qu’il avait pris le devant,
Allant, tout ainsi que le vent,
Dans une Roulette Royale,
Avec l’illustre MARECHALE [Madame la Maréchale de la Motte.]
Qui, par mérite et par raison
(Car c’est un droit de sa Maison
Comme on le voit dans les Archives),
A parmi ses prérogatives,
Et ce n’est pas le deviner,
Le rare bonheur de gouverner
NOSSEIGNEURS les ENFANTS de FRANCE,
Duquel Emploi de conséquence
On la voit s’acquitter aussi,
Non pas vraiment cossi cossi,
Mais avec esprit et sagesse,
Et comme une grande Maîtresse.
Or pour revenir à MAISONS
Et ne rien omettre, disons
Qu’après quelques tours des Allées,
Où les Belles sans être hâlées,
Peuvent ambuler [sic] doucement,
Et de ce Logis si charmant
Avoir lorgné l’Orangerie
Si verdoyante et si fleurie,
On entra dedans le Château,
D’un bout à l’autre riche et beau,
Et qu’ayant à Petite-Prime,
Comme le même Écrit l’exprime,
Joué peut-être une heure ou deux,
Les Hôtes, ravis et joyeux
De voir la noble Compagnie,
Ayant de traiter le génie,
La firent sans rien épargner,
Bravement collationner,
ID EST, avec magnificence,
Servant en très belle abondance
Des Fruits tous tendres et nouveaux
De ce Parangon des Châteaux,
Ou de ses Jardins, pour mieux dire,
Où l’œil également admire
Les Eaux et les Bocages vers,
Et d’autres agréments divers.

-Avec plus de détails que son "confrère", Robinet fait état de la réception du Bernin à Paris. Le grand homme a déjà commencé de prendre la mesure de la ville. Ceci pour nourrir son inspiration ?

Le fameux Chevalier Bernin,
De naturel assez bénin,
Et qui fait voir à son langage
Qu’il est un Homme habile et sage
Et doué des talents chéris,
Arriva naguère à PARIS.
Avec une nombreuse suite.
Or selon son rare mérite
On l’accueillit, on le reçut,
Si bien que content il en fut,
Par les soins d’un autre sage Homme [Me d’Hôtel du Roi.]
Que le Sieur Chantelou l’on nomme.
Depuis, cet Architecte expert,
Avec le nonpareil COLBERT,
Dont le zèle et la vigilance
En tout font refleurir la FRANCE,
A visité nos Quais, nos Ponts,
Le Palais et les environs,
Et, pour tout dire, notre LOUVRE,
Ou sa capacité découvre
Quelques irrégularités
Qui gâtent ses autres beautés,
Mais qu’il doit par son industrie,
Remettre dans la Symétrie,
Si qu’alors ce Louvre sera,
Tel que chacun l’admirera.

Lettre du 14 juin 1665, par Mayolas.

-De l'un à l'autre gazetier, mêmes nouvelles sont rapportées, comme ici, la "promenade" royale à Maisons :

La REINE, en merveilles féconde,
Avec quantité de beau Monde,
En la plus douce des saisons,
Fut se promener à MAISONS
Dans cette légère Machine
Qui si vite roule et chemine
Qu’il n’est petit ni grand Vaisseau
Qu’elle ne devance sur l’eau,
Où l’on ne fait jamais naufrage
Dans le plus dangereux passage,
Et, quoi qu’on ait le vent du Nord,
Elle conduit toujours au Port ;
C’était la Berge de MADAME,
Dont le beau corps et la belle Ame
Obligent MONSIEUR chaque jour
A renouveler son amour.
Il semblait certes, à vrai dire,
Que les Amours avec Zéphire
La fissent voguer sûrement,
Et promptement et doucement.

Dans cette illustre promenade,
La plus orgueilleuse Naïade,
La superbe et belle Thétis,
A THÉRÈSE cédait le prix.
Jamais la Rivière de Seine
Ne fut si fière ni si vaine,
Et sur son dos n’eût des fardeaux
De si grands poids, ni de si beaux.
En l’espace de demi-heure,
La REINE vit cette Demeure,
En considéra les beautés,
Les rares curiosités,
Jardin, terrasse, orangerie,
Portes de fer, et l’Écurie.

Le Maître de cette Maison,
Grand Président, plein de raison,
D’esprit, de vertu, de mérite,
Qui de tout partout bien s’acquitte,
Lui parla si civilement,
La régala si galamment
Que la REINE et sa Compagnie
Sentit une joie infinie
D’avoir été dans ce jardin,
Où vint Monseigneur le DAUPHIN,
Que son Illustre Gouvernante, [Madame la Maréchale de la Motte.]
Vertueuse, habile et prudente,
Dans une beau carrosse amena,
Et qui, comme eux, s’y promena.
Ayant les grâces de la Mère
Et les rares vertus du Père,
Chacun augure comme moi,
Qu’un jour il doit être un Grand Roi.

-Après les divertissements et le calme "pastoral" de Maisons, les devoirs politiques reprennent leurs droits : l'ambassadeur de Malte est reçu dans la capitale.

Toute chose étant préparée,
LOMELLINI fit son entrée [Ambassadeur de la Religion.]
En grand appareil à Paris,
Et près de Picpus il fut pris
Par un Maréchal d’importance,
Avec l’Introducteur de France, [M. de Schulemberg. M. de Bonneuil.]
Et par eux, dès le lendemain,
Conduit jusques à St-Germain,
Où de notre Prince admirable
Il eut audience favorable,
Et des REINES et du DAUPHIN,
Et de toute la Cour ; Enfin
On régala son Excellence
Par un dîner de conséquence,
Avec grande solennité,
Par l’ordre de Sa MAJESTÉ,
Dont il a témoigné lui-même
En avoir un plaisir extrême.

-Le peintre Charles le Brun (1619-1690) est loué par Mayolas pour son art. Les Gobelins l'ont vu rendre hommage à l'esprit divin qui s'exprime dans sa main. Ainsi :

LE BRUN, dont la belle Peinture
Imite si bien la Nature
Que son Art n’a rien de commun,
Aux Gobelins en a fait un.
Ses ornements en broderie
Et sa riche Tapisserie,
Où sont artistement dépeints
Des Apôtres les Actes saints ;
Sa Statira, son Alexandre,
Dont les beautés peuvent surprendre
L’esprit aussi bien que les yeux
des savants et des curieux,
Outre ses Tableaux admirables
Faits de ses mains incomparables
Et ses bassins vermeil doré,
Rendaient cet Autel fort paré.

Lettre du 14 juin 1665, par Robinet.

-La Reine Mère, que l'on avait annoncé au plus mal dans une précédente lettre, semble connaître une rémission. Les supplications adressées au Ciel ces derniers temps n'y sont pas pour peu, si l'on en croit Robinet.

Après cette triste nouvelle,
Disons en un bonne et belle
Et qu’aucun ne saurait ouïr
Sans grandement s’en réjouir,
C’est que l’auguste REINE MERE,
Que l’on chérit, aime et révère
Avec tant et tant de raison,
Par l’effet de mainte Oraison
Et de mainte ardente Prière,
A vaincu cette Fièvre altière
Qui semblait, pour prendre un haut Rang
Vouloir régner dans son beau Sang.
VERAMENTE, Fièvre maligne,
Cruelle, vous êtes bien digne
D’avoir un Poste si charmant
Et c’est bien là votre élément !
Laissez en Paix ce Sang illustre
À qui la FRANCE doit son lustre
Et toute sa Prospérité
Ainsi qu’à la Postérité,
Le doit témoigner, à sa gloire,
Le beau Monument de l’Histoire,
En lui remarquant de LOUIS
Tous les Miracles inouïs ;
Par ces raisons, ô belle Fièvre,
Allez ailleurs faire la mièvre,
Et ne troublez plus le Séjour
De notre ravissante COUR.

Lettre du 21 juin 1665, par Mayolas.

-Molière a adjoint ses forces à un spectacle versaillais. Lully et Vigarani en étaient également. De la vue à l'ouïe en passant par le goût (car le tout finit par un dîner), tous les sens du public furent régalés par ces artistes et leur Roi. Mlle Desjardins y a fait représenté son Favori dont Molière avait composé le prologue :

Le ROI, dont la magnificence
Égale la haute puissance,
Désirant agréablement
Donner un divertissement
À la REINE, que son coeur aime
Aussi tendrement que lui-même,
Choisissant le plus bel endroit,
Dit qu’à Versailles on irait.
Au bout de la plus longue allée,
De feuillages épais voilée,
Près du parterre aimable et beau,
Devant la porte du Château,
Il fit élever un Théâtre,
Suivi de maint Amphithéâtre,
Embelli de cent agréments,
Paré de divers ornements,
D’Architecture, de portiques,
De perspectives magnifiques :
Des espaliers avec des fleurs
De toutes sortes de couleurs,
Dans des vases de porcelaine,
Pour mieux faire éclater la Scène.
Les plus grands Seigneurs de la Cour,
Avec les Dames, tour à tour,
Dans le petit Parc se trouvèrent,
Et quelque temps s’y promenèrent.
L’importune et grande chaleur
Cédant la place à la fraîcheur,
Ainsi que Phébus aux étoiles,
La nuit tendit ses sombres voiles,
Mais, pour chasser l’obscurité,
Des lumières en quantité
(Dont quatre mille était le nombre),
Dissipèrent tout à fait l’ombre.
Le ROI, brillant comme un Soleil,
De même que lui sans pareil,
En habit plein de pierrerie,
De galants et de broderie,
D’un air qui n’eût jamais d’égal,
Avec la REINE ouvrit le Bal.
En une semblable justesse,
Ils dansaient avec tant d’adresse
Que leurs mouvements et leurs pas
Semblaient être faits au compas.
Ensuite, MONSIEUR et MADAME,
Animés d’une égale flamme,
Secondèrent Sa MAJESTE
Avec beaucoup d’agilité,
Et tous les Seigneurs et les Belles,
Tachant d’imiter ces Modèles,
En un superbe vêtement,
Dansèrent aussi galamment.
Après le Bal, la Comédie
Divertit bien la Compagnie,
Ouvrage parfait et chéri,
Intitulé LE FAVORI,
Composé de la main savante
De cette Personne charmante, [Mademois. Desjardins.]
Qui dans un beau corps féminin
Enferme un esprit masculin.
La Pièce était entrecoupée
De mainte joviale Entrée
De Ballet, d’un habile Auteur [Le Sr Molière.]
Qui représente et qui compose
Egalement bien Vers et Prose.
Pendant ces divertissements,
Si doux, si gais et si galants,
On ouït de l’aimable HILAIRE

La voix mélancolique et claire,
Qui flattait l’oreille et le cœur
Du plus délicat Auditeur ;
Les instruments et la musique,
Dont le Maître scientifique [Le Sr Lulli]
Compose des airs ravissants,
Répondait à ses doux accents,
De VIGARANI les Machines,
Paraissaient des pièces divines,
Et cet excellent Ingénieur
Eut de la gloire et du bonheur
D’avoir suivi, par son adresse,
Avec tant de délicatesse,
Les ordres et le beau dessein
De notre puissant SOUVERAIN.

Après ces choses surprenantes,
Pompeuses et divertissantes,
Qui ravissaient l’oeil et l’esprit,
Tous ayant fort bon appétit,
Le ROI, de sa main agréable
Mena la REINE incomparable
Dans le labyrinthe du bois,
Où quatre Tables, à la fois
Parurent, en des formes rondes,
Pour ces Personnes sans secondes ; [Le Roi, La Reine, Monsieur, Madame.]
Et l’on les su si bien ranger
Que chacun voulut les manger.
Par l’éclat de quatre rangées
De brillants lustres éclairées
On se distinguait, je vous dis,
À minuit comme en plain midi.
On y servit tant de viandes,
Et si rares et si friandes,
Qu’à la Table même des Dieux
On n’eût pu jamais être mieux,
Tant pour les ragoûts agréables
Que pour les liqueurs délectables,
Dont la grande profusion
Passe toute description ;
Si je voulais ici la mettre,
J’en remplirais toute ma lettre.

Les Pages du ROI proprement
Les servaient, et fort promptement.
Au même temps, la même heure,
Dans cette Royale demeure,
Trois autres Tables pour Seigneurs
Ducs, Maréchaux et Gouverneurs,
De quarante couverts chacune,
Dans cette Régale commune,
Furent servies amplement
Et toutes magnifiquement.
Violons, Hautbois et Musique,
Pendant ce Festin Angélique,
Ajoutant le comble charmant
A ce grand divertissement,
Avec le grand jour attirèrent,
Ou, pour mieux dire, réveillèrent
Les Rossignols du fond des bois,
Qui mêlaient leur chant à leurs voix.
La grâce et la galanterie,
L’abondance avec l’industrie,
Firent connaître, sur ma foi,
Que tout était digne d’un ROI.

Après cette Fête si gaie,
On fut à Saint-Germain-en-Laye
Pour prendre, sans doute, à propos,
Du sommeil, l’aimable repos ;
Et le Père de la Lumière
S’étant caché dans la Rivière,
Soit par dépit ou par raison,
Parut lors sur notre horizon.

Lettre du 21 juin 1665, par Robinet.

-Robinet a été convié à des divertissements donnés par Monsieur. Les jeux d'eaux et les architectures vivantes du parc ont ravi notre gazetier :

A faute d’un Donneur d’avis,
Le dernier jour que j’écrivis,
Dont j’ai pour le Sort grand rancune,
Je ne fis mention aucune
D’un Banquet superbe, opulent,
Poli, mignon, noble et galant,
Que, dans sa Maison de Plaisance, [Saint Cloud.]
Avait fait PHILIPPES DE FRANCE;
C’est MONSIEUR, ce Prince charmant,
De tous les Coeurs le cher Aimant.
Sans discourir du Domicile,
Dont on ne peut en trop beau style
Exprimer tous les Agréments,
Les Beautés et les Ornements,
C’est à dire l’Architecture,
Mainte riche et rare Peinture,
Les Jardins, qui sont toujours verts,
Les Bois touffus, feuillus, couverts,
Les ravissantes Palissades,
Les claires Eaux et les Cascades,
Les Jasmins et les Orangers,
Les Dédales et les Vergers,
La Table fut si bien servie
Que l’Ame s’en sentit ravie
Par l’un et l’autre des cinq Sens ;
Oui, Lecteurs, point je ne vous mens.

Mais parlons de la TROUPE aimable
Qui banquetait à cette Table.
D’icelle, était, pour le certain,
L’Illustre VEUVE PALATIN,
Belle, sage et spirituelle,
Dans le CABINET de laquelle
Notre Muse, durant six ans,
Fit ouïr et polit ses chants,
Recevant de sa grande ALTESSE
Applaudissement et caresse.
La PRINCESSE de MONACO
Etait aussi du bel Écho,
Dont je rogne un T pour la rime,
Qu’ainsi je rends plus légitime.
ITEM, MADMOISELLE D’ELMBEUF [sic],
Joyau d’Amour encor tout neuf,
Et de MONTESPAN la MARQUISE,
Qui fait perdre mainte franchise,
Régalaient en ce cher Festin
Leur noble et douillet Intestin,
Y coulant mainte bonne chose
Par leurs bouches d’ambre et de rose.

-A la suite de Mayolas, Robinet évoque la fête de Versailles au cours de laquelle Le Favori de Mlle Desjardins a été donné au public. La description de la fête n'a rien à envier à celle faite dans la lettre précédente :

Mais, passons dans cet autre LIEU
Qui sent la Demeure d’un DIEU;
Passons dans cette ÎLE ENCHANTEE,
Tant renommée et tant vantée,
Et jargonnons du grand CADEAU [Versailles.]
Qui fut si ROYAL et si beau
Et qui se fit dans ce Lieu même,
La nuit du treize au quatorzième.

Mais je vais faire un effort vain ;
Le Pinceau me tremble en la main,
Pensant à tant de rares choses
Qui dans ce Cadeau sont encloses.

Au PETIT PARC, un ART savant,
Et qui va beaucoup plus avant
Que la plus parfaite Industrie,
Avait avecque Symétrie
Produit, en huit jours seulement,
Sans doute par enchantement,
Tout ce qu’ici je vais vous dire.

Un vaste Jardin d’Espaliers,
Bien alignés et réguliers,
Où l’on voyait dans l’enfonçure,
Par un grand Art d’Architecture,
Et dedans l’épaisseur d’un Bois,
Bien plus beau que ceux d’autrefois
Où DIANE exerçait ses armes,
Deux longs Fuyants ou Rangs de Charmes.

Par degrés et par escaliers,
Dessus ces même Espaliers
Étaient trois rangs de Porcelaines,
Par doubles et triples centaines,
Où les plus éclatantes Fleurs
Étalaient leurs vives couleurs.

Aux deux côtés de ces Verdures
Paraissaient les belles Structures
De deux Palais délicieux,
Qui paraissaient faits pour des Dieux,
Et, dans le milieu de l’Enceinte
Qui n’était point du tout succincte,
Trois Théâtres bien décorés
Étaient de chacun admirés.

De doubles rangs de pareils Vases,
Qui causaient de douces Extases,
En ornaient la face et les bords,
Tous remplis de brillants Trésors
Qu’au Printemps produit Dame Flore ;
Des Girandoles de Crystail [sic]
Éclairaient parmi leur émail,
En un très bel ordre et sans nombre,
Pour en faire dénicher l’ombre.

D’ailleurs quantité de Cyprès,
Sans nul égard à la dépense,
Et tous d’une hauteur immense,
À droite et gauche s’élevaient
Et semblablement ravissaient.

On voyait, de plus, quatre Arcades
Vertes comme les Palissades,
Tant dans le milieu qu’aux Côtés
De ces Théâtres enchantés ;
Et, sur le devant, faisaient face,
Non certes sans beaucoup de grâce,
Grand nombre de Myrtes fleuris,
Arbres consacrés à Cypris.

Enfin, l’on voyait des Bocages,
Qui formaient dans de frais Ombrages,
Des Dédales à maints contours,
Que les ingénieux AMOURS
Semblaient même avoir pris la peine,
D’ériger pour leur SOUVERAINE.

Toutes ces Beautés que je dis
Et que GROSSO MODO j’écris,
Lors que le Dieu de la lumière
Eut sur nous fermé sa paupière
Pour aller faire un autre Tour,
Parurent dans un plus beau Jour
Que produisaient mille grands Lustres,
Qui rendaient les Objets illustres,
Car l’Ombre avecque la Clarté
Formait, en bonne vérité,
Quelque chose plus agréable
Et, selon moi, bien plus aimable,
Que le plein Midi du Soleil.

Or, dans ce Jardin nonpareil
Toute la Cour s’étant rendue,
De cent nouveaux charmes pourvue
Par ses superbes Ornements,
Par ses Perles, ses Diamants,
Et d’autres fines Pierreries,
De qui les Indes sont fleuries,
On crut en ce Lieu si riant
Mêmement voir tout l’Orient.

Mais ce MODELE des MONARQUES,
LOUIS, à ces brillantes Marques
Y paraissait moins ce qu’il est
Qu’à l’air auquel on le connaît,
Cet air divin qui fait comprendre
Et que César et qu’Alexandre,
Malgré leur magnifique Nom,
Devant lui perdent leur Renom.

THERESE, qui peut faire honte
À la Déesse d’AMATHONTE,
Entrant là, par ses divins Yeux
Remplit de charmes ces beaux Lieux
Et VENUS, en sortant de l’Onde,
En montra beaucoup moins au Monde.

PHILIPPE, l’Honneur de nos Lys,
Y surpassait aussi son Fils ;
Et chacune de ses oeillades
Aurait fait plus de coeurs malades.

HENRIETTE, ou la Majesté,
S’unissant avec la Beauté,
Montre que l’on pourrait sans peine
En faire une admirable REINE,
Y parut avec des Appas
Que les plus grand Objets n’ont pas.

Quand ces DIVINITÉS visibles,
Que je voudrais voir impassibles,
Eurent pris séance en leur Rang,
Ainsi que chacune la prend,
Avec cette fine NOBLESSE,
Tant de l’un que de l’autre Sexe,
Qui fait leur Cour en chaque lieu,

Dessus la Scène du milieu,
La TROUPE plaisante et comique
Qu’on peut nommer Moliérique [sic],
Dont le Théâtre est si chéri,
Représenta LE FAVORI,
Pièce divertissante et belle
D’une fameuse Demoiselle
Que l’on met au rang des neufs Sœurs, [Mademoiselle Desjardins.]
Pour ses poétiques douceurs.

Plusieurs ravissantes Entrées
Dans la Pièce étaient insérées,
Avecque d’excellents Concerts
Composés d’Instruments et d’Airs ;
Si bien que le tout pris ensemble
Fit un bel effet, ce me semble,
Et causa beaucoup d’enjouement ;
Il n’en faut douter nullement.

Après, sur le Théâtre même,
Notre COUR, en liesse extrême,
Ayant pris la COLLATION
De Bonbons en profusion,
Fit voir sa grâce et son adresse,
Aussi bien que son allégresse
Par maints et maints Pas figurés,
Bien cadencés et mesurés ;
Cela veut en bon français dire
Que notre rare et digne SIRE
Voulut aussi donner le BAL
Pour augmenter ce beau Régal.

Ainsi, la COUR bien satisfaite
Et toute gaie fit retraite,
Non pas encor dans son Dortoir,
Bien qu’il fut déjà plus que soir,
Mais dans un charmant LABYRINTHE,
Dont tous les Détours et l’Enceinte
Étaient de LUSTRES éclairés
Plus que les LAMBRIS azurés
Ne le sont aux Nuits les plus claires
Par leurs éclatants Luminaires.

Le BOCAGE APOLLONIEN
En comparaison n’était rien,
Ni la SPELUNQUE de DIANE;
Et, sans passer pour un Profane,
Tout aussi hardiment je dis
Que la Caverne de THETIS,
Que la Fable dépeint si belle,
N’était que pure bagatelle.

Dans ce Dédale précieux,
Ravissant et délicieux,
Où les AMOURS, les RIS, les GRACES,
Qui de la COUR, suivaient les traces,
Prirent plaisir à s’égarer,
À se poursuivre et folâtrer
Avec les ZEPHIRS délectables,
On avait dressé quatre Tables
Pour les quatre DIVINITES,
À savoir les deux MAJESTES,
Avecque MONSIEUR et MADAME,
Dont chacun, m’a dit une Dame,
Avait sa suite avecque soi
En bonne couche et bel arroi,
Surtout de diverses PRINCESSES,
DUCHESSES, MARQUISES, COMTESSES
Et plusieurs mignonnes BEAUTES
Par qui les coeurs sont enchantés.

Mais je rentre ici dans mon trouble
Et ma peur de tantôt redouble ;
Je ne réussirai jamais
À vous bien décrire les Mets,
La beauté, l’ordre, l’abondance
Et l’illustre magnificence ;
Cela me passe, il est certain,
Et j’y perdrai Grec et Latin.

Le GOUT fut charmé par les Viandes,
Toutes exquises et friandes,
Et l’ODORAT par les odeurs
Des Mets, des Parfums et des Fleurs.
D’une autre part aussi l’OUÏE
Le fut par la rare Harmonie
D’un nombre infini d’ARIONS
Et de merveilleux AMPHIONS
Qui la comblèrent de délices
Pendant les longs et beaux Services.

La POMPE, enfin, l’ordre et l’éclat
Avec lesquels le moindre plat
Était posé dessus les Tables,
Et les Buffets, ce n’est point Fables,
Qui paraissaient autant d’Autels
Consacrés à des IMMORTELS,
Ne charmèrent pas moins la VUE
En cette splendide Repue,
Croyant voir le Banquet des Dieux
Et tout l’Olympe en ces bas Lieux.

Voilà donc déjà jusqu’à quatre
Des cinq Sens, sans en rien rabattre,
Qui, comme il faut, firent FLORES
Dedans ces superbes Apprêts.
Et, quoi ? le TACT, leur cher Confrère,
Fut-il seul sans s’y satisfaire ?
Non, non, il fut des plus contents,
Car il se trouve en tous les SENS,
Ainsi que nous l’apprend SOPHIE
Dans sa belle PHILOSOPHIE,
Et de cette façon il eut
Autant de plaisir qu’il voulut,
Et tous les autres par lui-même,
Sentirent un plaisir extrême.

Mais ce n’est que trop raisonner ;
Il faut ce Discours terminer,
Car, enfin, chacun sort de Table,
Et de ce Lieu si délectable
Pour retourner à Saint GERMAIN,
Où, presques en un tournemain,
Ou tout au moins en fort peu d’heure,
On arrive dans la Demeure
Ordinaire des MAJESTES,
Avec d’innombrables clartés,
Qui beaucoup mieux que les Étoiles
De la Nuit dissipaient les voiles,

Bon ! c’est, ma foi, bien rencontrer :
Phoebus commençait d’éclairer,
Et ce cher Dieu de la Lumière
Était rentré dans sa Carrière,
Ce matin-là, bien plus matin,
Pour venir peut-être au Festin ;
Mais, n’en déplaise à son ALTESSE
A blonde et lumineuse Tresse,
Il fut pourtant trop paresseux,
Et son bel oeil dedans ces Lieux,
Ne trouva plus que quelques restes
Pour exercer ses Dents célestes.

Voilà, Lecteur, quelque rayon,
Ou bien quelque léger crayon
De beau Régale de Versaille[s] ;
Accepte-le, vaille que vaille.
Je l’aurais peut-être fait mieux
Au gré des Esprits curieux,
Si l’illustre et le beau Génie
Qui dispose, invente et manie [M. Vigarani, Ingénieur du Roi.]
Tous ces divins Enchantements
Pour les Royaux contentements,
M’en eût déduit l’Histoire entière
Pour mon Épître Gazetière ;
Mais ce fut à bâtons rompus
Qu’il m’en entretint et non plus,
Étant pressé d’un autre affaire ;
Ainsi l’on doit se satisfaire,
Ou bien prendre, sans hésiter,
Des Cartes pour se contenter.

J’ECRIVIS CES VERS SANS COPISTE,
TROIS JOURS AVANT SAINT JEAN-BAPTISTE.

Lettre du 27 juin 1665, par Mayolas.

-Pour la Saint-Jean, Paris est constellé de festivités et son ciel illuminé par les feux d'artifices :

Les hauts faits de notre Monarque,
Digne d’Éloge et de remarque,
Surpassant les plus glorieux
Des Rois, Empereurs, ses Aïeux,
Et donnant des sujets sans cesse
Pour une publique allégresse,
Monsieur le Prévôt des Marchands [M. Voisin.]
Tant de la Cité que des Champs,
Ferme appui des Lois de Justice,
Qui fait dignement son Office,
Avec les prudents Échevins
Veillant au bien des Citadins,
Que l’on estime et que l’on aime,
Fit ordonner au sieur Carême [Ingénieur pour les Feux d’artifices.]
De former en perfection
Une représentation
De cette Déesse nommée
Vulgairement la Renommée,
Pour, la veille de la Saint-Jean,
Faire un Feu comme on fait chaque an.
Les curieux et curieuses,
Les précieux et précieuses,
Les mortelles et les mortels,
Quittant leur chambre et leurs hôtels,
Sans crainte en Grève se rendirent
Et dans la place s’épandirent
Depuis le haut jusques-en-bas,
Aux boutiques, aux galetas,
Et le Valet comme le Maître
Occupait lucarne et fenêtre.
Tout Paris, pour le dit Feu voir,
Y courut vite sur le soir.
Le Gouverneur de cette Ville,
Brave, fameux, prudent, habile,
L’illustre Maréchal d’Aumont,
Dont cent lauriers couvrent le front,
Dont la parfaite Maréchale
À ses vertus se trouve égale,
Dont les admirables Enfants
Marchent sur ses pas triomphants[M. le Marquis de Villequier et M. l’abbé d’Aumont.]
Et, par leurs actions insignes,
De leur Tige se font voir dignes,
Ce Héros alluma le Feu
Sans tarder beaucoup ni trop peu.
En la manière accoutumée
La figure étant enflammée,
Dans la vaste plaine des airs
Sema le bruit et les éclairs,
Où mille fusées volantes
Jusques aux nues presque errantes,
Semblaient aller joindre leurs feux
À ces beaux Astres lumineux
Et, dans leur étonnant ramage,
Tenir cet aimable langage :
« Admirez et louez, Français,
» LOUIS, le plus Grand de nos Rois ! »
Les fanfares et les Trompettes,
Touchant diverses Chansonnettes,
Nonobstant le bruit des pétards,
Raisonnèrent de toutes parts ;
L’on y goûta tout le délice
Que donne un beau Feu d’artifice,
Et dont l’ingénieur Galant
Fut loué de chaque assistant,
Qui satisfaits s’en retournèrent
Et dans leurs draps blancs se couchèrent.

Le plus grand de nos SOUVERAINS,
Aimé des Dieux et des Humains,
Avec la REINE qu’on adore,
Et MONSIEUR, son cher Frère, encore,
Fut à Versailles, Mercredi ;
Il y passa tout le Jeudi
Pour prendre les plaisirs aimables
Et les délices agréables
Qu’on rencontre en cette saison
Dans cette charmante Maison.

Lettre du 28 juin 1665, par Robinet.

-Après la Reine-Mère, c'est au tour de sa bru de se trouver mal. Une "fièvre", comme bien souvent, est désignée comme à l'origine de ce mal.

La Fièvre, aimant les belle veines
De nos deux ravissantes REINES,
Après avoir ému le pouls
D’ANNE que nous adorons tous,
Voulait dans celui de THERESE,
Allumer sa liquide braise :
Mais, sitôt qu’on le reconnut,
On lui dit : « Belle Dame, chut !
» Retirez-vous tout au plus vite,
» Et cherchez ailleurs votre gîte » ;
À quoi la Mutine obéit
Et tout au même instant s’enfuit.

-Après avoir recouvré la santé, la Reine a fait son retour dans les délices :

Ainsi, l’aimable Souveraine,
Sur le milieu de la Semaine,
Avec le ROI fut gaiement
Revoir ce CINQUIEME ELEMENT [Versailles.]
Des FELICITES toutes pures,
Où des plus exquises Pâtures
Elle fit de friands Repas
Au gré de ses mignons APPAS.
MONSIEUR aussi, par Sympathie,
Était de la belle Partie,
Mais un Bobo, ce m’a t-on dit,
Retint sa noble Épouse au lit.

Lettre du 5 juillet 1665, par Robinet.

-Robinet relate d'autres festivités survenues à Saint-Cloud sous l'égide du maître des lieux, Monsieur. Encore une fois, tout était fait pour ravir les sens des hôtes du frère de Louis XIV :

Durant trois charmantes journées
Que MONSIEUR avait destinées
A festiner toute la COUR,
A SAINT CLOUD, son riant SEJOUR,
On a vu sans cesse les Tables
Couvertes de Mets délectables,
Et nos DEESSES et nos DIEUX
Y banqueter certes des mieux.
L’Opulence et la Politesse,
La Pompe et la Délicatesse,
Jusqu’à la fin du beau Dessert,
Y formaient un rare Concert,
Qui de plaisir rendait comblée
Toute la célèbre ASSEMBLEE,
Et par la Vue et par le GOUT,
Qui ne manqua d’aucun ragoût.
La Musique et la Symphonie,
Par une excellente harmonie,
Y ravissaient l’Ouïe aussi,
Et l’on peut enfin dire ici,
A la gloire de ce grand PRINCE,
En qui l’on ne voit rien de mince,
Que, comme il prime en DIGNITE
Après l’auguste MAJESTE,
Il prime en la MAGNIFICENCE
Pour être en tout UNIQUE EN FRANCE
Comme UNIQUE FRERE du ROI,
Auguste Titre, en bonne foi.

Lettre du 11 juillet 1665, par Mayolas.

-Le Roi s'est déplacé à Versailles, accompagné de la cour. Monsieur s'est trouvé père à cet endroit, Madame a donné naissance à une petite fille. Le bonheur, cependant, n'a pas rayonné longtemps : la petite est passée de vie à trépas peu après l'accouchement.

Dans le beau Château de Versailles,
Enceint de très bonne murailles
Et plein de maint riche Ornement,
Le ROI, des Rois le plus charmant,
Au temps propre à la promenade
Pour réjouir sain et malade,
Alla dans ce divin Séjour,
Suivi de sa Royale COUR.

MADAME, plus belle que Flore
Et plus brillante que l’Aurore,
Prit la peine, sans y songer,
De son Fardeau se soulager,
En accouchant d’une PRINCESSE,
Avant le temps de sa Grossesse,
Dont le trépas précipité
Borna toute la gaieté
Et l’extrême réjouissance
Que préparait cette Naissance.
MONSIEUR, son très fidèle Époux,
Dans ce moment fit voir sur tous,
Par son esprit et sa sagesse,
Amour, vertu, joie et tristesse.

Après le prompt événement
De cet heureux Enfantement,
Cette illustre et rare Personne,
La plus proche de la Couronne,
N’ayant point d’incommodité
Qui puise altérer sa santé,
Semble réparer ce dommage,
Et dissiper tout le nuage.

Le ROI, par sa grande bonté
Et par sa libéralité,
A fait ordonner quatre Tables
Pour les Gens plus considérables
Qui viennent dans ce beau Manoir
Rendre leurs vœux et leur devoir.
Le Ciel notre regret modère,
Conservant le Père et la Mère.

Lettre du 12 juillet 1665, par Robinet.

-La même nouvelle est ici narrée par Robinet. Malgré la tristesse, tous s'activent à soutenir Madame :

JEUDI, que notre aimable COUR
Était pour le troisième jour
Dans les Délices, à VERSAILLES,
Qui n’est pas un Lieu de Broussailles,
Mais un Lieu vraiment enchanté,
Qui ne peut être trop chanté,
Notre HEROÏNE, que je prône
Et qui mérite bien un TRÔNE,
MADAME, où l’on voit tant d’appas,
Au point du Jour, entre ses draps,
Déclara de sa propre bouche
Que ce qu’on sent lorsqu’on accouche
L’avertissait dans ce moment
Qu’elle touchait l’Enfantement.
Or, comme sa ROYALE ALTESSE
N’avait eu durant sa GROSSESSE
Que des indices convaincants
Qu’Elle portait dedans ses flancs
Un beau FRUIT, de qui la NAISSANCE
Réjouirait toute la FRANCE,
Chacun, pour remplir son désir,
L’attendait avec grand plaisir.
Aussi vint-il un petit ANGE
(Ce m’a dit un Monsieur Archange),
C’est-à-dire un CORPS si bien fait
Qu’il était certes assez complet
Pour du moins faire une ANGELIQUE,
Et c’est ainsi que je m’explique ;
Mais, ô l’étrange Événement !
Le CIEL de ce CORPS si charmant
Subitement retira l’ÂME,
Afin (qu’aucun donc ne l’en blâme)
D’en former là-haut en effet
Un Petit ANGE tout parfait.
Au reste, l’illustre ACCOUCHÉE,
Ce qui rend la COUR moins fâchée,
Se porte à merveille en son Lit,
Et, comme l’on l’y divertit,
Essayons par d’autres Nouvelle,
De l’enjouer pareillement,
C’est pour nous gloire assurément.

-Passant d'une Reine à l'autre, Robinet évoque une nouvelle Neuvaine donnée pour la santé de la Reine-Mère à Poitiers :

On m’a dit que le FRÈRE FIACRE, [Augustin Déchaussé.]
Qui n’est ni PRÊTRE ni DIACRE,
Mais un très bon RELIGIEUX,
A POITIERS certe [sic] a fait des mieux
En la belle et sainte NEUVAINE,
Faite illec pour l’auguste REINE,
J’entends REINE MÈRE du ROI.
On dit aussi qu’en bonne foi,
Le Révérendissime ANSELME [Augustin Déchaussé.]
Que DIEU garde du feu S. Elme,
A secondé ce bon FRATER
En illustre et brave PATER,
Dégainant là plusieurs Harangues,
Et mêmes en diverses langues,
Pour complimenter tous les CORPS
Qui, par de louables accords,
Sont venus avec d’autre monde
AU TOMBEAU SAINTE RADEGONDE,
Où la NEUVAINE se faisait,
Et que beaucoup on l’en prisait.
On mande encor de cette Ville,
Que le DUC de la VIEVILLE, [Le Gouverneur.]
Et sa Moitié pareillement,
S’y porta très dévotement ;
Que les grands PÈRES JÉSUITES,
Qui sont d’excellents Casuites [sic],
Y dirent des MESSES très bien,
Et qu’il ne s’est jamais vu rien,
En pareille Cérémonie
(Qu’ainsi donc le CIEL la bénie),
De plus auguste et de plus beau
Que ce qui s’est fait au Tombeau.

Lettre du 19 juillet 1665, par Boursault.

-Voici que Boursault fait à son tour œuvre de gazettes. Il loue divers poètes tragiques parmi lesquels Corneille et Boyer :

De peur de passer pour Mazette,
Je ne ferais pas la Gazette
N’était le Conseil que j’ai pris
De tous Messieurs les beaux Esprits.
Ces beaux Esprits-là sont Corneille,
Qui passe pour une Merveille
Et qui satisfait à tel point
Qu’on voudrait qu’il ne mourût point ;
Il prend trop de soin de sa gloire
Pour laisser mourir sa mémoire :
Tant que l’Univers durera
PETRUS CORNELIUS vivra ;
L’Immortalité qu’il dispense
Met son grand nom en assurance,
Et, puisqu’il éternise autrui,
Jugez ce qu’il fera pour lui.

Un autre Esprit fort, qui souhaite
Que je fasse aussi la Gazette,
C’est Quinault : vous le connaissez ;
Dire son Nom, c’est dire assez.
C’est un auteur doux, agréable,
À qui la Scène est redevable ;
Il écrit toujours tendrement,
Il conjugue AMO galamment ;
Jamais Auteur, hormis lui-même,
N’a tant de fois dit : « JE VOUS AIME ; »
Et de plus, selon le goût mien,
On ne l’a jamais dit si bien.

J’oubliais un autre homme Illustre,
Qui du Languedoc est le Lustre
Et qui, Cadejous, est tout Cur
(BOYERUS SUB-AUDITUR).
C’est un Auteur de fine trempe ;
Jamais son Pégase ne rampe ;
Quand il prend l’essor comme il faut,
D’ordinaire il monte si haut
Que bien souvent, quoi qu’on s’y tue,
On ne peut le suivre de vue.
Par des vers pompeux, Cadedis,
Il soutient l’honneur du Pays ;
On peut ajouter à sa gloire
Que ce qu’il fait n’est point Grimoire,
Et, qui dit un Auteur bien pur,
BOYERUS SUB-AUDITUR.

Encore un Auteur qui veut presque
Que je fasse aussi du Burlesque
Et qui croit que c’est mon talent,
C’est Gilbert, cet Esprit galant,
Pour qui, la Canicule ardente
N’a point d’ardeur assez cuisante
Et qui, durant tous les Hivers,
N’a de chaleur que dans ses vers ;
Qui compose au reste à miracle,
Qui s’explique comme un Oracle,
Et qui fait si bien ce qu’il fait
Que chacun en est satisfait.

Je vous en viens de nommer Quatre
Qui soutiennent jusqu’à se battre
Que je puis calmer le regret
Qu’à causé la mort de Loret,
Et que je suis en droite Ligne
De ses Successeurs le plus digne.
Pour me chatouiller l’appétit,
Ils me l’ont tant dit et redit.
Tant prôné que mon air d’écrire
Est un air propre à faire rire,
Que, sur un Rapport si fameux,
À la fin je l’ai crû comme eux.

Mais (et n’en déplaise à Pégase),
Quand on est Gazette l’on jase ;
Ma Muse, vous n’en saviez rien,
Je vous l’apprends ; jasez donc bien.

Lettre du 25 juillet 1665, par Mayolas.

-Mayolas narre le transfert des reliques de sainte Berthilde et de saint Genest au couvent de Chelles lequel événement a été agrémenté d'un sermon de Bossuet :

Je trouve parmi mes Nouvelles
Qu’au Couvent des Filles de Chelles,
Avec grande dévotion,
Fut faite la translation
Du Corps saint de Sainte Bertille,
Première Abbesse de la Ville,
Et de Saint Genest, autrefois
Archevêque de Lyonnais,
Grand Aumônier par excellence
De Berthilde Reine de France,
Épouse du second Clovis
(Qui connaissait fort bien son prix) ;
Cette Princesse glorieuse,
Fondatrice et Religieuse
De ce Couvent Abbatial,
L’a rendu doublement Royal.
L’Archevêque d’Auch, grand et rare,
Qui de vertus s’arme et se pare,
Prélat d’un très bon jugement,
Vêtu pontificalement,
Célébra la Cérémonie ;
Une agréable symphonie,
Raisonnant de chaque côté,
Augmenta la solennité ;
Religieux, Religieuses,
Âmes dévotes et pieuses,
En ordre et sans confusion,
Marchaient à la Procession ;
Sur toutes Madame l’Abbesse [ Madame de la Meilleraye.]
Fit voir une sainte allégresse,
Et l’Abbé Bossuet, enfin,
Y fit un Sermon tout divin ;
Ce grand Personnage eut la gloire
De charmer tout son Auditoire.

-Fâcheuse nouvelle : Puget de la Serre est allé ad patres ! Ainsi :

La Mort, qui tout prend et tout serre,
Prit Lundi PUGET DE LA SERRE,
Un de nos plus grands Écrivains
Pour Seigneurs, Princes, Souverains ;
Mais, quoi que sa féconde Plume
Fit maint et gros Volume,
Par certaine fatalité
Il en a fort peu profité ;
Son Âme noble et peu commune
Méritait une autre fortune.

Lettre du 26 juillet 1665, par Robinet.

-Même funeste nouvelle que la précédente rapportée ici par Robinet :

La fameux PUGET de la SERRE
De la PARQUE a senti la serre ;
Il est gisant dans le Tombeau,
Avec ce MERCURE nouveau
Que sa PLUME belle et féconde
Eut fait voler par tout le Monde.
Oui, comme un autre il est passé ;
Des Vers il sera fricassé,
Et l’on ne dira plus : LA SERRE
QUI LIVRES SUR LIVRES DESSERRE.

Lettre du 1 août 1665, par Mayolas.

-Mademoiselle en promenade champêtre :

MADEMOISELLE, qu’on estime
Pour son Esprit rare et sublime,
Pour sa vertu, pour son haut Rang
Et pour la splendeur de son Sang ;
Cette Princesse bien-aimée,
Dont la gloire est partout semée,
Ayant pris congé de la Cour,
Est allée aux Champs faire un tour,
Où l’on coupe blés, seigles, orges,
Et pour boire les Eaux de Forges,
Dont la salutaire bonté,
Affermira bien sa santé,
Et, par cette grâce nouvelle,
Reviendra plus fraîche et plus belle
Paraître dans ce beau séjour
Et promener à Luxembourg.
Cette généreuse Héroïne,
Par son éclat et par sa mine,
Et par les rayons de ses yeux,
Rendra cent fois plus beaux ces lieux.

-Les inquiétudes sont grandissantes au sujet de la santé de la Reine-Mère :

On redouble ici la Prière,
Pour notre Grande REINE Mère.
Dans Saint Germain de l’Auxerrois,
Paroisse ordinaire des Rois,
On recommence la Neuvaine,
Invoquant toujours Sainte Reine
Avec ardeur, avec raison,
Pour sa parfaite guérison,
Dont les précieuses Reliques
Sont par ces bontés magnifiques
Dans un Reliquaire d’argent ;
Et l’on voit, d’un pas diligent,
Les Grands et petits de la Ville
(En tout temps en peuple fertile),
Le matin ainsi que le soir,
S’acquitter bien de leur devoir.
Pour moi, de tout mon coeur je prie.
Et voudrais au prix de ma vie
Prolonger le glorieux cours
De ses chers et de ses beaux jours.

Au Public volontiers j’expose
Qu’on fait encor la même chose
(Selon l’écrit qu’on m’a montré)
Dans le Couvent de Prémontré,
Pourvu du titre d’Abbaye,
Possédant mainte Chanoinie ;
Et Jean-Baptiste PENILLON,
Religieux de grand renom,
Abbé de ce grand Monastère,
Habille, pieux et sincère,
Qu’il régit bien par ses travaux,
En ses habits Pontificaux,
Suivi de tous ceux de son Ordre,
Marchant alors en fort bon ordre,
Vers la porte de ce Couvent [Abbaye d’Abbécourt, Ordre de Prémontré.]
(Ce qui leur arrive souvent),
D’un coeur dévot et non profane,
Prit un ossement de Sainte-ANNE
Des mains de Monsieur BIMENET,
Esprit aussi savant que net,
Qui fait voir autant de prudence
Que de savoir et d’éloquence,
Ce qu’on ne lui saurait nier
Dans le bel Emploi d’Aumônier
Et Prédicateur ordinaire
De LOUIS, de la REINE Mère,
Qu’il portait avec piété
De la part de Sa Majesté,
Ayant lors en sa compagnie
Un excellent et beau Génie,
À savoir l’Aumônier Ferrand, [Aumônier de la Reine.]
Rempli d’un mérite très grand.
Après le présent Angélique
De la glorieuse Relique,
On y chanta le TE DEUM,
On y fit la Procession,
Où Personnes plus de six mille
Soit du Village ou de la Ville,
Se rencontrèrent à la fois,
Le vingt-quatrième du mois,
Et tous le Sermon entendirent,
Qu’avec raison ils applaudirent,
Car des Récollets le Gardien [de St Germain en Laye.]
Sur ce Sujet prêcha fort bien.
Le dit Abbé, pour cette REINE,
Fait de son chef une Neuvaine
À l’Autel beaucoup estimé
De la Sainte que j’ai nommé
(Une Patronne glorieuse
De sa Maison Religieuse),
Pour lui témoigner désormais

Gratitude de ses bienfaits.
N’en déplaise aux Esprits critiques,
Agréablement les Reliques
De la campagne et de Paris
Trouvent place dans mes Écrits ;
Si ma Lettre en est moins rieuse,
Elle en paraîtra plus pieuse,
Et le cas est trop important
Pour n’en pas mettre tout autant.

Lettre du 2 août 1665, par Robinet.

-La Reine-Mère est de retour à Versailles :

La REINE-MERE de MADAME,
Fort passablement grande Dame,
À Colombe ayant fait un tour,
En est dès Lundi de retour
Auprès la PRINCESSE à VERSAILLES,
Qui n’est pas un lieu de Batailles,
Mais de doux divertissements,
Comme on le sait, des plus charmants.

-Le Roi, la Reine et de nombreux grands ont été témoigner leurs respects à Madame, après son accouchement au résultat funeste. Ce soutien lui a été d'un grand secours si l'on en croit Robinet.

Divers jours de cette Semaine,
Tantôt le ROI, tantôt la REINE
Et les Principaux de la COUR,
Ont eu soin, chacun à son tour,
D’aller voir l’illustre ACCOUCHEE,
Qui, bien loin d’en être fâchée,
En a senti dans son grand Coeur
Beaucoup de joie et de douceur.

Mais sa Couche aujourd’hui s’achève,
Et je pense qu’on la relève
Gaiement, solennellement,
Pour la ramener promptement,
Plus fraîche qu’une PRIMEVERE,
À notre Auguste REINE MERE,
Qui tendrement l’embrassera
Et mille fois la baisera.

Lettre du 8 août 1665, par Mayolas.

-La Reine-Mère est à l'extrémité :

Dimanche, notre REINE-MERE,
Sentant une douleur amère,
Mit la Cour en un grand émoi
Et nous causa bien de l’effroi ;
Un Abcès, contraire et propice,
Agissant selon son caprice,
Lui causa dangereusement
Un si grand assoupissement
Que cette REINE, encor vivante,
Semblait alors être mourante
Et reçut très dévotement
Sur le soir le SAINT-SACREMENT,
Avec une constance insigne,
De sa vertu tout à fait digne.
Les grands soupirs du Grand LOUIS
Dans son Château furent ouïs ;
Les yeux de la belle THÉRÈSE
Par des pleurs arrosaient leur braise.

Et, durant ce muet concert,
Tous deux parlant à cœur ouvert,
Un torrent de perles liquides
Parait leurs visages humides.
La REINE MÈRE des Anglais
En soupira plus de vingt fois ;
Les larmes du charmant PHILIPPES [sic]
Provenaient des mêmes principes,
Et sa très chère Épouse aussi
En eut certes le cœur transi ;
MADEMOISELLE fit entendre,
Par une amitié pure et tendre,
Tout ce qu’en cette occasion
Peut suggérer l’affliction ;
Tous nos Princes et nos Princesses,
Tous nos Ducs, toutes nos Duchesses,
Maréchaux, Comtes et Marquis,
Et cent Gens d’un mérite exquis ;
Ses Officiers et Domestiques,
Éplorés et mélancoliques,
Tant par devoir que par amour,
S’affligèrent tous à leur tour.
Sitôt que de cette nouvelle,
Dans notre Ville grand et belle,
Le bruit courut de Saint Germain,
Sans différer au lendemain,
Sans user d’aucunes remises,
On mit en toutes nos Églises
Le Saint SACREMENT sur l’Autel,
Pour demander à l’Immortel
Une prompte convalescence
De la REINE MERE de France ;
Nos vigilants et bons Pasteurs,
Religieux, Prêtres, Docteurs,
Les Paroisses et Monastères,
Firent redoubler les prières,
Qu’on oyait de chaque côté
Retentir dans cette Cité.
Leurs voix, jointes à mainte cloche,
Pouvant toucher un coeur de roche,
Tous les Habitants y couraient
Et soir et matin imploraient
Toute la céleste Puissance
Pour nous donner son assistance
Et le retour de sa santé
Généralement souhaité.
Enfin le Ciel, voyant nos larmes,
Bannit ces cruelles alarmes,
Et par un prompt soulagement
Flatte nos maux et son tourment ;
Chacun tellement s’intéresse
Pour cette suprême PRINCESSE
Que le plaisir qu’elle en aura
Au moment qu’elle le saura,
Adoucissant sa maladie,
Prolongera sa belle vie.

Lettre du 9 août 1665, par Robinet.

-Évocation de la Lettre sur le Festin de pierre :

Apostille.

Partisans du FESTIN DE PIERRE,
Indignés de l’injuste guerre
Qu’un atrabilaire Docteur
A faite à son célèbre Auteur,
Je vous avertis qu’une PLUME
Artisane de maint Volume,
L’a défendu, mais du bel air,
Et tout à fait avec méthode,
Sans citer Digeste ni Code.
Ne prenez pas Marc pour Renard,
Car ici, raillerie à part,
Et sans que Personne s’offense,
Ce n’est pas certaine Défense,
Qui depuis dix jours a paru,
D’un Auteur armé non à cru,
Qui carabinant [sic] et peu ferme,
Effleure à peine l’Épiderme.
Je parle d’un autre Galant,
Je parle d’un autre Assaillant,
Et d’une Escarmouche nouvelle,
Autant vigoureuse que belle,
Et vous apprendrez chez QUINET
Ce qu’ici vous dit ROBINET. [Dans la Galerie des Prisonniers, au Palais.]

Lettre du 16 août 1665, par Mayolas.

-Après les nombreux malheurs contés dans la précédente lettre sur la santé de la reine-mère, du prince de Condé et autres, une fête donnée à Bagnolet par la duchesse de Nemours donne à Mayolas l’occasion de se réjouir :

Après les pluies le beau temps,
L’Hiver nous conduit au Printemps,
L’Été nous ramène l’Automne,
Proche parente de Pomone,
Les ris viennent après les pleurs,
Les plaisirs suivent les douleurs,
Phébus luit après le nuage,
Le calme succède à l’orage,
Et le trésor de la santé
Renaît de l’incommodité,
PRINCESSE, la crainte et la peine
Que vous aviez l’autre semaine,
Ce bruit véritable et trompeur
Ne vous faisant plus mal ni peur,
J’aperçus sur votre visage,
Vous donnant mon dernier Ouvrage,
Une si douce gaieté,
Qu’elle augmentait votre beauté
Pour mieux témoigner votre joie,
De Bagnolet prenant la voie,
Dans un de nos riants Palais,
Orgueilleux de voir vos attraits,
Votre Âme grande et libérale
Y fit un superbe Régale
A plusieurs Gens de qualité,
Qui m’ont juré qu’en vérité
Ils n’avaient point vu de leur vie
Une table si bien servie
De viandes abondamment,
De fruits, de fleurs également,
Dont l’industrie et la largesse
Firent admirer Votre ALTESSE ;

-Après un déplacement à Saint-Germain, la Reine-Mère est de retour à Paris. Sa santé semble avoir tiré profit de ce voyage :

ANNE, ayant toujours bon courage,
Ici fit un heureux voyage,
Et, se portant de mieux en mieux,
Grâces au Ciel, grâces aux Dieux,
Presque guérie et beaucoup gaie,
Revint de Saint-Germain-en-Laye,
Mardi dernier, dedans Paris,
Et sa place au Louvre Elle a pris,
Comme en son lit, ou comme en chaise,
Cette REINE vint à son aise ;
Par quantité de bons Porteurs,
Très obéissants Serviteurs,
Etant fort doucement portée,
Elle ne fut point tourmentée
Et ne sent point d’effet malin
De la longueur de ce chemin.
Tous les Habitants de la Ville,
Abandonnant leur domicile,
Furent avec agilité
Voir arriver Sa Majesté
Pour témoigner par leur présence,
Par leur soin, par leur diligence,
Le plaisir de voir son retour
Dans cet agréable Séjour.
THÉRÈSE, sur l’après dînée,
Revint cette même journée :
Cette REINE, pleine d’appas,
Marchait dessus ses mêmes pas.
Le ROI, si pompeux et si rare,
Qui d’Elles point ne se sépare
Et qui les aime tendrement,
Les devança diligemment,
Et le DAUPHIN, beau, grand et sage,
Passant les forces de son âge,
Par un digne Objet gouverné,
Au même temps fut amené.

On reçut, de fort bonne grâce,
La REINE-MÈRE au VAL-DE-GRÂCE,
Retraite de dévotion
Et lieu de sa Fondation.
La Communauté de ces Dames,
Par les beaux transports de leurs âmes,
L’excès de leur contentement,
Ainsi qu’à Sainte Geneviève,
Faisant une pose assez brêve
A Nanterre, de ce Couvent
L’Abbé circonspect et savant
La fut haranguer à la porte
Comme une REINE de sa sorte.
Après avoir dans ce saint Lieu
Fort dévotement prié DIEU,
Par un Dîner plein d’allégresse,
On régale cette PRINCESSE,
Qui des remerciements leur fit
Et puis s’en vint, comme j’ai dit.

MONSIEUR, Prince très héroïque,
Et son Épouse magnifique,
Avec le reste de la Cour,
Arrivèrent le même jour ;
Quantité d’illustres Personnes
Suivaient ces trois Portes-Couronnes,
Dont le Train, derrière et devant,
Venait vite comme le vent,
Et la campagne était couverte
De couleur rouge, bleue et verte.

Maints chariots et maints mulets,
Grands chevaux et petits bidets,
Carrosses et Chaises roulantes,
Litières, calèches brillantes,
Cassettes, malles et bahuts,
Tuorbes [sic], Guitares et Luths,
Clavecins, violes, épinettes,
Fifres, tambours, hautbois, trompettes,
Épées, fusils et mousquets,
Carabines et pistolets,
Lits, matelas et couvertures,
Tapis, bergames et verdures,
Tableaux, chenets, ameublements,
Des parasols et paravents,
Broches, pêles, grills et marmites,
Réchauds, soufflets et lèchefrites,
Lardoires, poêles et poêlons,
Ecumoires et chauderons [sic]
Culiers [sic], fourchettes, plat, assiettes,
Nappes, draps, torchons et serviettes,
Cochers, Laquais et Postillons,
Et Cuisiniers et Marmitons,
Et le reste de l’équipage
D’un grand Prince qui déménage
Oserait à nos yeux en passant
Un aspect très divertissant,
Notre Cité rit à cette heure
Et celle de Saint-Germain pleure ;
L’une dit contre, et l’autre pour,
Mais enfin chacun à son tour.

-Comme de coutume cette fin d'année scolaire ne déroge pas au rituel de la représentation dramatique dans les collèges. Ici, il s'agit du collège de Clermont. La pièce a été suivie d’un ballet :

Il est juste que je vous die
Quatre mots de la Tragédie
Faite au Collège de Clermont,
Où grand fruit les Ecoliers font
Par les leçons des JESUITES,
Qui sont fidèles Casuistes,
Excellents Théologiens,
Eloquents Rhétoriciens,
Entendus en Mathématiques
Et Questions Philosophiques,
Aussi bien qu’en Humanités,
Qu’ils enseignent de tous côtés,
Par leur savoir et leur sagesse,
A la florissante Jeunesse ;
J’en puis jurer, car il est vrai
Qu’ils m’ont appris ce que je sais.

Selon la coutume ordonnée
Dans cette Maison chaque année,
Le Réverend Père DIEZ,
Un Esprit des plus déliés,
Dont la veine docte et fertile
Egale Sénèque et Virgile,
Ce poète et grand Orateur,
De cet Ouvrage fut l’Auteur,
Dont le nom fameux est IRLANDE,
Histoire belle, vraie et grande,
Ayant fait choix de bons Acteurs
Et fait instruire les Danseurs,
Qui dans leurs postures discrètes
Dansaient le Ballet des Comètes ;
Et les délicats Violons
Jouaient d’agréables chansons
Quantité de Gens remarquables,
Témoins de ces plaisirs aimables,
Avec les autres spectateurs
En furent les admirateurs,
Attentivement écoutèrent,
Et l’Auteur tout à fait louèrent.

Lettre du 16 août 1665, par Robinet.

-En bon parisien qu'il est, Robinet semble ravi du retour de la cour dans la capitale. Il passe tout de même en revue les divertissements que cette compagnie a goûté à Saint-Germain.

Enfin notre Brillante Cour
Est revenue en son Séjour,
Et c’est-à-dire dans LUTÈCE,
Qui d’un doux excès d’allégresse,
Est comblée, il est très certain,
Revoyant son grand SOUVERAIN,
Avecque ses Reines augustes
A qui nos Encens sont si justes,
Revoyant MADAME et MONSIEUR,
Vrais charmes des Yeux et du Cœur
Et la florissante NOBLESSE
Qui les accompagne sans cesse,
Y compris cent jeunes BEAUTÉS
Qui, suivant de tous les côtés,
Nos ravissantes SOUVERAINES,
Semblent d’autres petites REINES

Nous retenons donc notre COUR,
Le cher OBJET de notre amour ;
Elle a laissé, la chose est vraie,
Le CHÂTEAU SAINT-GERMAIN en Laye,
Où, certe [sic], elle s’égayait mieux
Que Cour qui soit dessous les Cieux :
Jugez-en, car, sans me méprendre,
Voici, comme j’ai pu l’apprendre,
Tous ses Ébats alternatifs
Depuis trois mois consécutifs ;
Les ravissantes Mélodies,
Les agréables Comédies,
Les grands et délicats Festins,
Si bons Amis des Intestins,
Les Branles de l’Escarpoulette [sic],
Où mainte charmante Poulette,
Qui la Cascade ne craint pas,
Faisait baller ses chers Appas ;
ITEM, les belles Promenades
Où règnent les claires Naïades,
Et c’est-à-dire sur les Eaux,
Dans les Nefs, Berges, ou Bateaux,
Que du vent de leurs tendres Ailes,
Les Amours, en faveur des Belles,
Mouvaient doucement sur les Flots,
En la place des Matelots ;
ITEM, les autres Promenades,
Où Flore et les vertes Dryades
Produisent, ainsi qu’à l’envi,
Des beautés dont l’on est ravi ;
Auquel lieu, sur mainte Calèche,
Qui les yeux plaisamment allèche,
Les Grâces avec les Amours
Roulaient sous différents Atours,
En un mot, la Chasse diverse,
Où notre POTENTAT s’exerce
Pour se délasser quelquefois
Des nobles Fonctions des ROIS,
Mais où ce plus GRAND des MONARQUES
Nous fait voir par de bonnes marques
Qu’il s’entend et réussit mieux
Que jamais n’ont fait ses AÏEUX
Ni tous les Souverains du Monde,
Tant sa Sagesse est sans seconde,
Et certe [sic] tout cela se voit
Et, comme on dit, se touche au doigt.

Passant, au retour, à COLOMBE,
Maison d’une illustre COLOMBE,
Ou d’une REINE dont le cœur
De la Colombe à la douceur,
Là ce charmant, là ce Grand SIRE,
Si digne du plus vaste EMPIRE,
Fut reçut cordialement,
Et traité magnifiquement,
Aussi bien qu’avecque liesse,
Par cette grande et noble HÔTESSE
Qui ne voulut oublier rien
Pour le régaler autant bien
Qu’il l’a régalée à VERSAILLE[S]
Où tout alla, le Blé, la Paille,
ID EST proverbialement
Où tout alla Royalement.

-Le Roi a présidé au déplacement de la Reine-Mère dans ce temple de Dieu dont elle fut la fondatrice, le Val-de-Grâce. Ainsi :

La Reine-Mère vit descendre
Où son Cœur héroïque et tendre
L’emportait agréablement,
En ce VAL célèbre et charmant [Le Val de Grâce.]
Que sa PIÉTÉ libérale,
Que sa PIÉTÉ sans égale,
A rendu si pompeux, si beau,
Qu’il n’est Couvent, vieux ni nouveau,
Qui puisse causer l’allégresse ;
Tels furent ceux que la PRINCESSE
Put causer dans les chastes Cœurs
Tant des MÈRES comme des SŒURS,
Qui sont les VESTALES SACRÉES,
Illec à l’AGNEAU consacrées,
Et qui n’ont dans ce cher SÉJOUR
D’autre zèle ni d’autre amour,
Après DIEU, que pour l’illustre ANNE,
D’où leur vient la meilleure MANNE.
Mais Elle aime avecque raison
Cette auguste et sainte MAISON
Et toutes ces dévotes NONNES,
Du divin ÉPOUX les MIGNONNES,
Car on y prie incessamment
Et mêmes [sic] efficacement
Pour nos DIVINITÉS visibles.
Oui, les effets en sont sensibles,
Et je crois qu’à leurs ORAISONS
Nous devons tant de Guérisons.

Lettre du 23 août 1665 par Mayolas.

-Les Neuvaines se succèdent pour la guérison de la Reine-Mère :

L’on fait ici mainte Neuvaine
Pour la guérison de la REINE :
La plus grande félicité
Semble établie en sa santé,
Et le Ciel l’on prie et l’on presse
Pour cette importante PRINCESSE.

-Conformément à ce qui sera désormais leur habitude, les épigones de Loret commencent de parsemer leurs gazettes d'anecdotes ou autres historiettes à tonalité comique. Le but, comme dans le cas d'une fable, est souvent d'en tirer une certaine leçon. Ainsi, l'histoire de ce cupide... :

Un homme d’esprit et d’intrigue,
Sans user d’une longue brigue,
Menant une jeune Beauté,
Par un effet de charité,
Chez un Gentilhomme assez riche,
Dont l’humeur n’état pas bien chiche,
Pour acheter quelque tableau
Qu’elle trouvait aimable et beau,
Soit tout de bon ou soit par feinte,
La Dame, sans nulle contrainte
Et d’un air assez obligeant,
Étant d’accord, donne l’argent.
Il examine son visage,
Son air, son port et son langage,
Il y trouve un je-ne-sais-quoi
Qui le blesse bien plus que moi ;
Par ses yeux il sent dans son âle
Couler une subtile flamme,
Et, tirant à part son Meneur,
Qu’il croyait être Homme d’honneur,
Il lui demande en trois paroles,
« A-t-elle beaucoup de pistoles ? »
L’autre dit, sans être confus ;
« Elle a vingt-et-cinq mil écus. »
À ces beaux mots prêtant l’oreille,
Aimant déjà cette Merveille,
Pour s’acquitter de son devoir,
L’Amant demande à l’aller voir ;
Il l’obtient, ayant du mérite ;
Il l’entretient, il la visite,
Et, désirant se marier,
Sans se faire beaucoup prier,
Tous trois ayant conclu l’affaire,
Ils firent venir le Notaire ;
Et, se voyant huit sacs d’écus d’or,
Ébloui de ce grand trésor,
Sans vouloir compter la finance,
Le contrat il signe et quittance,
Et chez l’Ami, sans dire mot,
Laisse son argent en dépôt
Pour aller achever l’ouvrage
Et consommer son mariage.

Fort satisfait de ses amours,
Après l’espace de deux jours,
Revenant chez le susdit Homme
Pour emporter icelle somme,
Par malheur il n’y trouve rien,
Meubles, sacs, or, Homme, ni bien.
La colère aussitôt l’enflamme,
Il gronde et s’en prend à sa Femme ;
Je ne sais rien de tous ces faits,
Si ce n’est qu’elle n’en peut mais.

Lettre du 23 août 1665, par Robinet.

-Selon ses propres mots, Robinet est "désespéré" par l’état de santé de la Reine-Mère. Prières et supplications n'y changent rien !

Si pourtant de la REINE-MÈRE
La santé précieuse et chère
Revenait en son premier point ;
Je ne désespérerais point,
Suivant les transports de mon zèle
De faire une Épître aussi belle
Sur un si ravissant Sujet
Que celle qui n’eut pour Objet
Que cette affreuse Léthargie
Qui menaçait sa belle Vie,
Mais, hélas ! malgré tous les Vœux
Que l’on envoie en foule aux Cieux,
Malgré nos soupirs et nos larmes,
Malgré nos pressantes alarmes,
L’HÉROINE languit toujours,
Et son mal cruel suit son cours,
Comme s’il voulait pour nos crimes
La plus ILLUSTRES des VICTIMES ;
Voilà ce qu’il faut, cher Lecteur,
Que, percé jusqu’au fond du Cœur,
Pour premier avis je te die [sic],
Et l’IMMORTEL y remédie,
S’il aime l’EMPIRE des LYS
Tout autant qu’il l’aimait jadis !

-La fête de l’Assomption, cependant, redonne un peu de joie à ces temps sombres :

Le jour où l’on fait la Mémoire
Du TRIOMPHE éclatant de GLOIRE
De l’IMPÉRATRICE des CIEUX,
Notre MONARQUE, aussi pieux
Qu’il est et magnanime et sage,
Et qui rend un très humble hommage
De son Sceptre et de ses États
A la REINE des POTENTATS,
Pour signaler ce juste zèle
Qu’il a toujours montré pour elle,
Fut en l’Église des FEUILLANTS,
Dedans et dehors, purs et blancs,
La REINE, autant belle que bonne,
Joignait ce Grand PORTE-COURONNE ;
MONSIEUR pareillement, auprès,
Faisait éclater ses attraits,
Et les DAMES, comme des GRÂCES,
Marchaient en foule, sur leurs Traces,
Avec un Flot de Courtisans
Fort frisés, poudrés et luisants,
A leur Entrée, une MUSIQUE, [La Musique du Roi.]
Qu’on peut appeler Angélique,
De ses Voix et ses INSTRUMENTS
Fit ouïr les accords charmants,
Et chacun se crut plus d’un heure
En cette éternelle Demeure
Où de célestes ARIONS,
Où de célestes AMPHIONS,
Par d’extasiantes merveilles,
Des DIEUX enchantent les oreilles
Il ne restait plus qu’un Discours
Qui ne fût pas de tous les jours,
Je veux dire un Panégyrique,
Docte, disert, et spécifique,
Et l’un des Père du Couvent [Dom Juan de Saint Lambert.]
Fort jeune et pourtant bien savant
(J’en ai des preuves pour le croire)
Le tenait prêt dans sa mémoire ;
Mais quoi ! notre COUR s’en alla
Dès qu’eut fait, le RE, FA, SOL, LA.

Chez les pieuses CARMÉLITES,
D’ANNE et du CIEL les Favorites,
On satisfait, mais comme il faut,
Depuis huit jours, à ce défaut.
On dit que huit PANÉGYRISTES,
Dont j’ai très peu suivi les pistes,
Sur la TRIBUNE tour à tour
Donnent un admirable jour,
Par leur éloquence fleurie,
À l’ASSOMPTION de MARIE.
Ensuite, on chante des Saluts,
Où les Clavecins et les Luths,
Les Violons et les Théorbes
Égalent des célestes ORBES,
La symphonie et les accords
Que PLATON donne à ces grands CORPS,
De plus, le fameux de la GRILLE,
Qui chante aussi doux qu’une Fille,
Y fait ouïr sa belle Voix
Qui charme le plus grand des ROIS,
Et CAMBERT, qui bat la mesure, [Maître de la Musique de la Reine-Mère.]
Ayant donné la Tablature
De tous ces ravissant Concerts,
Y fait voir qu’il est des Experts.

Notre charmante SOUVERAINE
S’y trouve et chaque jour y mène
Ce beau Lys qu’elle a mis au Jour, [Monseigneur le Dauphin.]
Sous la FORME d’un jeune AMOUR,
Mais Amour dont les DESTINÉES
Formeront dans quelques années
Un HÉROS à Louis Pareil,
Unique comme le SOLEIL.
Tant de BEAUTÉS, à son exemple,
Se rendent en ce sacré TEMPLE
Que, l’un de ces jours que j’y fus,
(De quoi, certe [sic], j’étais confus)
Plus de douze, à faute de chaise,
Pour se mettre plus à leur aise,
Étaient à mes pieds à genoux,
J’en cru voir l’AMOUR en courroux ;
Il me sembla l’entendre même,
Qui, piqué d’un dépit extrême,
Me disait que c’était à moi,
Selon l’ordre et selon la loi,
D’être aux pieds de toutes ces BELLES,
Quelques-uns diront : « bagatelles »,
Mais à d’autres cela plaira,
Ainsi cet endroit passera.

-Dans la semaine, le roi a reçu en audience des députés bourguignons. L'Abbé Le Tellier a fait montre de ses dons d'orateur dans une harangue remarquée :

Les DÉPUTÉS de la Province [de Bourgogne.]
Dont GOUVERNEUR est un grand PRINCE
(Et l’on en est persuadé
Sitôt qu’on prononce CONDÉ).
Du MONARQUE eurent audience,
Quand ? ce fut Mardi, que je pense.
Oui, le Lecteur peut s’y fier ;
Et l’illustre ABBÉ LE TELLIER,
Qui pour tous portait la parole,
(Ceci n’est point une hyperbole)
S’énonça si divinement
Que son Discours, fort et charmant,
Transporta toute l’Assemblée
Qui de plaisir en fut comblée.
Cet ORATEUR brillant et fin
A la REINE, à son cher DAUPHIN,
Autre Harangue fit pareille,
Et, pour augmenter la merveille,
Chez MONSIEUR, devant maints Témoins,
Il dit tout aussi bien du moins.

-D'une harangue à l'autre, notre gazetier évoque celle d'un évêque italien donnée chez les Feuillants pour la fête de Saint-Bernard :

En trois heures au plus je fis cette Dépêche,
Aussi dévote qu’elle est fraîche,
Aux FEUILLANTS, le Jour de leur SAINT, [Saint Bernard.]
Dont l’Éloge, ample et non succinct,
Fut fait dans leur riante Église
Par un PRÉLAT que fort on prise
Et lequel, quoiqu’ITALIEN, [l’Évêque de Mandé]
Prêche en Français pourtant et s’en démêle bien.

Des SOUVERAINES la MERVEILLE
(C’est notre REINE nonpareille)
Fut sur le soir au même lieu,
Pour honorer Bernard et prier le bon DIEU.

Lettre du 23 août 1665, par Boursault.

-C'est au tour de Boursault de rapporter la harangue de Le Tellier citée ci-avant :

Mardi dernier... Est-ce Mardi ?
Non, je crois que c’est Mercredi,
Un Abbé, mais de premier ordre,
Que l’envie aurait peine à mordre,
Et qui délicate langue a,
Avec grand succès harangua
LOUIS, ce Monarque si Juste,
THÉRÈSE, son Épouse Auguste,
Et Monsieur le Fils de tous deux,
Qui doit être Illustre comme Eux.
Messieurs les États de Bourgogne
Ne mirent jamais en besogne
Aucun Chef qui parlant pour eux
Avec un succès plus heureux,
Du plus élevé des Génies
Les Harangues étant finies,
Aux yeux du Clergé là présent,
Il fit à Louis son présent.
Le Roi, satisfait de son zèle,
Trouva sa harangue fort belle,
Et tout ce qu’il eut d’Auditeurs
Furent autant d’Admirateurs.
Pour moi, qu’une bouche fidèle
Instruisit de cette nouvelle,
J’en fus charmé, j’en fus épris,
Mais je n’en parus point surpris.
Cet Esprit d’un mérite insigne
Ne fait rien dont il ne soit digne,
Et c’est faire un éloge entier
Que nommer l’Abbé le Tellier.

Lettre du 30 août 1665, par Mayolas.

-Est-on à ce point désespéré par la mauvaise santé de la Reine-Mère que l'on s'en remet à la superstition pour avoir un peu d'espoir ? C'est probablement ce qu'il faut lire dans ces lignes de Robinet :

Il court une certaine prophétie
Qui n’est pas encor éclaircie,
Mais qui pourtant, de jour en jour,
Fait des progrès en ce séjour :
Cet heureux et ce bon augure
Charme les peines qu’on endure :
Cette douce prédiction
Flatte notre inclination,
Et de la part des Destinées
Nous promet que plusieurs années
La REINE-MÈRE règnera
Et que fort bien se portera.
Je déclare en mon Préambule
Que je ne suis pas trop crédule,
Et d’ordinaire je ne crois
Que les vrais Articles de Foi ;
Cependant, lorsqu’on nous présage
Quelque bonheur, quelque avantage,
Je crois les biens, non pas les maux,
Soient-ils véritables ou faux.
Vertueuse et chère PRINCESSE,
À qui mes Épîtres j’adresse
Et tous les entretiens du temps,
Ceux-là sont bien plus importants
Que ceux du Cours et des Ruelles ;
Disons donc ces bonnes Nouvelles.

Après tant de cris et de vœux
Et des Remèdes merveilleux,
Après tant de sainte Neuvaines,
Qui jusqu’ici ne sont pas vaines,
La REINE-MÈRE assurément,
Se porte bien présentement ;
Le Ciel (qui toujours la conserve !)
Pour notre bonheur la réserve ;
Ayant invoqué tous les Saints,
Ils favorisent nos desseins,
LE ROI, MONSIEUR avec la REINE,
Ont tant prié chaque semains,
Ainsi que le cœur des Français,
Qu’enfin on exauce leur voix.

-Face au mal, tout de même, on n'est pas resté sans agir. Le Médecin Aliot s'active au chevet de la Reine-Mère :

Le sieur ALIOT, Homme très rare,
Qu’au grand Galien on compare,
Par des secrets presque divins,
Approuvés de nos Médecins,
Si favorablement la traite
Qu’Elle est en santé très parfaite,
Et ces surprenantes faveurs
En plaisirs changent nos douleurs.

Rengainez, Mesdames les Parques,
Qui prenez Reines et Monarques ;
Et vous aussi, cruelle Mort,
Retirez-vous dans votre Fort,
Ou bien courez vite en Turquie
Exercer votre barbarie,
Et, tournant vers la tous vos traits,
Laissez-nous ici vivre en paix.

-D'un état de santé à l'autre, Robinet en vient à celui du Roi. Mal en point ces derniers temps, une saignée l'a revigoré :

Notre Grand ROI, dont la tendresse
L’attachait près cette PRINCESSE,
Se trouvant presque indisposé,
Deux ou trois jours s’est reposé.
Et par une heureuse saignée
Sa maladie est terminée.
Cette bonne précaution,
Chassant l’indisposition,
Ce PRINCE, qu’on aime et révère,
Dont la vie à tous est si chère,
Est en très parfaite santé,
Autant qu’il l’ait jamais été,
Et notre Auguste Souveraine
Est toujours belle, fraîche et saine.

-Après la Saint-Bernard chez les Feuillants, la Saint-Louis est fêtée chez les Jésuites : à un bel orateur en succède un autre.

Le jour du Grand ROI SAINT LOUIS,
Ses Éloges furent ouïs,
Surtout, dans la Maison Professe [des Jésuites.]
Où se trouva notre PRINCESSE ;
Le Père GIROU, grand esprit,
Avec applaudissement fit
Le glorieux Panégyrique,
Qu’avait précédé la Musique,
Et chacun fut si satisfait
De son Sermon docte et parfait
Que son éloquence eut la gloire
De ravir tout son Auditoire.

-Des activités du Dauphin, on n'est pas en reste. Celui-ci a participé à une cérémonie religieuse dans le cadre de la même saint-Louis.

Ledit jour, notre beau DAUPHIN,
Sur les dix heures du matin,
Dans l’Église de Saint Eustache
(Où le bon Pasteur sans relâche
Témoigne son pieux souci),
Rendit les Pains Bénis aussi,
En la Chapelle très jolie
De la Confrérie établie
À l’honneur du Grand Saint Louis.
Plusieurs Dames, par maints Louis
Et par les effets de leur zèle,
La rendent fort propre et fort belle.

-Le père Romuald publie ses Éphémérides :

Je ne puis passer sous silence
Que, pour marque de bienveillance,
DOM ROMUALD, Père Feuillant,
Toujours priant ou travaillant,
Dont la docte et fertile Plume
A composé maint gros Volume,
L’ayant l’autre jour visité,
Par un effet de sa bonté,
Me fit présent de deux beaux Livres
Que j’estime plus de cent livres.
Que dis-je ? ses rares écrits
Certainement n’ont point de prix,
Mais surtout ses ÉPHÉMÉRIDES
Qui contiennent choses solides,
Où parmi ces solidités
On voit cent curiosités.
C’est un Journal Chronologique,
Véritablement Historique,
Qui, depuis les commencements
Des siècles jusques à ce temps,
Marque les sièges, les batailles,
Les naissances, les funérailles
Des Papes et des Rois Chrétiens,
Ainsi que des Princes Païens,
Que sa lecture et son étude,
Au milieu de la solitude,
Ont fait pour notre utilité,
Digne de l’immortalité.

-Colbert est nommé à la charge de Trésorier de l'Ordre du Saint-Esprit :

Jeudi dernier, Monsieur COLBERT,
Qui fidèlement l’État sert,
Dont le zèle et la vigilance
S’emploient au bien de la France,
Fit serment et jura sa foi
Entre les mains de notre Roi
Autant pour la Commanderie
Que la grande Trésorerie
De l’Ordre des Grands Chevaliers,
Qui sont tous braves Cavaliers.
Ce Monarque plein de justice,
Pour reconnaître son service,
Ses soins et sa fidélité,
Lui donne cette Dignité ;
Ce Mortel si rare et si sage
En mérite encor davantage.

-Le Lieutenant-Criminel de Paris, Jean Tardieu, ainsi que sa femme, ont été assassinés dans l'intimité de leur Logis parisien.

Le jour de Saint Barthélémy,
Pendant que j’étais endormi,
Deux frères, d’humeur carnassière,
Par une tragique manière,
Terrassèrent d’un coup mortel
Notre Lieutenant Criminel.
Ces Gens, se voyant sans ressource,
Furent lui demander sa bourse,
Et, n’en pouvant avoir raison,
Le tuèrent dans sa maison.
La Lieutenante Criminelle
N’évita pas leur main cruelle,
Et tous deux, au même moment,
Trépassèrent subitement.
Il exerçait bien son Office,
Rendait à tous bonne justice,
Et les méchants savait ranger ;
Il était fort bon ménager,
Faisait très modique dépense,
Amassait beaucoup de finance,
Et je crois que ses Héritiers
Profiteront de maints deniers.
L’un et l’autre rendirent l’Âme
Ainsi que Thisbé et Pyrame.
Je souhaite que devant DIEU
Soit l’Épouse et l’Époux Tardieu.

Quatre jours après, les coupables
De ces actes épouvantables
Furent punis bien rudement
Et, sans doute, fort justement.

Lettre du 30 août 1665, par Robinet.

-Robinet évoque à son tour la nouvelle charge à laquelle Colbert a été élevé par le Roi son maître :

Le sublime et l’humble COLBERT,
Qui ce Grand ÉTAT si bien sert,
Et je le dis sans flatterie,
De la Grande TRÉSORERIE [de l’Ordre.]
S’est vu pourvoi très dignement
Par notre MONARQUE charmant,
Qui sait reconnaître le zèle
De ce Serviteur si fidèle,
Désormais donc ledit SEIGNEUR
Portera la marque d’honneur,
Sans que Personne y trouve à mordre,
Qu’ont tous les OFFICIERS de l’ORDRE.

-La Reine-Mère d’Angleterre venue en France rendre visite à son homonyme a eu recours aux eaux thermales :

La REINE-MÈRE d’ANGLETERRE
(Que Dieu gard[e] sur l’Onde et sur Terre !)
Étant venue en cette Cour
Voir l’illustre ANNE l’autre jour,
Est allée à BOURBON, pour boire
De ces Eaux où l’on nous fait croire
Que plusieurs trouvent guérison,
D’ordinaire, en cette Saison.

Grâce au CIEL, ici l’on espère
Que celle de la REINE-MÈRE
Enfin couronnera nos Vœux,
Par les Effets tous merveilleux
D’une autre Eau qu’un Homme bien sage
À cet effet met en usage.

-Après son fils le Dauphin, c'est la Reine qui fait montre de sa piété pour la saint Louis :

La REINE, si digne d’Amour,
Avecque sa brillante COUR,
Comme Elle est et Dévote et bonne
Tout autant que le soit personne,
Le Jour de SAINT LOUIS, alla
Et sa Piété signala
En ce superbe et pompeux TEMPLE [l’Église de Jésuites de la rue Saint Antoine.]
Qui dans l’EUROPE est sans exemple,
Et de ce Saint de grand Renom
Porte l’illustre et fameux Nom.

-A la suite de Mayolas dans la lettre précédente, c'est au tour de Robinet de rapporter la nouvelle de l'assassinat du Lieutenant-Criminel Tardieu et de son femme.

Avant que fermer l’Écritoire,
Narrons la pitoyable Histoire
Dont Gens de Ville et Gens de Cour
Font leur entretien en ce Jour.
LUNDI, pour les Défunts funeste,
Deux FRÈRES, jouant de leur reste
Pour être riches ou roués,
Après s’être au Diable voués
(Car à DIEU cela ne peut être),
Suivant la Loi d’un si bon Maître,
Viennent, par l’ordre du DESTIN,
Chez TARDIEU heurter le matin.
Son Épouse, qui d’ordinaire,
Faute de Suisse ou de Cerbère,
Gardait, et non pas sans raison,
La Porte de cette Maison,
La vient ouvrir à ces deux Drôles,
Prêts à jouer d’étranges rôles.
Ayant refermé l’huis sur eux,
Sans s’amuser à songer creux,
Il lui disent en trois Paroles :
« Avez-vous cinquante Pistoles
» À nous prêter dans le besoin ?
» Nous vous les rendrons avec soin ;
» Il les faut pour un Mariage.
» Ça, donnez, sans plus de langage. »
La Dame, interdite à ces mots,
Qui peu lui semblaient à propos,
En reculant paraît rétive,
Et leur répond par négative ;
Mais les deux Frères Mendiants,
Sur ce refus, en maugréant,
D’un Instrument à plomb et poudre,
Aussi meurtrier que la Foudre,
Lui donnent, au même moment,
Droit dans le Chef, sans compliment.
D’un Coup Madame Tardieu tombe
Et n’est plus qu’un sujet de Tombe.
Monsieur Tardieu venant au bruit,
D’un coup tout semblable il la suit ;
Mais, comme toutefois il crie,
Avant qu’éprouver leur furie,
Trois ou quatre fois « Au Voleur »,
Et que les Armes, par malheur,
Avertissent le Voisinage
Que léans on fait du Carnage,
Nos Gens sur le Fait sont surpris,
Et c’est-à-dire qu’ils sont pris,
Comme on l’a dit, s’ils ne s’envolent.
Ces deux Assassins se désolent
De voir leur dessein avorté
Et plus encor, en vérité,
De prévoir que sur une Roue
Ils s’en vont faire laide moue.
Ils ne cherchaient pas celle-là ;
Hélas ! pourtant les y voilà ;
Oui, tout Paris les y contemple.
Ah ! profitez de cet Exemple,
Maudits Larrons, qui ne voulez
Que Biens mal acquis et volés.
Mais vous, qui brûlez d’avarice,
Venez voir à quel Précipice
Conduit l’Argent que vous aimez
Et dont vos Cœurs sont si charmés.
Mais, ô Muse Historiographe,
Ajoutons trois mots d’Épitaphe.

L'émotion suscitée par un tel acte est grande. Robinet poursuit son office "funèbre" :

ÉPITAPHE.

Ci-gît un très Grand Magistrat,
Que redoutait tout Scélérat,
Homme de Bien, bon Économe,
S’il en était dans le Royaume ;
Qui, n’étant superbe ni vain,
Foulait aux pieds l’éclat mondain,
N’ayant, quoiqu’il fût à son aise,
Cheval, ni Carrosse, ni Chaise.
Il fit de son célèbre Emploi
Les Fonctions en bonne foi,
Jusques même après sa vie.
En dépit de la noire Envie,
Ce que je dis est très certain,
Car, par un Tragique Destin,
Sur la Roue il fit rendre l’Âme
À ceux qui finirent sa Trame.
Madame sa chère Moitié,
Très digne de son Amitié,
Pour être en ses mœurs si semblable
Qu’il paraissait indubitable
Que l’un pour l’autre ils furent faits,
Ainsi qu’Originaux parfaits,
Git en la même Sépulture ;
Et, par une même Aventure
Étant morts en même moment,
On ne fit qu’un Enterrement.
Ainsi la Fortune bien sage,
Ayant connu le bon ménage
Qu’ils avaient fait de leurs Trésors,
A permis que pour les deux Corps
On n’ait rien fait qu’un seul Service.
Pour leur être toujours propice,
Pour retrancher encor les frais
Et leur épargner des Regrets,
Par une Lésine plénière,
Il n’aurait fallu qu’une Bière,
Mais pour ce point fort prudemment
On les a amis séparément,
De crainte qu’il leur prît envie
De s’entrepicoter [sic] comme pendant leur vie.

Puisqu’il faut justement dater,
Cette Lettre, à bien supputer,
Fût, je vous proteste, rimée
Deux jours avant qu’être imprimée.

[Appendice aux Lettres du 30 août 1665.]

LA PRISE DE DEUX MAUDITS SCÉLÉRATS ET MEURTRIERS, LESQUELS ONT TUÉ ET ASSASSINÉ MONSIEUR LE LIEUTENANT-CRIMINEL ET SA FEMME, DANS LEUR MAISON, EN PLEIN MIDI.

Sur le chant : ADIEU NYMPHES DES BOIS.

Grand Dieu, Roi de humains,
Auteur du genre humain,
Faut-il que je récite
Un sujet étonnant,
Barbare et trop sanglant ?
Or entendez la suite.

Jour Saint Barthélémy,
Un des fidèle ami [sic]
De Jésus-Christ aimable,
Un jour de grand renom,
Et partout ce saint nom
Est fort recommandable,

Deux perfide inhumain [sic],
Ce jour, pour le certain,
D’une rage animée,
Sans craindre Jésus-Christ,
Ont commis grand délit :
Ô cruelle pensée !

Furent diligemment
Heurter fort hardiment
À la porte fermée
Du Lieutenant Criminel,
Sujet par trop cruel,
La chose est assurée.

Sitôt étant entré,
Sans propos ni narré,
Ont poignardé Madame ;
Sans cause ni sujet,
Commettant ce mal fait,
Lui ont fait rendre l’âme.

Aussitôt à Monsieur,
Lieutenant, plein d’honneur,
Criminel de la Ville,
L’entendant s’écrier,
Lui ont fait endurer
Une mort très horrible.

D’un pistolet chargé,
Comme des enragé [sic],
Lui ont dedans la tête,
Donné comme inhumain,
À dix heures au matin,
D’une rage parfaite.

L’on réduit au tombeau,
Couché sur le carreau
(Grand Dieu quelle arrogance !)
Sans crainte d’être pris ;
Mais Jésus a permis
Qu’ils sont pris d’assurance.

Ce crime est odieux
Et demande aux Cieux
Un rigoureux supplice,
Et pour s’être attaqué,
Ayant ainsi choqué
Messieurs de la Justice.

Prions l’Éternel,
Jésus-Christ l’immortel,
La sainte Vierge Mère,
Afin qu’au firmament
Tous deux soient jouissants
De l’Éternelle gloire.

S. l . n. d., placard in-fol.

(Biblioth. de M. le Baron J. Pichon).

Lettre du 6 septembre 1665, par Mayolas.

-En ce début septembre, le Roi s'adonne à son activité favorite : la chasse. Peut-être cherche-t-il à chasser tout ensemble gibier et inquiétude concernant la santé de sa mère.

Le ROI, qui tous les Rois surpasse,
Mercredi, prit l’air à la chasse,
Vers ce riche et brillant Château [Versailles.]
Qui chaque jour devient si beau
Qu’il semble le Palais des Grâces ;
Plusieurs Seigneurs suivaient ses traces,
Et tous, soumis à son désir,
L’accompagnaient en ce plaisir.
Sa main, adroite et fort habile,
À tirer très prompte et subtile
Aux Sangliers, Perdrix, Perdreaux,
Aux Cerfs, Lièvres, Lapreaux,
Par on adresse souveraine,
Souvent en tue une centaine,
Mais ils sont trop heureux, ma foi,
De mourir de la main du ROI,
Et du plus puisant Roi du Monde,
Qu’on craint sur la Terre et sur l’Onde.

-La Reine-Mère, précisément, semble se porter mieux : de vraies raisons d'espérer ?

La REINE-MÈRE heureusement
Se porte mieux journellement ;
On voit en Elle l’apparence
D’une entière convalescence ;
Un bien si cher, si glorieux,
Paraît clairement dans no yeux,
Et l’incomparable THÉRÈSE
Des premières en et bien aise.

-D'un état de santé à l'autre, l'on passe à celui du Pape qui inquiète également :

On m’a dit que SA SAINTETÉ,
N’est pas en trop bonne santé,
Que sa maladie ordinaire
Presse de bien près ce Saint-PÈRE,
Que sa vie est sur le déclin
Et que son cours tire à la fin.
La dureté de certaine pierre
Si fort l’incommode et le serre
Qu’on croit qu’il est en grand danger !
DIEU le veuille bien soulager !

Lettre du 6 septembre 1665, par Robinet.

-Quelques nouvelles de l'Institution religieuse sont relatées par Robinet parmi lesquelles les honneurs rendus au Père Le Boux par ses pairs.

VENDREDI, jour auquel l’ÉGLISE
Son cher AUGUSTIN solennise,
Ce grand Débauché Pénitent
Et notre Modèle éclatant,
Ledit CLERGÉ, qui le révère,
Lui rendit en ce Monastère
Des honneurs brillants et pompeux,
À la clarté de mille feux.
PRIMO, notre PRÉLAT illustre
À cette fin, dans un beau lustre,
Officia pieusement
Et très majestueusement,
Puis ce PRÊTRE de l’ORATOIRE, [Le Père Le Boux.]
Qui, par un beau comble de Gloire,
En MYRTE a changé son BONNET,
En son style brillant et net,
Ardant, curieux, énergique,
Fit un si beau Panégyrique
Que l’on dit encor aujourd’hui
Qu’il tira l’Échelle après lui.
Mais ajoutons dans notre Lettre
Qu’il fallut pourtant la remettre
Pour un autre ORATEUR myrté [sic],
De crainte d’être chapitré,
Car j’ai su de mainte Personne
Que Monsieur l’ÉVÊQUE D’OLONNE,
Après Vêpres, le même Jour,
Monta dans la CHAIRE, à son tour,
Pour un second Panégyrique
De ce SAINT MONSTRE de l’AFRIQUE.

Tandis que je suis là-dessus,
MUSETTE, remarquons de plus
Qu’aux AUGUSTINS qui se déchaussent
Et qui sur Patins se rehaussent,
En imitant leur Saint PATRON,
Qui marchait déchaux [sic], ce dit-on,
Le Sieur ABBÉ la BOUVERIE,
Dont l’éloquence est si fleurie,
Fit un Éloge délicat,
Qui valait mieux que l’or Ducat.

-En ces temps de santé incertaine, notre gazetier évoque l’existence d’un guérisseur en Irlande. Que ne puisse-t-il adjoindre ses forces à celles des Médecins de la Reine-Mère !

Un des Habitants de l’IRLANDE,
Digne d’une belle Guirlande,
S’il est bien vrai ce qu’on en dit,
Miraculeusement guérit
Tous les Maux et tous les Malades,
Comment ? par ses seules œillades,
Ou, ce dit-on, tout simplement
Par un bénin attouchement.
Ainsi tous les Paralytiques,
Les Aveugles, Pierreux, Phtisiques,
Les Écrouellés [sic], les Goûteux,
Les Sourds, les Borgnes, les Boiteux
Les Fébricitants [sic] et tous autres,
Mieux qu’autrefois par les APÔTRES,
Sont guéris par cet Irlandais
Avec ses TOUT PUISSANTS DIX DOIGTS.
Doucement et de bonne grâce
Dessus votre Mal il les passe,
Et par de simples Frictions ;
« Allez, nous vous congédions, »
Dit-il, « ô Madame la Fièvre,
» Qui voulez faire Ici la mièvre,
» Esquivez, noir Aveuglement,
» Sortez de ces Yeux prestement ;
» Dénichez, Goûte opiniâtre ;
» C’est trop faire l’acariâtre.
» Paralysie, allons, campos,
» Et laissez ces Membres dispos !
» Abandonnez ces Reins, Gravelle ;
» Faite gille, laide, Écrouelle.
» Adieu, Vous, qui que vous soyez. »
Quels Prodiges ! Lecteur, voyez
Si l’on peut faire davantage.
Ô Ciel ! quel est ce Personnage ?
Il était jadis Lieutenant,
Il est Luthérien maintenant ;
Mais, quel qu’il soit, qu’il vienne en France,
Qu’il s’y transporte en diligence,
Et, s’il peut la Reine guérir,
De l’Encens je lui veux offrir.

-Mais la Reine-Mère se remet, précisément grâce à l'action d’un médecin :

Mais Haliot fait des Merveilles,
Et l’on espère de ses Veilles
Et de l’usage de son Eau
Qu’il la sauvera du Tombeau,
Selon l’ordre des Destinées,
Encor pour deux fois dix Années.
Dieu veuille que l’HOROSCOPEUR
Qui le dit ne soit pas trompeur !

-Suivent ensuite, dans le récit de Robinet, une sorte de rubrique nécrologique et une évocation des grands malades de son époque.

La noble DAME de BRIENNE,
Qui n’était pas beaucoup Terrienne,
(C’est-à-dire aimant le bon Dieu)
Qui sur la Terre tenait peu,
A pris son vol vers l’Empirée
Et dans le CIEL s’est retirée :
J’entends son Âme, et, pour le Corps,
Il attend au nombre des Morts
(Ô Dieu, l’admirable merveille !)
Que la TROMPETTE le réveille.

Comme chacun diversement
Prend le Chemin du Monument,
Certain Enfant de Chœur, naguère,
Le prit d’une étrange manière,
Car, d’un troisième Étage en Bas
Tombant, il trouva le Trépas.
À peu tient que je ne le blâme
D’avoir mal entendu la GAMME,
Et certes, en un tel Dessaut,
Il la prenait d’un Ton trop haut.

Un COURRIER dépêché de ROME
A rapporté que le SAINT-HOMME,
Par soixante et sept ou huit ans
Et d’autres fâcheux accidents,
Outre deux Tailles et la Goûte,
Autant de fâcheux maux sans doute,
Semblait vouloir quitter ces Lieux,
Pour aller joindre dans les Cieux
Son grand PRÉDÉCESSEUR SAINT-PIERRE,
Qui fut ce qu’il est sur la Terre,
Excepté pourtant le TRÉSOR,
Car il avait un peu moins d’or.

-Résolument engagée dans la thématique médicale, la lettre se termine par l'éloge d'un chirurgien lyonnais fameux pour ses talents à guérir la maladie de la pierre :

AVIS.

Ô Vous que la PIERRE travaille,
Je vous indique un HOMME excellent pour la TAILLE ;
Il fait un grand bruit aujourd’hui, [le Sr de la Butte, Chirurgien de Lyon.]
Et l’on discourt partout de lui.
Entre autres Cures mémorables
Qu’il a faites en nombres et toutes admirables,
Il compte depuis peu Monsieur de SOLEIZER, [Sr du Clapier, Conseiller au Présidial]
Qui jure qu’en taillant il ne fait que friser. [de la même ville.]

Lettre du 13 septembre 1665, par Mayolas.

-Les divertissements ne cessent pas malgré la mine sombre de ces temps parsemés de maladies. Mais peut-être s'agit-il simplement d'espoir :

Samedi, la REINE et le ROI
(Qui sont bien plus riches que moi),
Ce grand Roi, cette belle REINE,
Le dernier jour de la semaine,
Dans leurs chars pompeux et durés,
Galants, lestes, peints et vitrés,
Eurent le plaisir d’un voyage
Le long de notre clair rivage,
Et s’en allèrent gais et frais
À Saint Cloud voir le beau Palais,
Ainsi que MONSIEUR et MADAME,
De qui les deux corps n’ont qu’une Âme,
Qui sont leurs plus grands favoris,
Les plus heureux, les plus chéris.
Il est superflu de vous dire,
De raconter et de décrire
Comment ces Objets si vantés
Accueillirent Leurs Majestés,
Puisqu’ils possèdent l’art de plaire
Et qu’il leur est fort ordinaire
De faire voir dans leur discours
Les ris, les grâces, les Amours.
Dans ce beau Jardin de plaisance,
Un des plus aimables de France,
Rare au dedans comme au dehors,
Où Flore étale ses trésors,
Où les admirables peintures,
Les eaux, les fleurs et les sculptures
À l’envi présentement aux yeux
Leurs appas les plus grâcieux,
Toutes choses étaient propices
Pour y goûter mille délices,
Parmi ces divertissements
Et ces divers enchantements,
la chère y fut tout-à-fait grande
Pour les fruits et pour la viande,
Et l’on oyait dans les salons
Les concerts et les violons.

THÉRÈSE, à qui la REINE-MÈRE,
Après Louis est la plus chère,
Vit Dimanche en nôtre Cité
Pour s’informer de sa santé,
Et, la trouvant presque parfaite,
Ainsi que chacun le souhaite,
Cette REINE, le même journ
Retourna dans ce beau séjour
Passer encor une journée,
Ou, du moins, une après dînée,
Et s’en revint le lendemain
Avec notre cher SOUVERAIN.

Je n’omets pas en ce Chapitre
Que dudit Saint-Cloud la Chapitre
Leur présenta les Pains bénis,
Qui n’étaient pas des plus petits ;
Et ce PRINCE et cette PRINCESSE
Y furent entendre la Messe
À l’honneur de ce Petit-Fils
Du premier Roi Chrétien CLOVIS.
Cette Compagnie éclatante,
Non moins illustre que charmante,
Qui suivait leurs pas glorieux,
S’en revint ensuite avec eux.

-Retour sur l'état de santé du Pape, qui précisément est malade de la pierre dont il a été question dans la lettre précédente de Robinet :

Le Courrier arrivé de Rome
Nous assure que le Saint-Homme
A fait deux pierres, dont l’effort
À présent le soulage fort,
Mais que pourtant on appréhende
Que son cœur bientôt ne se rende
À la violence des maux
Que lui donnent ces grands assauts.
Nous en aurons cette semaine
Une nouvelle plus certaine,
Mais je sais que tout bon Chrétien
Désire qu’il se porte bien.

-Beauchâteau, auteur tragique, est passé dans l'autre monde. Mayolas plaint la Troupe du Roi, souvent interprète de ses oeuvres.

Admirateurs des Tragédies
Et des plaisantes Comédies,
Que les Poètes à loisir
Composent pour votre plaisir.
Savants Esprits, Galants et Belles,
Amateurs de Pièces nouvelles,
Pleurez et plaignez un Acteur
Qui ne manqua jamais de cœur,
Dont les gestes et le visage,
L’air, le maintien et le langage
Représentaient fidèlement,
Autrefois l’Amante et l’Amant ;
C’était d’ailleurs un honnête Homme.
Il faut enfin que je le nomme
Et vous apprenne de nouveau
Que vous perdez un BEAUCHÂTEAU.
Cette perte est un peu fatale
À toute la Troupe Royale
Des Comédiens excellents
Dont l’on admire les talents.
Si, durant le cours de sa vie,
Il sut contenter votre envie,
Ne refusez pas aujourd’hui
De pousser un soupir pour lui.

Lettre du 13 septembre 1665, par Robinet.

-Les monarques ont goûté chez Monsieur à un somptueux banquet, accompagné de divertissements. Comme toujours son frère s'est montré digne de l'hôte royal qu'il a reçu chez lui, à Saint-Cloud :

SAMEDI de l’autre Semaine,
Le MONARQUE et la jeune REINE,
MONSIEUR et MADAME, et leur COUR,
Avec les Jeux, les Ris, l’Amour,
La Fortune et la Destinée,
Prirent campos, l’après-dînée.
Ils furent savez-vous bien Où ?
Au célèbre Bourg de Saint-Cloud,
Qui n’est pas loin de cette Ville,
Et dans le riant Domicile
De MADAME et de son Époux
Fut l’agréable Rendez-vous.
D’abord on fut voir les CASCADES,
Où les complaisantes NAÏADES
Semblaient ne se précipiter
Que du plaisir de se jeter
Aux pieds du plus grand ROI du MONDE
Et d’une REINE sans seconde.
Alors qu’on fut las de les voir,
La belle COUR leur dit bonsoir
Pour faire un Tour dans les Allées,
Où, par les voûtes étoilées,
Les DIEUX d’En-haut, dans ces Ébats,
Lorgnaient sans doute Ceux d’En-bas,
Et, jusqu’à CELUI du TONNERRE,
Avouaient que ce COIN de TERRE
Valait autant, ou valait mieux,
Que leur OLYMPE radieux.
De là, cette TROUPE ROYALE
Alla, soit en Salon ou Salle,
Satisfaire ses Intestins
Qui faisaient déjà les mutins,
Et, par des Pâtures exquises
Et maintes douces Friandises,
A souhait on les régala ;
Mais ce n’était rien que cela,
Quand MEDIA NOX fut venue,
On fit bien une autre Repue,
Car dedans ce nouveau Repas
Au Maigre on ajouta le Gras,
Et le Gras engraisse les GRÂCES,
Qui sont plus belles étant grasses.

Je voudrais bien sur ce Banquet
Affiler un peu mon caquet,
Mais c’est bien du Fil à retordre.
Comment dépeindre le bel ordre
Et le nombre infini des Mets ?
Bon ! je n’en sortirais jamais.
Comment parler de mille choses
Qui sont pour moi des lettres closes.
N’ayant pas été sur les Lieux
Pour en rendre Témoins mes Yeux ?
Je ne le puis, mais c’est tout dire
En vous disant que notre SIRE
Était en ce Lieu le TRAITEUR,
Mais, si vous désirez, Lecteur,
Des TRAITÉS un juste Inventaire,
Aisément, je vais vous le faire,
Ainsi qu’on me l’a rapporté.

La REINE, et c’est la vérité,
Je vous le jure, toute entière,
En était la Belle première.
MONSIEUR et MADAME, ma foi,
Les plus proches Parents du ROI,
Y tenaient la seconde Place ;
Après Eux, en son rang je place
L’illustre SOUVERAINE d’EU,
Qui brille d’un si noble feu,
Je veux dire MADEMOISELLE,
C’est en un mot dire tout d’Elle ;
ITEM, la PRINCESSE de BADE
En qui l’on ne voit rien de face ;
ITEM, CELLE de MONACO,
Dont, à plusieurs servant d’Echo,
Je dis qu’elle a de ce qui charme
Et met au Camp du Cœur l’alarme ;
ITEM, la belle d’ARMAGNAC, [Comtesse.]
Qui n’a pas Rime propre en ac.
Mais a mille Attraits légitimes,
Qui valent bien mieux que des Rimes
ITEM, attendez... encor Qui ?
C’est la DUCHESSE de CRÉQUI,
Cette autre Beauté tant vantée
Et qui doit bien être comptée ;
ITEM, MADAME du PLESSIS, [La Comtesse.]
Qui paraît d’un sens si rassis
Et de qui les grâces brunettes
Sont, en un mot, si sadinettes [sic] ;
ITEM, un autre Objet mignon,
Qui, pour vous dire aussi son nom,
Est la MARQUISE de THIANGE,
Qui peut rimer avec un ANGE ;
ITEM, pour la Liste finir
(Et l’AMOUR veuille les bénir),
Ces GRÂCES dont la jeune TROUPE [Les Filles d’Honneurs de la Reine et de Madame.]
Accompagne, ayant vent en poupe,
La REINE et MADAME en tous lieux.
C’est tout, ô Lecteur curieux.

Le lendemain, jour de DIMANCHE,
Où chacun prend chemise blanche,
Le Chapitre vint au CHÂTEAU [de S. Cloud.]
Présenter au ROI le CHANTEAU,
Qu’il reçut de très bonne grâce,
Après la Harangue ou Préface
Que fit d’eux le plus grand Docteur,
Qu’ils avaient pris pour l’Orateur.
Ce Jour encore, l’on fit Chère,
Chère splendide et toute entière,
Et, le soir, on se trémoussa,
Ou, si vous voulez, on dansa,
Les Violons faisant merveille,
Pour régler les Pas par l’Oreille,
Car qui de l’Oreille n’a pas
Ne saurait faire de beaux Pas.

Le Jour suivant et fête auguste,
Où, par un devoir assez juste,
On solennisait le PATRON
Qui n’était Marquis ni Baron,
Mais vraiment un PORTE-COURONNE,
Le Nôtre voulut en Personne,
Comme Prince religieux,
Lui rendre ses devoir pieux
Et ce HÉROS que DIEU bénie [sic],
Y conduisit sa COMPAGNIE.
Avec Elle, devers le soir,
Il revint au ROYAL MANOIR,
Où notre auguste REINE-MÈRE,
Par le remède Salutaire
D’un Médecin venu des CIEUX,
Se trouve enfin de mieux en mieux.

-La maladie, toujours au centre des gazettes. Vérole à Montpellier et peste à Londres : les temps sont durs !

Ce Mal, qui ternit les Couleur,
Des aimables et tendres Fleurs
Dont le Champ est un beau Visage,
En fait, ce dit-on, un ravage
Funeste et tout particulier
En la Ville de Montpellier.
Jamais la Bise, en sa furie,
Frondant une jeune Prairie
Ou quelqu’un des aimables Lieux
Que FLORE rend délicieux,
Ne fit dégât de tant de Roses,
Soient en boutons , ou soient écloses,
De tant d’Œillets, de tant de Lys,
De tant de Tulipes, d’Iris,
D’Anémones, de Violettes
Et d’autres riantes Fleurettes,
Dont les Amants les plus coquets
À leurs Belles font des Bouquets.
Mais cette Petite Vérole,
Rendant plus tragique son Rôle,
Non seulement détruit des Teints,
Mais, par ses Poisons assassins,
Peuple l’EMPIRE de la PARQUE,
Et déjà CARON dans sa Barque
Jusqu’à trois cent en a passés,
Qui par elle sont Trépassés.

Las ! on m’écrit aussi de Londre[s]
Que maints s’y sentent toujours tondre
Par ce Redoutable Fléau,
Plus craint que le Feu ni que l’Eau,
Et que ses atteintes Félonnes,
Entre autres charmantes Personnes,
Ont, par un Sort trop inhumain,
Ravi la belle CASTELMAIN [Comtesse.]
Dont les CŒURS, sous le DIADÈME,
Ressentaient le Pouvoir suprême.
Outre cette Source d’Appas,
La PESTE a conduit au Trépas
BOUKINGAM [sic], qui naguère en FRANCE,
Par une amoureuse influence,
Adoucissait les Cruautés
Des plus inflexibles Beautés.
Il était galant, bien fait, sage,
Il avait un noble Courage
Et chérissait les beaux Esprits ;
Mais, pour tout dire, il était Fils
De ce Duc rare et magnanime
Que l’on voit qu’avec tant d’estime,
THÉOPHILE loue en ces Vers,
Qui verront périr l’Univers.

-Robinet annonce à son tour la mort de Beauchâteau, évoquée par Mayolas dans la lettre précédente. Notre gazetier le préférait-il à Molière ? C'est, au vu du propos, ce qui semble se détacher de ses vers :

Apostille.

BEAU CHASTEAU, de la COMÉDIE,
Est allé de Vie à Trépas,
Souffre, Lecteur, que je te die,
Qu’en sa place un pareil ne se trouvera pas.
C’est en vain que MOLIÉR[E] tâche à jouer son Rôle ;
Il irait longtemps à l’École
Avant que d’égaler un tel Original ;
Mais nous aurons tous l’avantage
De jouer quelque jour son dernier Personnage
Si bien que rien jamais ne sera plus égal.

Lettre du 13 septembre 1665, par Boursault.

-Boursault évoque à son tour la santé défaillante du Pape. Les choses semblent s'aggraver : le saint homme ne peut plus ingérer de nourriture sans la rejeter.

Notre très Saint Père le Pape
Sera bien fin s’il en réchappe ;
Son flux de plus grand en plus grand
Lui fait rendre tout ce qu’il prend ;
Sans quelque assistance divine
Il rendra l’Âme à la sourdine.
Ce flux, qui n’a point de raison,
Veut l’attraper en trahison ;
Comme il sait qu’on garde la porte
Par où l’on prétend qu’elle sorte,
Et que, s’il la chasse par là,
On demandera : « Qui va-là , »
Par une autre route secrète
Il veut la conduire en cachette,
Et l’on croit même que dans peu
Icelui flux jouera son jeu.

L’Archevêque d’Aix-en-Provence
Et le grand Aumonier de France, [Le Cardinal Grimaldi et le Cardinal Antoine.]
Qui tous deux à notre LOUIS
Rendent des respects inouïs
Et qui tous deux peuvent prétendre
D’être un jour ce qu’est Alexandre
J’entends Alexandre le Saint,
Qui d’un cours de ventre est atteint,
De la part de notre Monarque,
Avant que Madame la Parque,
Qui tient dans sa main une Faux
Qui ne tombe jamais à faux,
Fasse trébucher le Saint-Homme,
Ont ordre de partir pour Rome ;
Et, cette Semaine au plus tard,
Le Cardinal Antoine part.

-Parmi tous ces illustres malades, le roi d’Espagne a trouvé un bien curieux remède : du lait d'ânesse. Ainsi :

Pour sa Majesté Catholique,
Qui n’est plus si mélancolique,
Sa santé quasi de retour
Ramène la joie à la Cour.
Ce Roi, qui nous rend l’allégresse,
Boit à présent du lait d’Ânesse,
Et la mort, qui rôdait par là,
Est au désespoir de cela.
Depuis qu’elle voit qu’on l’amuse,
Elle en est dix fois plus camuse :
Quoi qu’elle présume de soi,
Une Ânesse lui fait la loi.
Pour le jeune Prince d’Espagne,
Parfaite santé l’accompagne,
Et, pour la Princesse sa sœur,
Qui ne manque pas de douceur,
Quoiqu’à Barcelone on l’attende
Avec une joie assez grande,
Pour la mener quand on pourra
Où Monsieur son Époux sera, [l’Empereur.]
De l’avis de Monsieur son père,
De jour en jour elle diffère,
Et, selon ce qu’on m’en écrit,
Je la crois encor à Madrid.
Cependant Léopold Ignace, [l’Empereur.]
Que cette lenteur embarrasse,
Pressé de ses nécessités,
Tourne les yeux de tous côtés
Avec des lunettes d’approche,
Que lui-même il a dans sa Poche,
Toutefois il ne la voit point.
Je finis là mon second point.

-Pour la première fois, Boursault évoque nommément le cancer qui ronge la mère du grand Roi. Derrière l'espoir qu'il met en avant au vu d'une certaine rémission, il faut lire ici l'inéluctabilité de la fin prochaine d'Anne d'Autriche :

À l’égard de la Reine-Mère,
Que toute la France révère,
Et pour qui j’ai tant soupiré,
Tant que sa douleur a duré,
Si jusqu’ici, malgré mon Zèle,
Mes Gazettes n’ont rien dit d’Elle,
Un pareil silence parfois
Est plus éloquent que la voix.
De quel air aurais-je pu dire :
« La Reine se meurt, elle expire ;
» Ce qu’eut l’Univers de plus beau
» Est prêt d’enrichir un Tombeau ;
» Une perte si générale
» Ôte au Pauvre une Libérale :
» La veuve est réduite aux abois,
» L’Orphelin va l’être deux fois ;
» À chaque pieux Monastère
» La Mort va ravir une Mère,
» Et, si rien n’arrête le cours
» Du mal qui menace ses jours,
» Dieu même ici bas perd un Temple,
» Et les Gens de bien un Exemple ? »

J’attendais que sa Majesté
Reprit sa première santé
Pour lui pouvoir rendre un Hommage
Qu’elle goûtera davantage.
À la fin ce jour est venu ;
Le Cancer, ce maudit goulu,
Ne saurait plus faire de niche
À notre Auguste Anne d’Autriche.
Dieu, qui connaît ce qu’il nous faut,
Lui garde sa Place là-haut,
Mais, comme sa vie exemplaire
À sa gloire est fort nécessaire,
Lui-même a pour dix fois un an
Fait rétrograder le Cadran.
Au bout de dix ans, sans obstacle,
Il peut faire encor un miracle ;
Sinon, au sortir de ces lieux,
Il la conduira dans les Cieux.

-Un Monastère entier prie pour la santé de la Reine-Mère :

Dimanche, dans un Monastère
Où l’on suit une Règle austère,
De l’heureux Martyr S. Zénon,
Dont chacun respecte le Nom,
Avec une ardeur exemplaire
On célébra l’Anniversaire.
Tant de Femmes, tant de Maris,
De tous les côtés de Paris,
À ce Saint rendirent visite
Que l’Église était trop petite.
Un Religieux du Couvent,
Zélé, délicat et savant,
S’attira l’estime publique
En faisant son Panégyrique ;
Aussi n’est-ce pas d’aujourd’hui
Qu’on commence à parler de lui ;
En bien des endroits de la France
Il a répandu sa science.
Comme malgré l’ordre des temps
Son esprit devance ses ans,
Sa jeunesse avec tant de lustre
Vaut bien une vieillesse illustre :
Et si l’on veut n’en pas douter,
On n’a qu’à l’aller écouter.

Ce Couvent toute la Semaine
A continué la neuvaine
Adressée au même Martyr,
Afin qu’il daigne garantir
Des funestes mains de la Parque
La Mère de notre Monarque ;
C’est pourquoi j’ai su que Mardi
Et le lendemain Mercredi
THÉRÈSE, que nulle n’égale,
Avec son Altesse Royale [Monsieur.]
Y furent ouïr le Salut
Et prièrent Dieu qu’il lui plut
Leur laisser longtemps une Mère
Qui leur est si bonne et si chère :
Et tous les Français l’aiment tant
Que chacun en a fait autant.

Lettre du 20 septembre 1665, par Mayolas.

-Mayolas est le premier à relater la représentation de L’Amour médecin. La pièce a été insérée au sein d'un spectacle de grande envergure à Versailles.

En cette Saison Automnale,
Belle fertile et joviale,
Qui veut disputer au Printemps
L’honneur de divertir nos sens,
Donnant des fruits pour des fleurettes,
Des pommes pour des violettes,
Poires, pêches, muscats raisins
Pour des roses et des jasmins,
Le fameux Château de Versaille[s],
Exempt de tribut et de taille,
Vaste, riche, brillant et beau
Autant qu’aucun autre Château,
Voit assez souvent du beau Monde,
Et, comme en attraits il abonde,
On va le soir et le matin
Visiter le Parc, le Jardin,
Les salons, les salles, les chambres,
Les cabinets, les antichambres
Et ses divers appartements
Parés de rares ornements.
Le ROI, qu’aucun Roi ne seconde,
La REINE, en beautés si féconde,
MONSIEUR, Prince très généreux,
MADAME, Objet si merveilleux,
Aussi bien que MADEMOISELLE,
Digne d’une gloire immortelle,
Mainte Altesse et maint grand Seigneur,
Tous Gens de bien et Gens d’honneur,
Dans ce grand Palais se rendirent,
Innocemment s’y divertirent,
Et goûtèrent tous les plaisirs
Propres à leurs justes désirs.
La chaleur étant modérée
Et la fraîcheur bien tempérée,
Rien ne troublait leur gaieté
Ni leur douce tranquillité ;
Le Soleil ombrageait leur voie,
Le Jour semblait filé de soie ;
La nuit dans ce riant séjour
Était belle comme le jour,
De sorte que, le quatorzième,
Notre Grand PORTE-DIADÈME,
Avec la REINE et le DAUPHIN,
Du beau Parc prenant le chemin,
Avec sa Suite très nombreuse,
Non moins charmante que pompeuse,
Sur leurs Chars dorés et brillants,
Légers, commodes et galants,
Fit l’ouverture de la Chasse.
Comme un Mars, le premier il passe,
Et, perçant l’épaisseur du bois,
Le reste le suit à la fois.
Les dames, galamment coiffées,
Agiles ainsi que des Fées,
Sur des chevaux vîtes [sic], fringants,
Hennissant, sautant, bondissant,
Faisaient cent petites courbettes,
Au son des cors et des trompettes.
Ces Nymphes en riches habits,
Tous couverts de bijoux de prix,
En Amazones travesties,
Étaient de ces Nobles Parties.
À leur aspect, le Rossignol
Chantait par UT, RÉ, MI, FA, SOL,
Et, dans son aimable ramage,
Tenait ce me semble, ce langage :
« Cette belle et Royale Cour
» Fait honte à celle de l’Amour. »
Les arbres, pour faire passage,
Écartaient leur penchant feuillage :
PAN, nonobstant son ferme appui,
Craignait qu’on ne s’en prit à lui.
Pendant qu’on poursuivait ces Bêtes,
Ces Belles faisaient cent conquêtes,
Et leurs armes et leurs regards
Portaient des coups de toutes parts ;
Leur bravoure et leur gentillesse,
Leur ajustement, leur adresse,
Leur fierté, jointe à leur douceur,
Égalait le plus grand Chasseur ;
Enfin ces images vivantes
De ces glorieuses vaillantes
Qui jadis tant de bruit faisaient
En ce moment les surpassaient,
Comme la REINE, dans ces routes,
Parut et brilla plus que toutes.

Après ce divertissement,
Qu’ils goûtèrent heureusement,
Une Comédie agréable,
Aussi galante qu’admirable,
Par des Actes plaisants et beaux,
Leur donna des plaisirs nouveaux.
Un Ballet de plusieurs Entrées,
En bien peu de temps préparées,
Accrut la jovialité
De l’Ouvrage peu médité
De MOLIÈRE, qui d’ordinaire
A le bonheur et l’art de plaire ;
Et, pendant quatre jours entiers,
Les Festins furent singuliers
Par l’ordre de notre Grand SIRE ;
En disant cela c’est tout dire.

Lettre du 20 septembre 1665, par Robinet.

-A la suite de son "confrère", Robinet fait état de la même fête, dans une relation quelque peu plus fournie.

DIMANCHE, où le CIEL tout exprès
Se para de tous ses Attraits
Pour plaire à notre auguste SIRE,
Qui semble partager l’Empire
Avec son JUPIN foudroyant,
Ce jour-là, dis-je, si riant,
Notre COUR COURUT à VERSAILLES
Pour y rire et faire gogailles.
Rien ne peut être plus pompeux
Que fut son départ de ces Lieux,
Rien de plus galant, de plus leste,
Et je vous jure et vous proteste
Que du grand JUPIN ci-dessus
Jamais la COUR n’éclata plus,
Allant avec magnificence
En quelque Palais de Plaisance.
Ce DIEU, je pense, et sa JUNON,
Puissent-ils s’en fâcher ou non,
Sur ce Char que des Paons superbes
Traînent là-haut, bien loin des herbes,
N’ont pas sans doute plus d’éclat
Que notre rare POTENTAT
Et son ÉPOUSE, qui fait honte
À la DÉESSE d’AMATHONTE.
Pour les autres DIVINITÉS
Qui sont à leurs sacrés côtés
Elles sont de la basse Game
Près de MONSIEUR et de MADAME.
Ô qu’ils étaient brillants tous deux
Et dignes d’encens et de vœux,
Sortant de leur belle DEMEURE !
On aurait dit, ou que je meure,
Si ce n’eût été vers le soir,
Que cette PRINCESSE, à la voir
Comme je crois la voir encore,
Était en Personne l’AURORE,
Et MONSIEUR cet heureux CHASSEUR
Qui de la Déesse a le Cœur.

MADEMOISELLE, toujours grande
Et toujours bien digne d’Offrande,
Et sa CADETTE d’ALENÇON,
Aimable en plus d’une façon,
Étaient aussi de la Partie,
Ainsi de tout point assortie,
Avec les BELLES DE LA COUR,
Chacune sous un riche Atour,
En Chaise roulant ou Calèche.

Mais quoi ! le PETIT PORTE-FLÈCHE
De la Troupe n’était-il pas,
Avec les GRÂCES, les APPAS,
Et toute la folâtre BANDE
Des JEUX, des RIS ? belle Demande.
On l’y vit, et jamais si beau
Ne parut ce PORTE-FLAMBEAU.
Vous l’auriez pris sans nulle peine,
Pour le propre FILS de la REINE,
Et de vrai, Lecteur, c’était LUI,
Plus beau que l’AMOUR aujourd’hui.

Les COLLATIONS figurées,
Et c’est-à-dire préparées
Avec un Art ingénieux
Comme pour la Bouche des Dieux,
Les Festins de Jour et Nocturnes,
Où l’on ne voyait nuls Saturnes,
Les charmants et friands Desserts,
La Promenade et les Concerts
Furent du CADEAU de Versailles,
Où les Ortolans et les Cailles,
En Pyramides arrangés,
Entre autres Mets furent mangés.

On n’oublia pas là la Chasse,
Et faut que mention je fasse
Qu’en ce charmant Plaisir de Roi
Chacun parut en noble arroi ;
La divine REINE et MADAME,
Plus brillantes qu’une Oriflamme,
Y semblaient, sur Chevaux de Prix,
Comme d’illustres TALESTRIS,
Ayant, entre autres AMAZONES,
Ces Deux qui descendent des TRÔNES [Mademoiselle, et Mademoiselle d’Alençon.]
Et qui sortent du même Sang,
Qui près d’Elles leur donne Rang.
Les FILLES D’HONNEUR, si charmantes, [De la Reine et de Madame.]
Si pimpantes, si triomphantes,
Et de tant de Cœurs le Souci,
Étaient Amazones aussi.
Là, maint Cerf nonobstant ses Cornes,
Vit à ses jours donner des bornes,
Mais par des coups si pleins d’appas
Qu’il en pleura moins son Trépas.

Achevons. Pour la Fête entière,
L’admirable et plaisant MOLIÈRE,
Le MOME des Terrestres DIEUX,
Comme l’autre est MOLIÈRE aux CIEUX,
Illec, avec sa COMPAGNIE,
Fit admirer son gai Génie.
Son Jeu fut mêlé d’un Ballet,
Qui fut trouvé drôle et follet,
Et des Voix pleines de merveilles [Mademoiselle Hilaire.]
Ravirent toutes les Oreilles.

-Robinet revient sur des nouvelles précédemment diffusées. Bien que la peste soit toujours dans Londres, la mort d'un grand de cette nation n'est plus confirmée.

L’influence Contagieuse
Est à LONDRES toujours fâcheuse,
Mais la belle de CASTELMIN
N’a pas de ce mal inhumain
Ressenti l’atteinte mortelle ;
C’était une fausse nouvelle.
De BUCKINGHAM le Duc charmant
N’est pas non plus au Monument,
Par la pestilente Sagette ;
Il peut encor conter Fleurette.

Lettre du 27 septembre 1665, par Mayolas.

-Le roi et sa suite ont quitté Versailles pour Villers-Cotterêts sans se départir jamais de leur considération pour la santé d'Anne d'Autriche :

Mardi, le ROI partit d’ici
Et notre belle REINE aussi :
MONSIEUR et MADAME sans doute
Avaient la veille pris leur route
Pour aller à Villers-Cotrets [sic],
Où l’on brûle de bons cotrets.
Ce Grand Prince et cette Princesse,
Suivis de beaucoup de Noblesse,
De Ducs et Pairs, d’Ambassadeurs,
De Dames et plusieurs Seigneurs,
Furent reçus comme Personnes
Portant les plus grandes Couronnes,
Et par Naissance et par raison,
Par le Maître de la Maison,
Aussi bien que par la Maîtresse,
Avec la grâce et l’allégresse,
La pompe et les civilités
Dont on reçoit des Majestés.
Après tant de réjouissance
Faite en ce Palais de plaisance,
Je crois, sur le rapport d’autrui,
Qu’ils arriveront aujourd’hui ;
Mais sachez que dans leur absence,
Ils envoyaient en diligence,
Chaque jour, de leurs Officiers,
En forme d’illustres Courriers,
Pour savoir, d’un récit sincère,
La santé de la REINE-MÈRE,
Qui va toujours de mieux en mieux,
Dont tout le monde est fort joyeux
Et renouvelle sa prière
Pour cette guérison entière.

Lettre du 27 septembre 1665, par Robinet.

-Robinet relate le même déplacement de la cour à Villers-Cotterêts. Il développe cependant son propos sur les divertissements pris en ce logis par le roi et sa suite.

Lundi, cette ALTESSE ROYALE,
Qui nulle part n’a son égale,
Et MONSIEUR, digne de ses Feux,
Sur un beau Char montés tous deux,
Prirent la route en diligence
D’un de leurs Châteaux de Plaisance,
Que l’on nomme VILLERS-COTTRETS [sic],
Maison qui n’a pas les Attraits
Qu’aurait une Maison nouvelle,
Mais qui pourtant est assez belle.
On y voit de l’Antiquité,
Une orgueilleuse majesté
Qui vaut la moderne Structure
Que l’on fait presque en miniature.
FRANÇOIS PREMIER la chérissait
Et souvent s’y divertissait
À la Chasse des Bêtes Fauves,
Qui courent là, sous des Alcôves
Que leur forment les Arbres verts,
Jusqu’à l’approche des Hivers,
Dans ces Bois, parmi les Ombrages,
Sont divers jolis Ermitages
Où la Piété se maintient
Et sans embarras s’entretient.
Mais bientôt avec les DRYADES
On associera les NAÏADES ;
On y travaille à des RONDEAUX
Qui seront bientôt remplis d’eaux,
À des CASCADES, des FONTAINES,
De qui les ruisselants veines,
En ces lieux, d’un pas diligent,
Répandront leur liquide argent.

MARDI, le Temps à l’ordinaire
S’étant remis au beau pour plaire
À ce rare et charmant LOUIS
Par qui nos yeux sont éblouis,
Ce beau SIRE et la belle REINE,
Avecque plus d’une Vingtaine
Des jeunes BEAUTÉS de la COUR,
Dessus le bon bout en ce Jour,
Ayant les Atours d’AMAZONES
Prêtes à conquêter [sic] des TRÔNES,
Allèrent très gaillardement,
Aussi bien que fort prestement,
Trouver leurs susdites ALTESSES,
De VILLERS-COTTRETS [sic] les HÔTESSES,
Qui reçurent en digne arroi,
Sans doute, et la REINE et le ROI,
Pendant trois ou quatre Journée,
Des Rais de PHŒBUS couronnées,
On y fit Festin, l’on chassa,
Au Bal même on se trémoussa ;
Mais de la COUR c’est l’ordinaire
De s’ébattre et de Banquets faire ;
Comme Favorite des Dieux,
Elle a le Temps, l’Argent, les Lieux.

-Le Bernin, dont il avait été question au début de cette année au moment de son arrivée à Paris, est de nouveau au centre de l'actualité. En marge de sa participation aux desseins architecturaux du Roi pour la ville de Paris, il a offert, à ce même monarque, son double de marbre :

BERNINI, ce merveilleux HOMME,
Que PARIS envie à sa ROME,
Outre les riches Ornements
Qu’il donne au ROYAUX BÂTIMENTS,
À de notre adorable AUGUSTE,
En Marbre poli, fait le BUSTE,
Avec tant d’Art que ce Portrait
Semble lui-même trait pour trait,
Faisant même en cette Sculpture,
Qui fait affront à la NATURE
Et brave le pouvoir des DIEUX,
Briller ses Vertus dans ses Yeux.
Nos Grands Auteurs sur ce CHEF-D’ŒUVRE
Ont mis chacun la main à l’œuvre
Et fait de beaux Vers à l’envi,
Dont je suis, ma foi, tout ravi.
Les BUTIS, et les ALMATHÉES [Italiens.]
Dont les Muses sont tant vantées,
Les TALLEMANTS et les TÊTUS, [L’abbé Tallement, Aumônier du Roi et l’abbé Têtu.]
Des plus beaux Talents revêtus ;
Les Roland et d’autres encore,
Dont maintenant les noms j’ignore,
Se sont signalés là-dessus
Par des Vers noblement conçus,
Mais moi donc pourrai-je me taire
Pour ne savoir aussi bien faire ?
Non, non, je ne m’en tairai pas ;
Ma MUSE franchira le pas,
Et, quoique bien moins excellente,
Voici pourtant ce qu’elle chante :

-Le buste enchante tellement notre gazetier que les muses lui soufflent à l'esprit, dans la forme la plus noble de la poésie française, ces quelques vers :

SONNET

Que vois-je ? est-ce LOUIS en Marbre converti,
Ou le MARBRE en LOUIS ainsi changé lui-même ?
Non, je suis par mes Sens ici mal averti ,
Les Trompeurs m’on jeté dans une Erreur extrême.

Aidé de la Raison, j’en suis déjà sorti,
Et je vois seulement l’Effet d’un ART suprême
Qui nous montre en ce Marbre un Monarque assorti
De toutes les Vertus que veut le DIADÊME.

Mais redoutez cet Art, ô Héros glorieux,
Qui peut tout ce qu’ont pu la Nature et les Dieux
Et de qui la Science est si peu limitée.

On confond leur CHEF-D’ŒUVRE avec ce qu’il a fait, [Il alla prendre Feu du Ciel pour]
Et, s’il peut imiter encore PROMÉTHÉE, [animer la Statue qu’il avait faite.]
Il vous donne un SECOND en ce même PORTRAIT.

Lettre du 27 septembre 1665, par Boursault.

-Le Pape se remet de sa mauvaise santé :

Le Pape, que la mort guettait,
Est en meilleur point qu’il n’était ;
Madame sa fièvre maudite
S’avise de prendre la fuite,
Et Monsieur son insolent flux
Ne le tourmente quasi plus.
Si jamais flux, fièvre ou migraine
Causent quelque espèce de peine
À ce grand Lieutenant de Dieu,
Je m’assure qu’en temps et lieu
Ses impertinents traîtres d’hôtes
Se repentiront de leurs fautes.
Pour la mort qui n’épargne nul
Et qui trouve jusqu’au Consul,
Si de son S. Siège de Rome
Elle met à bas ce grand Homme,
Il en faut rendre un, s’il lui plaît,
Aussi Saint que celui-ci l’est ;
Autrement, après cet outrage,
Ses enfants (tout l’humain lignage)
Ayant tant de sujet de deuil
Ne la verront plus de bon œil.
C’est pourquoi, si la mort est sage,
Sans le talonner davantage,
Pour avoir des succès meilleurs,
Elle ira butiner ailleurs ;
S’il l’en faut prier, je l’en prie,
Et puis je galope en Turquie.

-Boursault revient sur le remède précédemment évoqué du roi d'Espagne :

Votre Catholique Papa,
Qui dernièrement échappa
Des mains de Madame la Parque
Acharnée après ce Monarque,
Se porte à cette heure si bien
Que l’on appréhende plus rien.
L’Ânesse qui lui donne à boire
Est toute brillante de gloire ;
Sans qu’aucun lui fasse de mal
Elle court dans l’Escurial,
Mais elle a pourtant des faiblesses :
Elle fuit les autres Ânesses.
Fière du succès de son lait,
Elle les dédaigne, les hait,
Et, depuis sa haute fortune,
Elle n’en regarde pas une.
Il n’est pas jusqu’à ses Ânons
Qui méprisent leurs compagnons,
Depuis qu’en un lieu qu’on révère
Ils suivent Madame leur mère.
Partout où je jette mes yeux,
Je vois bien des Ânons comme eux
Quoique ceux que le sort élève
Ne soient que des Rois de la fève :
D’abord qu’on est plus qu’on ne naît,
On croit être plus que l’on n’est.

-Enfin, notre gazetier relate à son tour le déplacement de la cour à Villers-Cotterêts. Il ne ménage pas sa muse pour complimenter sa destinataire :

Le lendemain, Belle THÉRÈSE,
Avec le FILS de LOUIS treize,
Ce Monarque rempli d’attraits,
Vous fûtes à Villers-Cotrets [sic].
Là je pense que sur vos traces
Les Ris, les Amours et les Grâces
Se disputaient l’heur de jouir
De l’honneur de vous réjouir ;
Je me persuade que Flore
D’heure en heure faisait éclore
De petits Buissons de Jasmin
Pour tapisser votre chemin ;
Je crois que les humbles Naïades,
Par de surprenantes cascades,
Allaient presque annoncer aux Cieux
Que vous embellissiez ces lieux :
Enfin, dans ce lieu de plaisance...
Mais daignez m’imposer silence,
Car enfin, quand on parle à vous,
On jouit d’un plaisir si doux
Qu’on ne peut quasi se soumettre
À l’ennui de finir sa Lettre.

Lettre du 4 octobre 1665, par Mayolas.

-Las ! les remèdes saugrenus du roi d’Espagne n’auront pas empêché sa mort. Le Prince de l'Empire sur lequel "le soleil ne se couche jamais" est allé, comme le plus simple de ses sujets, rejoindre ses ancêtres qui l'avait constitué.

J’ai su d’un Femme d’esprit
Qu’un Courrier venu de Madrid,
À midi, le dernier Dimanche,
Sans avoir pris chemise blanche,
Pour, sans aucun amusement,
Arriver plus diligemment,
Apporta certaines Nouvelles
Qui brouillent beaucoup de cervelles,
Et nous appris en triste arroi
La mort de ce superbe ROI
Qui possédait mainte Campagne
Et dans l’une et dans l’autre Espagne.
L’illustre Achevêque d’Embrun,
Dont le mérite est non commun,
Ce digne Ambassadeur de France,
Par son zèle et sa diligence,
Des premiers nous l’a fait savoir,
Ce qui nous va tous mettre en noir.

Sitôt que ce trépas funeste
Fut par ce Courrier, si peu leste,
À notre Grand LOUIS annoncé,
Il en eut le cœur fort blessé ;
Dès le moment que nos deux REINES
En furent tout à fait certaines,
Ce malheur les surprit si fort
Qu’Elles en pâmèrent d’abord ;
Leur Rang, leur tendresse et leur flamme
Combattaient la grandeur de l’âme,
Mais l’amour en cette saison
S’accordait avec raison,
Et leur plainte est si légitime
Qu’on ne peut l’éprouver sans crime ;
Les soupirs, les cris et les pleurs
Sont bien séant à ces douleurs,
La REINE perd le ROI son Père,
Et la REINE-MÈRE, son Frère ;
Pourraient-Elles donc jamais mieux
Tirer des larmes de leurs yeux,
Et peut-on dire que ces larmes
Étaient sans raison et sans charmes ?
Je suis sûr que tous les Français,
Sensibles à la mort des Rois,
Font gloire de mêler leurs peines
Aux regrets des Augustes REINES,
Et l’on aperçoit sur leur teint
Ce fatal désastre bien peint.

Cruelles et noire Furies,
Ferez-vous toujours des tueries,
Et votre bras, peu circonspect,
N’aura-t-il jamais du respect
Pour les jours ni pour les années
Des Têtes qui sont couronnées ?
Faut-il que votre ardent flambeau
Et que votre tranchant ciseau,
Par une puissance indiscrète,
N’épargne Sceptre ni Houlette,
Et que les Bergers et les Rois
Soient également sous vos lois ?

-De par sa gloire, ce Roi mérite une épitaphe. Ainsi, poursuit Mayolas :

Dedans cet article je marque
L’Épitaphe de ce Monarque,
Que j’enferme dans un Sonnet
Composé dans mon cabinet :

PHILIPPE Quatre, Roi d’Espagne,
Git sous ce Tombeau glorieux ;
La Politique, sa Compagne,
L’a suivi jusques dans ce lieux.

Son Peuple y perd plus qu’il ne gagne :
Il était clément et pieux ;
L’Italie, avec l’Allemagne,
Sent ce Trépas injurieux.

PASSANT, pleure sa destinée :
Ayant survécu quelque année
Il eut couronné ses souhaits.

On plaindrait beaucoup plus sa cendre
S’il n’eut pris, en faisant la Paix,
Le Grand Roi de France pour Gendre.

Beaucoup de Gens en sont fâchés
Et d’autres sont bien empêchés ;
Son Épouse est inconsolable ;
C’est pour Elle un mal incurable,
Et paraît assez malfaisant
À la jeunesse de l’INFANT ;
Il n’est pas moins rude à l’INFANTE,
De qui la beauté triomphante
Fait longtemps languir l’EMPEREUR
Dans la conquête de son cœur,
Car, nonobstant les Fiançailles,
Son Contrat, ou ses Épousailles,
On ne sait l’heure ni le jour
Qui pourra borner son amour.

Le défunt PRINCE a pris la peine,
En faveur de l’illustre REINE,
De lui donner obligeamment,
Par son fidèle Testament,
Dudit cher INFANT la Régence,
Et sur tous ses États puissance,
Nommant six Hommes sans pareils,
Pour assister de leurs conseils
Toute la Royale Famille,
À savoir : le CHEF de CATILLE [sic],
Un autre esprit de grand renom,
Le VICE-AMIRAL d’ARAGON,
PIGNERANDA, très brave Comte,
Est de ceux que ce Prince compte,
Et l’INQUISITEUR GÉNÉRAL
Ne s’en acquittera point mal ;
Le prudent MARQUIS d’AUCTONE
Y paiera de sa Personne :
Mais, pour le fameux CARDINAL
De la Maison de SANDOVAL,
Riche Archevêque de Tolède,
Je ne crois pas qu’il y procède,
Puisque ce Monde il délaissa
Le jour que son ROI trépassa,
Et je ne vois point d’apparence
Qu’il y vienne prendre séance,
PHILIPPE n’ayant omis rien,
Je pense que tout ira bien.

-La Reine-Mère d'Angleterre revient des eaux fameuses de Bourbon-Lancy. Monsieur et Madame l'accueillent à Paris.

La Reine-Mère d'Angleterre,
(Qui n'a jamais aimé la guerre,
Qui voudrait que les Hollandais
Fussent bien avec les Anglais),
Après avoir bu mainte tasse
De cette eau qui tant de maux chasse,
Après avoir bu plusieurs fois
Des claires eaux du Bourbonnois,
Est revenue en cette Ville.
MONSIEUR et MADAME, sa Fille,
Furent avec civilité,
Au devant de Sa MAJESTE.
Le même jour, allant au Louvre,
Que volontiers pour Elle on ouvre,
Nos deux REINES elle fut voir,
Pour ensemble se condouloir,
Et montrer que son âme tendre,
Prend par à ce fâcheux esclandre.

-L’Ambassadeur de Malte offre un banquet au Roi et à Monsieur :

Monsieur l’Ambassadeur de Malte,
Que sa propre valeur exalte,
Autrement Monsieur de SOUVRAY,
Qui ne dit rien qui ne soit vrai
Et dont la vertu sans seconde
S’étend sur la Terre et sur l’Onde,
A régalé pompeusement,
Superbement, splendidement
Notre MONARQUE magnifique,
Avec MONSIEUR son Frère unique,
Et des Seigneurs en quantité
Qui suivirent SA MAJESTÉ.
Ce Dîner et ce grand Régale
Dessus une table en ovale
Était si proprement servi
Que tout le monde en fut ravi.
Les liqueurs, comme les viandes
Et les confitures friandes,
Y parurent, en bonne foi,
Dignes de la bouche d’un ROI.

-Mademoiselle, enfin, est allée à Saint-Fargeau :

Mademoiselle, que j'estime,
Et qui fait état de ma Rime,
Objet aussi puissant que beau,
S'en est allée à Saint-Fargeau.

Lettre du 4 octobre 1665, par Robinet.

-Après Mayolas, Robinet annonce à son tour la mort du roi d’Espagne :

Lecteur, le MONARQUE du TAGE
Prince si grand, si bon, si sage,
A, des Humains suivant le Sort,
Payé le Tribut à la MORT.
En vain des PARQUES la meilleures,
Pour reculer le jour et l’heure
De son entrée au MONUMENT,
Devidait sin Fil bellement ;
En vain sa Sœur, tout aussi bonne,
Qui ne veut la mort de Personne,
Le tournait sur son Peloton ;
Leur laide Germaine CLOTON,
De son Ciseau le tranchant vite,
A fait choir en son dernier GÎTE
PHILIPPE, ce GRAND ALLIÉ
A notre COURONNE lié
Par le SANG, la PAIX, l’HYMENÉE.

Ô PARQUE fière et forcenée,
Pourquoi presser ton attentat
Sur les Jours de ce POTENTAT ?
Pourquoi, dis-je, antique Homicide,
Précipiter ce Régicide,
Et des grands ROIS est-ce le temps
De trépasser à soixante ans ?
Mais une Sourde j’interroge,
Moins traitable qu’un Allobroge :
Et puis, pour dire tout, la MORT
En cela suit l’ordre du SORT.
Quoi donc ? les TÊTES couronnées,
De tant de gloire environnées,
N’éprouvent pas le Sort plus doux
Que le plus chétif d’entre nous,
Et ces puissants MAÎTRES du MONDE,
Redoutés sur Terre et sur l’Onde,
Eux, que l’on croit dignes d’Autels,
Meurent comme d’autres Mortels ?
Oui, malgré ces grands Domiciles,
Qui sont vastes comme des Villes,
Malgré ces beaux Lambris dorés,
Si brillants et si figurés,
Malgré ces pompeuses Structures
Et ces grandes Architectures,
Malgré ce nombre de Maisons,
Comme en a le DIEU des SAISONS,
Pour le Printemps, l’Été,l’Automne,
Et pour l’Hiver, où l’on tisonne,
Malgré ces Festins opulents
Et les plaisirs de tous les Sens,
Malgré les Bals, les Comédies,
Les Jeux, les Ris, les Mélodies,
Malgré tous ces Projets divers,
Plus immenses que l’Univers,
Un grand ROI, comme un Berger, tombe
En un instant dessous la Tombe.
Oui, Cloton, par un même Trait,
Sans discernement les défait,
Et de toute leur vaste gloire
Il n’en reste pour leur Mémoire
Que quelque superbe Tombeau
Et quelque Épitaphe ou Cadeau,
Tel que pour l’auguste MONARQUE
Que vient de faire choir la Parque,
Je m’en vais historiquement,
En mettre un sur son MONUMENT :

-Et à la suite de Mayolas, il rédige également une forme d'épitaphe :

Ci-gît Philippe Quatrième,
Des Espagnes portant le pompeux Diadème.
Il fut grand Politique et non moins Belliqueux,
Mêmes jusques à l’Heure extrême
Qu’à la Terre il ferma les Yeux
Et quitta les Mortels pour monter vers les Dieux.

Deux fois Celui de l’Hyménée,
Par une assez charmante et rare Destinée,
De son Cœur amoureux rendit les vœux constants,
Et, lui donnant belle Lignée,
Il eut onze illustres Enfants :
Sept Infantes et quatre Infants.

Par l’une de ces deux Infantes,
En qui l’on voit briller les Grâces triomphantes,
Il vainquit tout d’un coup l’invincible Louis,
Et de ses Armes conquérantes,
Dont les Exploits sont inouïs,
Enfin il sauva ses Pays.

Ayant la Paix avec la France
Par cette glorieuse et charmante Alliance,
Le Portugal était l’Objet de ses Exploits,
Mais la Parque, sans connaissance
Des Desseins que forment les Rois,
Vint borner tous les siens et Jours à la fois.

-Toutes nouvelles ne sont pas sombres. Il convient aussi d'annoncer le retour de la Cour de Villers-Cotterets, retour qui s'est fait en grande pompe et a donné l'occasion de festivité dans le Palais du Louvre :

Avant cette triste nouvelle,
Qui met force Gens en cervelle,
De VILLERS-COTTRETS [sic], Samedi,
Toute la COUR après Midi
Revint au Gîte en cette Ville
Où Louis a son Domicile,
Aussi beau qu’un Roi doit l’avoir.
À son retour, je voulus voir
Ladite COUR, si triomphante,
Si charmante et si piafante [sic],
Et, pour dire la Vérité,
Je crus être au LOUVRE enchanté.

Le ROI, dessous sa riche Veste,
Avec ses Plumes et le reste,
Lançant de doux et fiers regards,
Semblait un PACIFIQUE MARS ;
La REINE, en charmes si féconde
Qu’elle est la REINE sans seconde,
En Capeline et Juste-au-Corps,
Bluettant de brillants Trésors,
Paraissait lors, en conscience,
La REINE de CYPRE et de FRANCE ;
MONSIEUR, sans nulle fiction,
Eut effacé d’ENDYMION
Tout ce que lui donne la Fable
Pour le rendre à DIANE aimable ;
MADAME, le suivant de près,
Avec un million d’Attraits,
Passait, tant elle était pompeuse,
Pour cette DIVINE CHASSEUSE,
Comme une Troupe de Beautés
Qui paraissaient à ses côtés. [La Duchesse de Bouillon, la Princesse de Monaco,]
De même en Capeline et Vestes, [la Duchesse d’Elbeuf, Mademoiselle d’Elbeuf,]
Passaient pour les Nymphes célestes [la Comtesse du Plessis et la Marquise de Thiange.]
Qui l’accompagnent dans les Bois,
Mettant le Gibier aux Abois.
MADEMOISELLE en ma mémoire
Me paraît encore la VICTOIRE,
Ou BELLONNE, en ses grands Appas,
Son port noble et son grave pas,
D’ARMAGNAC la belle COMTESSE,
Qui joignait cette grande ALTESSE,
Accompagnant leurs MAJESTÉS,
Parut à mes yeux enchantés
Comme une illustre CHAMPIONNE
De la VICTOIRE ou de BELLONNE.
Dix ou douze autres beaux OBJETS, [Les Filles d’Honneur de la Reine et de Madame.]
Dont bien des Cœurs sont les Sujets,
Étant venus à la Nuit brune,
Je ne pus avoir la Fortune
De lorgner leurs rares Appas,
Mais je ne vous mentirai pas
Quand je dirai que ces Mignonnes,
Que ces délectables Personnes,
Semblaient sous leurs jolis Atours
Des GRÂCES, des RIS, des AMOURS.

On m’a dit qu’en une CHARTREUSE,
Dans les Bois, saintement affreuse,
Les BELLES par dévotion
(Vous le croirez sans caution)
Allèrent en Pélérinage,
Non sans faire remue-ménage
Dans les Cellules des Chartreux,
Qui craignaient, tant ils sont peureux,
Que ces dévotes Héroïnes
Emportassent leurs Disciplines
Par un transport de Piété ;
Mais c’est la pure vérité
Qu’elles laissèrent à ces PÈRES
Les Disciplines et les Haires,
Et que leur aspect mêmement
Les fit dénicher promptement.

-Dans la même journée, on donna un ballet qui avait été composé à la demande du monarque par deux marquis de sa cour :

Mais, pour achever ce Chapitre
Et pour dépêcher notre Épître,
Parlons de l’IN-PROMPTU follet
ALIAS du joli Ballet
Qu’on fit et dansa le Jour même,
Par une diligence extrême,
Qui montre qu’un simple FIAT
Suffit à notre POTENTAT,
Comme aux DIEUX dont il est l’IMAGE,
Plus digne d’encens et d’hommage.

D’ANJAU, Marquis fort martial,
Pourvu du Régiment Royal,
Et qui très joliment s’escrime
De la Plume pour faire Rime,
Par l’ordre du ROI fit les Vers,
Un autre composa les Airs, [Le Marquis de Frémenteau]
Et ce Ballet eut neuf ENTRÉES,
Qui de tous furent admirées,
D’autant plus qu’en ce pressant Cas
Tous les Danseurs firent leurs pas.
C’étaient NYMPHES, BERGERS, BERGÈRES,
Que l’on voit peu sur les fougères ;
Des GENTILHOMMES DU PAYS,
Dont l’un rend les Yeux éblouis ;
Un certain OUVRIER d’ARMÉE,
De très illustre renommée ;
La Femme, d’aspect assez beau,
Du Capitaine du Château,
Et (faisant son Éloge en somme)
Qui gouverne aussi bien qu’un homme ;
Des COURTISANS les plus Galants,
Les plus coquets, les plus brillants ;
Des BOHÉMIENS nés dans la FRANCE,
Et vraiment tous Gens d’apparence,
Et des BOHÉMIENNES aussi,
Qui ne sont pas de loin d’Ici
Et qui ne coupent pas les bourses,
Mais volent les Cœurs sans ressources.
ITEM, du Nombre des Danseurs
Étaient de célèbres CHASSEURS,
Et le GOUVERNEUR DE PROVINCE,
qui passe pour assez grand PRINCE,
Ayant son Épouse avec lui,
L’un des beaux ASTRES d’aujourd’hui,
Mais qui pour un Autre, et sans blâme,
Brûle d’un constante flamme ;
Enfin et le Frère et la Sœur
De ce célèbre GOUVERNEUR
Montraient aussi dans cette Danse
Qu’il entendait bien la cadence.
Pour éclaircir ce que je dis,
En marge ici je vous écris
Tous leurs noms que vous pourrez lire,
Et je n’ai plus rien à vous dire,
Ajoutant ceux de deux Marquis,
Qui la chantèrent les Récits,
Si ce n’est que la COUR de FRANCE
Est la seule, comme je pense,
Où Gens triés sur le Volet,
Puissent ainsi faire un BALLET :

NYMPHES : Madame la Princesse de Monaco, Mesdemoiselles d’Elbeuf, de la Vallière et de Longueval.
BERGERS : Monsieur, les Marquis de Louvigni et de la Vallière.
BERGÈRES : Mesdemoiselles d’Elbeuf, d’Arquien et Longueval.
GENTILHOMMES DU PAYS : Le Roi et le Marquis de Villeroy.
FEMME DU CAPITAINE DU CHÂTEAU : Le Duc de Roquelaure.
OFFICIER D’ARMÉE : Le Comte d’Armagnac.
COURTISANS : Le Comte d’Armagnac, le Marquis de Villeroy et le Sieur Coquet.
BOHÉMIENS : Le Comte du Lude, les Marquis de Villequier, le Lauzon et de Lavardin.
BOHÉMIENNES : Mesdemoiselles d’Arquien, de Coetlogon, de Fienne et de Dampierre.
CHASSEURS : Le Duc d’Enghien, le Comte de Séry, le Marqui de Pleumartin et le Sieur Coquet.
GOUVERNEURS DE LA PROVINCE : Le Roi ; sa Femme : Madame ; son Frère : le Marquis de Villeroy ; sa Sœur : Mademoiselle de la Vallière.
CEUX QUI CHANTÈRENT LES RÉCITS : Les Marquis de Grignan et de Frémenteau.

-Robinet évoque enfin l'accueil qui a été offert à la Reine-Mère d'Angleterre par Monsieur et Madame à son retour de cure :

La REINE-MERE d'ANGLETERRE,
Après avoir vidé maint verre
Des Eaux tièdes de BOURBON,
Dont à plusieurs l'Usage est bon,
Est reçue dans cette Contrée,
Tant au sortir comme à l'Entrée,
Les Honneurs et Civilités,
Qui sont dûs à des MAJESTES,
Est en cette COUR revenue
Où toujours elle est bien venue
Par son mérite et par son rang,
De nos ROIS étant le beau SANG.
MONSIEUR et la belle HEROÏNE,
Dont Elle est l'auguste Origine,
D'aise furent, comme le Vent
Dans leur Carrosse au devant.
Et l'accompagnèrent au Louvre,
Où partout volontiers on m'ouvre,
Et là, les REINES et le ROI
La reçurent très bien, ma foi.

Même nouvelle du départ de Mademoiselle pour Saint-Fargeau :

La charmante MADEMOISELLE,
Pour qui j'ai grand respect et zèle,
Et cela n'est pas bien nouveau,
Va faire un tour à Saint-Fargeau.

Lettre du 4 octobre 1665, par Boursault.

-Boursault communie, mais plus succinctement, sur le sujet de la mort du roi Philippe IV d'Espagne :

On apprit ici dès Dimanche
Que la Mort, qui coupe, qui tranche
Et qui rend sujets à ses Lois
Depuis les Bergers jusqu’aux Rois,
S’étant mis exprès en Campagne
Pour attraper le ROI d’ESPAGNE,
L’insolente, après cent combats,
L’a jeté de son Trône à bas.
Le Roi, son Épouse et sa Mère
En ont une Douleur amère,
Et dans peu de jours à la Cour
Il fera noir comme en un four :
Barons, Comtes, Marquis, Ducs, Princes,
Gens de Villes, Gens de Provinces,
Conseillers, Avocats, Marchands,
Procureurs, tant bons que méchants,
Officiers, Dauphins, Mousquetaires,
Comédiens, Sergents, Notaires,
Enfin tout Paris de ce Roi
Portera le Deuil, hormis mois.

-Il évoque également le dîner de notre Roi chez le plénipotentiaire maltais :

Le premier jour du mois d’Octobre,
Quoiqu’il soit honnêtement sobre,
Notre ROI, pour quelque raison,
Ne dîna pas dans sa Maison,
Monsieur l’Ambassadeur de Malte, [M. de Souvré.]
Qui mérite bien qu’on l’exalte,
Régala LOUIS, ledit jour,
Et bien des Seigneur de sa Cour ;
Entre autres l’ALTESSE ROYALE,
De qui l’Âme est toute Loyale,
Après plusieurs Salamalecs,
Y reçut les seconds respects.
Quoique chez ce Bailly de l’Ordre
On dût bien avoir dequoi mordre,
Si j’avais tout vu de mes yeux
J’en raisonnerais cent fois mieux,
Mais j’ai lu la Gazette en Prose,
Et je n’en sais rien autre chose.

Lettre du 11 octobre 1665, par Mayolas.

-Mayolas évoque le deuil ordonné en France pour la mort du roi d’Espagne. Pour honorer la mémoire du monarque disparut, on a passé des richesses à la sobriété, de l'or scintillant aux crêpes noirs.

Adieu Ballets et Mascarades,
Adieu chasses et promenades,
Adieu tous les Bals les plus beaux,
Carrousels, Festins et Cadeaux ;
Adieu plaisantes Chansonnettes,
Comédies et Marionnettes ;
Adieu les divertissements
Et les pompeux ajustements ;
Adieu les calèches brillantes
Et les chaises les plus galantes,
Puisque les carrosses nouveaux
Sembleront de roulant Tombeaux ;
Adieu bijoux et marchandise,
Point-de-Paris, Point-de-Venise ;
Adieu capeline et vestes,
Adieu les jupes les plus lestes,
Les plumes et leurs grands bouquets,
Et tous les divers afiquets :
Adieu les riches garnitures
De cent différentes figures :
Adieu tout le beau coloris,
Jusques aux Manchons blancs et gris ;
Adieu l’or et l’argenterie
Et les boutons d’orfèvrerie ;
Adieu toutes sortes de glands
Et de rubans et de galants.
Les crêpes et les crapaudailles,
Seuls étendards des funérailles,
Malgré nous, malgré nos souhaits,
Vont à présent tenir le Dais ;
Le Drap de Hollande et d’Espagne
Sera maintenant en campagne.

Mardi dernier, toute la Cour
Obscurcit la clarté du jour
En fit dans sa vêture sombre
Voir mille beaux Soleils à l’ombre.
Le ROI, vêtu de violet,
Ne portant qu’un simple collet,
Témoigne dans cet équipage
La mort de ce Roi grand et sage,
Et dans cette douce couleur
Il est toujours propre et Vainqueur,
Les Deux REINES, avec leur suite,
À l’éclat font prendre la fuite,
Et dans le Louvre se font voir
Toute couvertes de drap noir ;
Les grands Seigneurs, les grandes Dames,
Et les Filles comme les Femmes,
Dans ces lugubres vêtements
Représentent des monuments.
Quantité de robes traînants
De ces Personnes ravissantes
Et le nombre des longs manteaux,
Qui sont aussi tristes que beaux,
Nous disent, par ce deuil extrême :
C’est pour PHILIPPE Quatrième.

Alors que son Ambassadeur,
Qui le servait avec ardeur
Et d’une manière fort belle,
Leur apporta cette nouvelle,
Il connut en Leurs MAJESTÉS
Les maux que j’ai représentés
Peints dessus leur triste visage
Aussi bien que dans leur langage :
La REINE fit voir dans son œil
Mille petite Amours en deuil,
Et, comme un Soleil dessous l’onde,
Éclairait tristement le Monde,
La REINE-Mère accrut son mal
Par l’aigreur de ce coup fatal.
Voilà tout ce que je puis dire,
Et moi-même encor j’en soupire.

Lettre du 11 octobre 1665, par Robinet.

-A son tour, Robinet évoque le même sujet :

Enfin, Lundi précisément,
On vit venir fort sombrement,
Et non en Livrèe éclatante,
Le Sieur MARQUIS de la FUENTES,
Pour assurer les MAJESTÉS
Dans toutes les formalités
Que le CATHOLIQUE MONARQUE
Avait succombé sous la PARQUE,
La camarde ayant comploté
Contre sa noble MAJESTÉ
Avec une infidèle GOUTE,
Qui de son Cœur prenant la route,
Par ce Poste, et le principal
Où réside l’Esprit vital,
Lui livra toute la Personne
De ce Puissant PORTE-COURONNE.
Dès le lendemain, notre COUR
En parut dans un sombre atour
Et les plus superbes Tentures
Et les plus pompeuses Dorures
Firent place au Royal Manoir,
À la triste Pompe du Noir,
Excepté chez l’auguste SIRE,
Où, s’il est besoin de le dire,
Le Deuil ne fait que feu violet,
Dont l’aspect n’est nullement laid ;
Mais partout le morne Silence
Vint établir sa violence,
Et les Soupirs avec les Pleurs,
Chers Interprètes des Douleurs,
Des Maux, des Soucis et des Peines,
Dans le Yeux et les Cœurs des Reines,
Derechef reprirent leurs cours
Et, bien mieux que par les discours,
Exprimaient en cette Aventure
Les Sentiments de la Nature.
Las ! on peut dire que jamais
Elle ne montra plus d’attraits
En s’expliquant dans ses alarmes,
Que par les soupirs et les larmes
De si beaux Cœurs, de si beaux Yeux !
Et je crois même que les DIEUX,
Encore qu’ils soient impassibles,
Alors se trouvèrent sensibles,
Et que l’inflexible DESTIN
Eut quelque mouvement humain !

Pour revenir au feu MONARQUE,
On m’a dit qu’il reçut la PARQUE
Fièrement, intrépidement,
Comme aussi catholiquement,
Et qu’il a laissé la RÉGENCE,
Contenant la Toute-Puissance,
Et la TUTELLE de l’INFANT,
Qui n’est encor qu’un faible Enfant,
À l’autre MOITIÉ de lui-même,
Connaissant sa sagesse extrême,
Ayant, pour simple CONSULTANTS
Dans tous ces Desseins importants,
Nommé, dit-on, six PERSONNAGES [Le Président de Castille, le Vice-Chancelier]
Fort bien sensés, zélés et sages, [d’Aragon, l’Inquisiteur Général, le Cardinal Sandoval,]
Tournés à la Marge les yeux, [Archevêque de Tolède, le Marquis d’Ayctone]
Vous connaîtrez qui sont iceux, [et le Comte de Pignerande.]
Mais vous saurez que l’ÉMINENCE
A laissé sa place en vacance,
Ayat, peut-être par amour,
À la même heure, au même jour,
Suivi ce MONARQUE du TAGE
Dedans son éternel Voyage.

-Notre gazetier passe ensuite à de plus badins sujets... Celui-ci, pourtant, sur le plan littéraire, reste notable et d'importance : deux poètes ont produit une pièce sur le même sujet. L'un aurait-il pillé l'autre ?

La Guerre est entre deux AUTEURS,
Et n’allez pas dire, Lecteurs,
Que ce n’est qu’une bagatelle :
Non, non, certe [sic], l’Affaire est telle
Que je vous jure qu’en ce Jour
Elle va partager la COUR.
On se plaint du vol d’un OUVRAGE
Sur lequel chacun d’eux fait rage
Et partout crie, en sa douleur,
Sur l’autre : « au Voleur, au Voleur ! »
QUINAULT, si fameux au THÉÂTRE.
Où le beau Sexe l’idolâtre,
Est l’un de ces deux Mécontents :
L’autre est un AUTEUR de vingt ans,
Mais qui, nonobstant son jeune âge,
Nous a fait voir maint bel Ouvrage
Et travaille Journellement
Pour son pur divertissement.
Or ce dernier clairement montre
Qu’il n’a point tort en ce rencontre,
Que c’est à lui qu’on a volé
Le SUJET dont il est parlé,
Et que plusieurs Gens d’importance
Ont vu la PIÈCE en sa naissance,
Longtemps avant que l’autre eût fait
Quoi que ce fût sur ce Sujet.
Sans que l’un ni l’autre je loue,
Attendons, Lecteur, qu’on les joue
Et, pour lors enfin nous verrons
Qui le plus des deux nous louerons.
Je ne dis donc rien davantage,
Si ce n’est que de cet Ouvrage
On ne verra l’Original
Que dedans le PALAIS ROYAL.

-Puis Robinet revient sur l'illustre office du Bernin dans notre pays — office tellement illustre pour un non moins illustre artiste, qu'il inspire à notre gazetier des vers formés de la plus belle des manières :

À l’envi chacun carillonne,
Ou pour mieux dire chacun sonne,
En l’honneur de ce grand SCULPTEUR [Le Chevalier Bernini.]
Dont chacun est l’Admirateur ;
Mais je dirai, sans flatterie,
Que, parmi cette Sonnerie
Que forment tant de beaux SONNETS,
Si pointus, si pompeux, si nets,
Nul à mon gré si bien ne sonne,
Ne brille, ne coule et raisonne,
Que celui de l’ABBÉ TÊTU, [M. l’Abbé Têtu Mauroy, Aumônier de Madame.]
De cent beaux TALENTS revêtu,
Et pour la bonne bouche Ici je le vais mettre,
Hé quoi ! pourrais-je mieux terminer cette Lettre ?

Pendant que d’un grand Roi tu cherches la Figure
Sous la dure épaisseur d’un Marbre précieux
Et que par ton Ciseau tu vas forcer nos yeux
À confondre ton Art avecque la Nature.

Bénis, rare BERNIN, l’heureuse conjoncture
Qui te doit acquérir un renom glorieux,
LOUIS, ce cher Présent que nous ont fait les Dieux,
Se donne par tes mains à la Race Future.

Mais veux-tu qu’à jamais il soit connu de tous,
Et que les Nations qui viendront après nous
Le voient comme il est dans le Temps où nous sommes ?

Fais par ton Art divin qu’au défaut de sa Voix
Un seul de ses Regards inspire aux autres Rois
Ce qu’un Regard des Rois inspire aux autres Hommes.

Lettre du 17 octobre 1665, par Mayolas.

-Dans cette lettre, Mayolas donne de l'étranger plusieurs nouvelles d'intérêt notable. En premier lieu, le deuil de leur prince qui est également suivi par les Espagnols en leur pays :

À Madrid, tout le monde en deuil
Pleure PHILIPPES [sic] au cerceuil
Et vit dans la douce espérance
Que la REINE, par sa Régence
Et par son Conseil merveilleux,
Ne les rendra point malheureux.
Nonobstant cette grande perte,
CARACÈNE est toujours alerte,
Empêchant que le Portugal
Ne lui puisse faire aucun mal.

-Puis il est question de la peste, précédemment évoquée, qui, fort heureusement, perd du terrain de l’autre côté de la Manche :

Quoique la peste diminue
Tous les jours, elle continue
De mettre à bas bien des LONDROIS
Et d’en prendre mille à la fois :
On a pourtant rouvert la Bourse,
Où les Marchands ont leur ressource ;
La Cour de SALISBURY sort,
Et va prendre l’air dans Oxford.

Lettre du 18 octobre 1665, par Robinet.

-Robinet poursuit sa relation du deuil observé en France touchant la mort de Philippe IV d'Espagne :

D’abord on peut dire sans dol
Que l’AMBASSADEUR ESPAGNOL,
Qu’un lugubre et long Manteau couvre,
L’autre jour, vint encore au LOUVRE
Dire aux MAJESTÉS ric à ric,
Non en secret mais en Public,
La nouvelle, non plus nouvelle,
Du Coup dont la PARQUE cruelle
A mis toute l’EUROPE en Deuil
En mettant PHILIPPE au Cercueil.
Le sage MONSIEUR de BERLIZE, [Introducteur des Ambassadeurs.]
Qu’en son Emploi beaucoup l’on prise,
Le mena lors en bel arroi
Vers les REINES et vers le ROI,
Et vers notre beaux DAUPHIN même,
Cher HÉRITIER du DIADÈME,
Dont les jeunes charmes Vainqueurs
Le rendent déjà ROI des CŒURS.

Ce MINISTRE, en Deuil jusqu’à l’Âme,
Fut chez MONSIEUR et chez MADAME,
Faire entendre aussi ses Regrets,
Étant vers Eux conduit exprès
Par l’INTRODUCTEUR ordinaire,
Qui sait sa Charge très bien faire,
Savoir le Sieur de SAINT-LAURENT,
L’un des galants Hommes du Temps.

Aujourd’hui dans les CARMÉLITES,
Que l’on appelle les Petites,
Par un Service solennel,
L’on a supplié l’ÉTERNEL
De placer avec avantage
L’ÂME dudit Feu ROI du TAGE
Au Rang de ses plus grands ÉLUS.
Ce que je puis dire de plus
Touchant ce funèbre Chapitre
Est que d’AMIENS le PORTE-MITRE
En ce Service a célébré
Et que tout le TEMPLE éclairé
De maint, tant gros que menu Cierge,
De Cire blanche, mais non vierge,
Et tendu de tous les côtés
De velours noir, à plusieurs lais,
Semblait, en sa Pompe éclatante,
N’être qu’une CHAPELLE ardante.

-Pour se divertir de l'air lugubre qui prévaut à Paris, le Roi et la Reine s'évadent à Versailles :

DIMANCHE, LOUIS DIEU-DONNÉ
Et si dignement couronné,
Avec la jeune SOUVERAINE,
Sa belle ÉPOUSE et notre REINE,
Son riant VERSAILLE alla voir,
Pour, dans un si beau Promenoir,
Bannir tant soit peu la tristesse
Du noble Cœur de la PRINCESSE.
Leur cher FRÈRE et leur chère SŒUR,
Qui ne sont qu’une Âme et qu’un Cœur
Par le sacré Nœud qui les lie,
Illec leur firent compagnie,
Ainsi que le charmant DAUPHIN
Qui rend notre Bonheur sans fin,
Ayant avec eux plusieurs BELLES,
Par qui les Cœurs les plus rebelles
Sont soumis au Joug amoureux.
Comme LOUIS est généreux
Et le plus galant ROI du MONDE,
À la TROUPE, en appas féconde,
Il fit là, jusques au Jeudi,
Que l’on revint après midi,
Une Chère vraiment Royale,
N’est-ce pas dire sans égale ?

Lettre du 25 octobre 1665, par Mayolas.

-Mayolas a pris froid. Ce diable de mal perturbe le gazetier dans son office d'écriture :

Un mal qui me tient à la gorge,
Malgré la Conserve et l’eau-d’orge,
Le Capitan Rhume ou Rhuma,
De telle façon surpris m’a
Et me rend le gosier si rude
Que je prétends, dans ce Prélude,
Décharger sur lui mon courroux
Et sur sa discordante toux.
Tout le monde gronde et murmure
Et souffre une semblable injure :
Il prend le Maître et le Valet
Indiscrètement au colet ;
Le plaisir de voir des semblables
Rend les douleurs plus supportables,
Mais c’est, dans mon opinion,
Très pauvre consolation.
Lorsque je veux parler, je tousse ;
Je sens qu’il coupe et qu’il repousse
Ma voix avec mes sentiments,
Qu’il m’interrompt à tous moments,
Et me fait, contre ma coutume,
Cent fois prendre et quitter la plume.
Charmante PRINCESSE, sans Vous,
Objet illustre, aimable et doux,
À peine aurais-je le courage
D’écrire aujourd’hui cet Ouvrage ;
Pour Vous donc je commencerai,
Et, possible, j’achèverai,
Ne voulant pas que mon génie
Succombe sous sa tyrannie.

-Des travaux ont été inaugurés au Louvre par le roi lui-même. A-t-on intégré les plans du Bernin ? Rien n'est moins sûr. Pourtant, le roi a fait frapper monnaie pour commémorer l'événement et ledit chevalier Bernin s'apprête repartir, non sans toucher de substantielles compensations :

Notre Grand et sage BOURBON,
Qui s’acquiert un si grand renom
Et qui mille vertus enserre,
A posé la première Pierre
À la porte de son Palais,
Que pas un n’égale en attraits :
Une Médaille d’or fort belle
Fut apposée sous icelle,
Où l’on aperçoit d’un côté
Le Portrait de SA MAJESTÉ
Et, de l’autre, l’on y découvre
Le glorieux Dessein du Louvre,
De l’art du Chevalier Bernin,
Et gravé par l’adroit Varin.
Pourtant qu’on tourne la Médaille,
On voit une œuvre sans égale.
Après cet Acte curieux,
Notre Potentat généreux
Jeta, et de fort bonne grâce,
À la nombreuse Populace
Quantité de pièce d’argent,
Qui, d’un pas prompt et diligent,
Avec empressement et joie,
Amassait ladite monnaie.
Ledit Sieur Chevalier Bernin,
Qui sait tirer la fin du fin
Des règles de l’Architecture
Et de celles de la Sculpture.
Sans compter les dix milles écus,
Qui ne semblent point de refus,
Avant de quitter notre Ville
En reçut encor onze mille,
Sans compter, par addition,
Six mille francs de pension ;
À son cher Fils, aussi, qu’on aime,
On en fait presque une de même ;
À ses Domestiques encor
Fut dépensé maint Louis-d’or
Pour manquer la reconnaissance
Du puissant Monarque de France.

Lettre du 25 octobre 1665, par Robinet.

-Les travaux dont l'inauguration a été ci-avant évoquée par Mayolas sont bien ceux qui visent à l'agrandissement du Louvre. Si l'on en croit Robinet, la contribution du Bernin a bien été prise en compte dans les plans finaux :

Le pénultième Samedi,
Quelques heures avant midi,
Un MAÇON, tout à fait illustre
Et qui prime dans le BALUSTRE,
Posa très solennellement
Du neuf et royal BÂTIMENT
La Première Pierre de Taille,
Avec une belle Médaille
D’or brillant et valant de plus,
Ce dit-on, plus de mille écus,
Du Sieur VARIN petit CHEF-D’ŒUVRE,
Contenant du susdit MANŒUVRE,
D’un côté, l’auguste Portrait,
Qui lui ressemble trait pour trait,
Et, de l’autre, le PLAN du LOUVRE,
Où tant de beautés on découvre,
Ou du moins l’on découvrira
Alors que parfait il sera,
Selon les superbes Idées,
Qui seront chèrement gardées,
Du Savant et ROMAIN SCULPTEUR
Dont chacun est l’Admirateur.
CE MAÇON, portant DIADÈME,
Car c’était le MONARQUE même,
Fit avec grande propreté
Sa fonction, en vérité,
Car j’ai su, d’un rapport fidèle,
Que tant l’Auge que la Truelle
Étaient d’argent luisant et fin,
Et que les Spectateurs enfin,
Dont l’âme était toute ravie,
Avouèrent que de leur vie
Ils n’avaient encore vu Maçon:
De son air et de safaçon,
Ni dont les Aides, chose sûre,
Fussent en si bonne posture.
Ils avaient bien quelque raison
Car, outre toute la MAISON
De ce plus puissant ROI du MONDE,
Sa COUR, en Seigneurs si féconde,
Environnait sa MAJESTÉ
Dedans cette Solennité.
Mais il ne faut pas que j’oublie
Qu’elle finit par une pluie
Que le brave de BERTILLAC
Fit sortir du fond d’un gros sac,
ID EST, une belle Monnaie,
Qui fut reçue avecque joie
Tant d’Ouvriers que d’autres Gens,
À ramasser fort diligents.

-Du Louvre en travaux, le Roi a fait le déplacement jusqu'à Saint-Germain pour s'adonner à son plaisir favori : la chasse. Ainsi :

Vers le milieu de la Semaine,
Le ROI fut, à perte d’haleine,
Cela veut dire à fort beau train,
En son CHÂTEAU de SAINT-GERMAIN.
MADAME, avecque plusieurs DAMES,
SOURCES de désirs et de flammes,
Au dîner aussi s’y rendit,
Après lequel, ce m’a-t-on dit,
Cette ALTESSE ROYALE et belle,
Avec sa brillante Sequelle,
Qu’il faisait certes très beau voir
En Toques et Vestes de noir,
Monta sur un Cheval de marque,
Ainsi que l’auguste MONARQUE,
Et se mit aux trousses d’un Daim,
Qui, comme léger et soudain,
Leur fit longtemps battre l’Estrade
Par maint bond et mainte escapade,
Avant qu’il fît finalement
Entre leurs mains son Testament.
MADAME, après que de la Bête
On eut ainsi fait la conquête,
Droit à COLOMBES retourna,
Et le ROI, qui l’accompagna,
Revint ensuite avec vitesse
En cette Cité de Lutèce.

-En Apostille, notre gazetier ajoute une note sur la querelle littéraire évoquée dans les lettres précédentes. On savait qu'elle concernait Quinault et un jeune auteur. Il s'agit en fait de Donneau de Visé cadet de Philippe Quinault de... 3 ans seulement. L'explication : la pièce de Quinault a été créee par la troupe de l'Hôtel de Bourgogne quelques jours avant que la troupe du Roi ne jouât celle de Donneau de Visé (voir G. Forestier, Oeuvres de Racine Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 1277-1279)

APOSTILLE.

Enfin, les AMANTS EMBROUILLÉS,
Par qui deux Auteurs sont brouillés,
Se sont fait voir dessus la SCÈNE,
D’en parler à fond j’aurais peine,
N’ayant pas encor pu les voir,
Mais, à ce que j’en puis savoir
De Personnes fort entendues
Et qui les deux Pièces ont vues, [La Mère coquette, ou les Amants brouillés par Visé.]
En celle du PALAIS ROYAL
Le CARACTÈRE principal
Est d’une Mère très Coquette
Qui se fait pousser la Fleurette
Et sur qui presque roule tout
Dans la Pièce, de bout en bout,
Au lieu qu’à l’HÔTEL de BOURGOGNE
C’est un Marquis à gaie trogne [La Mère coquette, ou les Amants brouillés par Quinault.]
Qui fait plus de bruit et de Jeu.
Au reste, on courut comme au Feu
Voir hier la Mère Coquette,
Dont assez bien chacun caquette
En tous les Cantons de Paris.
Venez donc vite, belle IRIS,
À qui je dis la même chose
Que j’écrivis naguère en prose ;
Quittez la Campagne et venez,
Et tout votre Monde amenez,
Pour voir et l’une et l’autre Pièce
Las ! vous savez quelle liesse
Votre Retour nous causera ;
Vous savez que... Et CETERA.

Lettre du 1er novembre 1665, par Robinet.

-Un Concert de clavecin et de chant auquel Robinet a assisté :

Mes Sens sont encor tous ravis
De ce que j’ouis et je si,
Samedi, dans sa belle Chambre,
Où l’on sent un pur esprit d’Ambre,
Où l’on voit de tous les côtés
Ce qu’on voit aux Lieux enchantés.
ELLE, que la GLOIRE accompagne
Comme sa plus digne Compagne,
Était dans son Lit, en ce Jour,
Entre les GRÂCES et l’AMOUR,
Et mainte Illustre et mainte Belle
Bordait sa galante RUELLE.
Cependant une HABILE MAIN, [Le Sieur de Chambonnière.]
S’exerçant sur un Clavecin,
Ravissait ses fines Oreilles
Par de symphoniques Merveilles,
Passant ce que la Fiction
Nous dit d’ORPHÉE et d’ARON.
Mais à la douce Symphonie
De ce miraculeux Génie,
Sur la fin, s’unit une Voix [Mademoiselle de Saint-Christophe.]
Qui charme le plus grand des ROIS,
Et qui pour lors, chantant les Plaintes
Des Âmes de l’Amour atteintes,
Rendait les Soupirs si charmants
Que les Cœurs faits de Diamants,
Et plus qu’eux encor impassibles,
En seraient devenus sensibles,
Et, sans doute, auraient dès ce jour
Désiré soupirer d’Amour.

-Avant de repartir pour Rome, Le Bernin a contemplé, aux Célestins, une pyramide funèbre contenant les coeurs de deux grands français. Ces deux "Héros de Longueville" sont en réalité, le père (Henri Ier d'Orléans-Longueville, mort en 1595) et le fils (Henri II d'Orléans-Longueville, mort en 1663) :

Avant que le SIEUR BERNINI,
Dont le mérite est infini,
Avant, dis-je, que ce rare Homme
Partît pour retourner à ROME,
Tout chargé, tant lui que son FILS,
Des brillants Dons du ROI des LYS,
Il faut admirer un Ouvrage,
L’un des plus rares de notre Âge,
Qu’aux CÉLESTINS avait dressé
D’Anguière, qui s’est surpassé.
C’est une riche PYRAMIDE,
Telle que le PALAIS d’ARMIDE
Ni même Celui du SOLEIL
N’eurent jamais rien de pareil.
C’est pour éterniser la gloire
De deux grands PRINCES que l’HISTOIRE
Range au nombre des plus parfaits
Pour leurs Vertus et leurs hauts Frais,
De deux HÉROS de LONGUEVILLE,
Qui chacun en valaient bien mille
De ceux que, sous le nom de PREUX,
Feignait l’Amadis fabuleux.
Leurs Cœurs, exempts de toute risques,
Sont au haut de cet Obélisque,
Dans un Cœur de bronze doré
Qui des Passants est honoré.
Curieux, voyez cet Ouvrage ;
Je n’en dirai pas davantage,
Sinon que l’ILLUSTRE CARNEAU, [Célestin.]
Dont l’habile et docte Cerveau
A du charmant TROUPEAU des MUSES
Reçu les SCIENCES infuses
Sur ce Cœur a fait le Quatrain
Que j’ajoute ici de ma main :

Ce Cœur contient des Cœurs pleins d’honneur et de grâce,
Où les Vices du Temps n’eurent aucune part ;
L’Ingénieux Sculpteur a surpassé son Art,
Logeant deux Cœurs si grands en si Espace.

Ces Vers-ci, faits sur nouveaux frais,
Ne sont pas certes beaucoup gais,
Mais, Princesse féconde en divines Lumières,
Les Rimes sont du Rang des choses Journalières.

La Veille de Toussaint, je fagotai ces Vers
Dont quelques-uns vont droit et plusieurs de travers.

(Pour plus de précisions sur la venue et le séjour en France puis le départ, quelque peu précipité, du Bernin, ainsi que son éventuelle contribution aux desseins artistiques louisquatorziens, on se reportera à la synthèse de François BLUCHE, Louis XIV, Fayard, 1986, p. 256-259.)

Lettre du 8 novembre 1665, par Mayolas.

-En cette période de fête des morts, une Neuvaine est dite pour la Reine-Mère dont le destin a paru scellé bien des fois auparavant :

Par moi vous serez informés
Que, dans les Carmes Réformés
De la Provinces de Touraine,
On vient de faire une Neuvaine
Et de dire mainte Oraison
Pour la parfaite guérison
De notre Royale et chère ANNE,
En un lieu qu’on nomme Sainte-Anne,
Où bien des Gens furent témoins
Des Prières et de leurs soins.

Monseigneur l’Évêque de Vannes,
Qui n’aime point les Gens profanes,
Monseigneur le Duc MAZARIN,
Rempli d’un sentiment divin,
Monsieur COLBERT, dont le Génie [Maître des Requêtes.]
Fait voir une force infinie,
Étaient à la Procession,
Qu’on fit avec dévotion,
De la Relique de THÉRÈSE,
Que leur a donné LOUIS Treize.
Le Père René Saint-Albert,
Qui ledit Ordre très bien sert,
Par le suffrage du Chapitre,
A, pour son mérite, le titre
De Provincial des Couvents
De tous ces Pères Révérends,
Ou bien de ces Révérends Pères,
Qui règlent bien leurs Monastères.

-La fête de la Toussaint, précisément, est célébrée chez les Feuillants par toute la cour :

Le propre Jour de la Toussaints,
Qu’on doit prier à jointes-mains,
Le ROI, pieux et magnifique,
Avec MONSIEUR, son Frère unique,
Entendit la Messe aux FEUILLANTS
(Par leurs rares vertus brillants) ;
Ensuite, sur l’après-dînée
De cette célèbre Journée,
La REINE et notre SOUVERAIN
Se rendirent à Saint-Germain [de l’Auxerrois.]
Pour ouïr, après la Musique,
Le Sermon, ou Panégérique
Que l’Abbé THÉVENIN y fit,
À qui tout le monde applaudit,
Et d’une façon sans pareille
Il charma l’esprit et l’oreille.

-Pour la saint-Hubert, la cour se déplace à Versailles. Tous goûtent aux plaisirs de Diane. Le Dauphin n'est pas en reste qui, comme à son habitude, fait mentir son jeune âge dans son habileté à exercer cette activité :

Le chemin de la Chasse ouvert,
À la Fête de Saint-Hubert,
Notre REINE et notre MONARQUE
Et grand nombre de Gens de marque,
De Personnes du plus haut rang,
Princes et Princesses du Sang,
Au Château de Versaille[s] allèrent,
Sur leurs plus beaux chevaux montèrent,
Et dans les bois, de toutes parts,
Blessaient les Cerfs avec leurs dards.
Ces admirables Cavalières,
Amazones, belles, fières,
Étalèrent pompeusement,
Dans leur superbe ajustement,
Leur traits, leur adresse et leurs charmes,
Bien plus à craindre que leurs armes.

L’aimable DAUPHIN, à cheval,
D’un air galant et martial,
Surpassant la force de l’âge,
Les poursuivit d’un grand courage.
THÉRÈSE, où l’on voit mille appas
Qu’ailleurs on ne rencontre pas,
Y parut avec tant de grâce
Qu’autrefois la REINE DE Thrace,
Dont on a tant parlé jadis,
Avait moins d’éclat que j’en vis.

Lettre du 8 novembre 1665, par Robinet.

-Robinet narre à son tour les activités de la cour durant les festivités de la Toussaint :

Le Jour où l’on fait la Mémoire
Des chers CITOYENS de la GLOIRE,
Notre ROI, si majestueux,
Si grand, si bon, si vertueux,
Qu’il est de tous Rois le Modèle,
Fit éclater son pieux zèle
Dans le beau TEMPLE des FEUILLANTS,
Des mieux construits, des plus brillants,
Ainsi que tout le Monastère,
Qui sous le sage Ministère
De leur digne SUPÉRIEUR,
Autrement nommé DOM PRIEUR,
S’est fait si beau qu’on le peut dire
Le SAINT-LOUVRE de notre Sire.

Ayant en ce Lieu si béni
Reçu le CORPUS DOMINI
Par les Mains d’un des Enfants d’Ève,
Très digne ÉVÊQUE de LODÈVE,
Par le Savoir et la Vertu
Dont il est, dit-on, revêtu,
Il se rendit aux Tuileries,
Non pas pour les Galanteries,
Mais bien pour le soulagement
De tout un petite Régiment
De Malades des Ecrouelles,
Qui font Mesdames les Rebelles
Jusqu’au temps que ce SOUVERAIN,
Avecque trois doigts de sa Main,
Qu’elles craignent beaucoup sans doute,
Les mette enfin à Vauderoute.

L’Après-dînée, il fut aussi
(Vrai comme je l’écris ici)
En sa grande et noble Paroisse, [Saint Germain l’Auxerrois.]
L’une des belles qu’on connaisse,
Ayant alors à son côté
Notre seconde MAJESTÉ,
Sa jeune et brillante COMPAGNE,
Qui, par la PAIX, nous vint d’ESPAGNE.
MONSIEUR, ce PRINCE plein d’Appas,
De les suivre ne manqua pas,
Avec l’éclatante MADAME
Qui possède toute son Âme ;
Et ce quatre DIVINITÉS
D’où naissaent nos Félicités
Ouirent un Prêcheur habile
Qui loua, siuvant l’Évangile,
Les grands HÉROS du PARADIS,
Devant toute la COUR des LYS
Qui, dans sa piété non feinte,
Ce jour-là parut la COUR SAINTE.

-Puis à son tour, il relate le déplacement de celle-ci à Versailles :

LUNDI, prenant la Clef des Champs,
Par un riant et fort beau temps,
Elle se rendit à Versailles,
Qui n’est pas un Champ de Batailles,
Mais un Palais où les Plaisirs
Remplissent les Jeunes Désirs.
Je la vis partir à mon aise
(Disons ceci par parenthèse),
Et ravi jusqu’au fond du cœur
De certains mots pleins de douceurs
Que MADAME daigna me dire,
En m’assurant que notre SIRE
À sa Requête m’accordait
Ce que la MUSE demandait,
Nouvelle ravissante et bonne,
Dont une admirable Personne,
Au Teint de Roses et de Lys,
M’avait déjà donné l’avis
De sa Bouche belle et bien prise,
Et de couleur d’une Cerise.

-Notre gazetier donne cependant plus de détails sur le déroulement de la chasse et narre, avec une certaine forme d'authenticité, la lutte des différentes meutes dans la poursuite du gibier.

À VERSAILLES, le Jour suivant,
Chacun mettant la Plume au vent,
Par une Chasse Solennelle,
Selon la coutume éternelle
À la FÊTE de SAINT-HUBERT,
Où l’on prend maint Gibier sans vert,
On vit, avecque le MONARQUE
Qui facilement se remarque
À son Air grand et sans égal,
Toute notre COUR à Cheval,
C’est-à-dire PRINCES, PRINCESSES,
COMTESSES, COMTES, DUCS, DUCHESSES,
Lors moins sérieux que Catons,
Partagés en quatre CANTONS,
Avec quatre nombreuses MEUTES
Qui firent d’étranges émeutes,
En talonnant le Cerf léger
Qui volait pour fuit le danger
De sentir enfin sur sa croupe
S’acharner la Clabaude Troupe.
Quatre Cerfs, par un pareil soin,
Dont vraiment ils avaient besoin,
Autant qu’ils le purent rusèrent
Et mêmement se forlongèrent,
Dont enragaient Citron, Brifaut,
Orane, Mélampe, Gerfaut
Et tous leurs autres Camarades,
Las de ces longues escapades ;
Mais quoi ! ces courageux Limiers,
Les poursuivants par tous sentiers
Sur les Coteaux et dans la Plaine,
Les mirent enfin hors d’haleine ;
Et chacun d’eux, venant au But,
Paya, malgré lui, le Tribut
Que tout vivant doit à la Parque :
L’un par la MEUTE du MONARQUE,
Qui le vint mettre en désarroi
Aux Yeux de ce merveilleux ROI
Et de notre illustre HÉROÏNE, [Madame.]
Qui lors, en Veste à bords d’Hermine,
Montrait mille nouveaux Appas :
Ô voyez quel heureux Trépas !
Le second Cerf perdit la vie
En succombant sous la furie
De la MEUTE du GRAND CONDÉ,
Du DUC bravement secondé ;
Et celui-ci, devant la REINE,
Dans l’Étang de Porcher-Fontaine
Trouva son humide Tombeau ;
Hé bien, veut-on un Sort plus beau,
Et peut-on, s’il faut qu’on finisse,
Avoir une fin plus propice
Qu’aux Yeux de la MÈRE D’AMOUR ?
Car, malgré son lugubre Atour,
La SOUVERAINE parut telle,
Ayant son beau DAUPHIN près d’Elle,
Qui pouvait passer pour le Dieu
Qui dans tous les Cœurs met le feu,
Quoiqu’il fût en autre équipage,
Ce beau PRINCE, digne d’hommage,
Comme un grand homme étant botté
Et dessus un Bidet monté
D’un air qui faisait bien comprendre
Qu’un Jour d’un nouvel Alexandre
Cet AMOUR aurait tout le Cœur
Et serait aussi grand Vainqueur.
Ajoutons, fermant ce Chapitre
Et continuant notre Épître,
Ou des Nouvelles le Recueil,
Que les Chiens du DUC de VERNEUIL
Et de ROHAN mirent de même
Les deux autres à l’heure extrême,
Or ce charmant PLAISIR de ROI
Fut au retour, en bonne foi,
Suivi, dans ce Lieu de Délices,
D’un beau Souper à cinq Service,
Où les Dames et les Seigneurs,
Affamés comme des Chasseurs,
Trouvèrent de quoi bien repaître,
Et ne faut point dire peut-être,
Car vous saurez, benoît Lecteur,
Que LOUIS Était le TRAITEUR.

-Le jour suivant, Marie-Thérèse ainsi que Monsieur et Madame rendent visite à la Reine-Mère :

Le lendemain, la belle REINE
Vint voir l’Auguste SOUVERAINE
Que ses acariâtres maux
Empêchent de prendre Campos
Et d’être ainsi de ces Parties,
Qu’on en verrait mieux assorties.
MONSIEUR, par un même souci,
Et MADAME vinrent Ici,
Et le Roi, l’on peut bien le dire,
Aussi bon FILS qu’il est bon SIRE,
Ne manqua pas, le suivant Jour,
De faire en cette Ville un Tour
Pour montrer combien il révère
Une si grande et digne Mère.

-Selon le gazetier, la cour devrait regagner Paris alors qu'il compose, ce qui a pour effet de le ravir.

Aujourd’hui qu’il est Samedi,
Nous reverrons, après-midi,
La COUR revenir de Versailles,
Et j’en sens dedans mes entrailles
Une charmante émotion,
Car, sans dissimulation,
Mon Élément le plus aimable
Est cette COUR incomparable.

Lettre du 15 novembre 1665, par Mayolas.

-La royale épouse du grand Roi se déplace aux Théatins pour un hommage rendu à l'un des leurs :

Les Théatins Religieux,
Non moins bienfaisant que pieux,
De qui la vertu fort sincère
Fait qu’on les aime et considère,
Firent Fête, soir et matin.
De leur Bienheureux Avelin. [André.]
Un Prélat très scientifique
Prononça le Panégyrique
D’une merveilleuse façon ;
C’était l’Évêque de MACON.
La REINE, des plus accomplies,
Entendit Salut et Complies,
Montrant avec affection
En tous lieux sa dévotion.

-Mayolas évoque une représentation de la troupe des Italiens. Les comédiens ne semblent pas avoir fait mentir le capacité à faire rire leur public :

La TROUPE des ITALIENS
Qui sont très bons Comédiens,
Mercredi, nous fit un régale
D’une Pièce fort joviale,
Qui conduisit au Cabaret
Le plus grave et le plus discret.
En ce jour, la CABARETIÈRE
OLARIA, charmante et fière,
Qu’un brave Plumet enleva,
Son personnage bien joua.
L’inimitable SCARAMOUCHE,
Qui ne semble pas qu’il y touche,
Sans dépenser un seul douzain,
Goûta de cent sortes de vin,
Et le Ballet, que quatre Ivrognes,
Avec leur rubicondes trognes,
Dansaient avec tant d’IN PROMPTU,
Faisaient voir qu’ils n’avaient point bu.

Parterre, Loge, Amphithéâtre,
Aussi bien que tout le Théâtre,
Étaient remplis, en bonne foi,
De beaucoup de monde et de moi.

Lettre du 15 novembre 1665, par Robinet.

-Robinet relate les épousailles de Louis de Lesclache (1620-1671), qualifié par le gazetier d'« Aristote » français. L'homme est surtout connu pour sa Philosophie divisée en cinq partie (Paris, Chastellain, 1648-1650).

Que l’AMOUR est un grand Vainqueur !
Hélas chacun lui doit son Cœur,
Du moins une fois en la vie,
Et la dure PHILOSOPHIE
Qui fit jadis les STOÏQUES jadis
(Pour vous prouver ce que je dis)
Ne put pas exempter leurs Âmes
De sentir ses plus chaudes flammes.
Mais, sans avoir aucun besoin
De chercher des Témoins si loin
Pour la Vérité que j’avance,
J’en produis un de conséquence,
Qui vous fera foi que l’Amour
En tout cœur se peut faire jour.
C’est notre MODERNE ARISTOTE
Qu’en ce Chapitre je vous cote,
Par qui l’ARISTOTE GRÉGEOIS
Parle aujourd’hui si bon françois
Que (ce qu’il ne fait pas en Grèce)
Il se fait entendre au beau SEXE
En des Termes aussi charmants
Que ceux qu’on voit dans les Romans.
C’est notre Illustre de LESCLACHE
Qui, las de faire le Bravache
Et de livrer un long Combat
À l’Amour par le Célibat,
Vient enfin de lui rendre hommage
Par SACREMENT de MARIAGE,
Suivant le Conseil de SAINT-PAUL,
Certainement sans aucun dol,
Mais Conseil qui, tout au contraire,
Est fort bon et fort salutaire,
Savoir qu’il vaut mieux convoler,
Ou se marier, que brûler.
Mais quel est l’Objet de sa flamme ?
C’est un beau Corps, une belle Âme,
Et, pour en parler comme il faut,
C’est MADEMOISELLE GIRAUT,
Cette Fille si singulière,
Qui, ci-devant son ÉCOLIÈRE,
Parlait en Public comme Lui
Si bien qu’on peut dire aujourd’hui
Qu’il l’avait faite à son Image
Tout exprès pour ce Mariage,
Et que, par un effet charmant,
Il jouit dedans ce moment
De sa propre Philosophie
Incarnée en cette SOPHIE,
Dont et de lui, s’il plaît à DIEU,
On verra naître en temps et lieu
De petits POUPONS PHILOSOPHES ;
Mais faisons quelques autres Strophes.

-Pendant ce temps, à Versailles, la cour goûte à l'un des divertissements favori de cette époque : la loterie. Ainsi :

J’ai su qu’à VERSAILLES la COUR,
À la Veille de mon retour,
Se divertit aux LOTERIES,
Seulement de galanteries,
Où, selon l’ordre des DESTINS,
Il échut divers Bulletins
Notamment à nos jeunes Dames,
Qui parlaient d’Amour et de flammes
Et disaient, bien que par hasard,
Des Vérités à la plupat,
Dont les unes étaient contentes
Et d’autres un peu déplaisantes.

-En apostille, notre gazetier évoque un sermon prononcé par un abbé des Célestins en mémoire de Saint-Léonard dans le village de Lay [Lay-saint-Christophe, en Meurthe et Moselle.] Notable cet événement l'est parce que ce serait dans ce lieu qu'Anne d'Autriche aujourd'hui mourante aurait eu une connaissance sensible de sa grossesse. Notable aussi, parce que ce village proche des provinces germaniques et le saint célébré n'est pas sans rappeler la thématique de la poursuite du sceptre du Saint Empire, accolé par ses panégyristes à Louis le Grand.

APOSTILLE.

Ces jours passés dans un Village
Situé dans le Voisinage, [Lay]
De LÉONARD, un Saint fort grand
Et de défunt CLOVIS Parent,
On fit la Fête solennelle
Avecque d’autant plus de zèle
Qu’on a pour lui dans notre Cour
Beaucoup de respect et d’amour.
Car on dit que notre ANNE illustre,
Le réclamant dans son BALUSTRE,
Sentit aussitôt dans ses flancs
Le plus aimable des Enfants,
Et qui, présentement GRAND SIRE,
Est le plus digne d’un EMPIRE.
Un jeune PÈRE CÉLESTIN, [Le Père Loyseleur.]
Qui sait François, Grec et Latin,
Fit ses Éloges à merveille,
Et j’étais prié dès la Veille
D’aller aussi l’entendre, mais,
Ma foi, je ne le pus jamais.

LA MUSE DE LA COUR, DÉDIÉE AUX COURTISANS

PREMIÈRE SEMAINE

Du 15 novembre 1665.

-Subligny adjoint ses forces aux Boursault, Robinet et Mayolas. Il évoque à leur suite les divertissements de la cour, en particulier ceux de la Saint-Hubert :

Illustre Curieux d’une brillante Cour,
Vous revoyez cette même Causeuse
Qui prenait autrefois son jour
Pour débiter quelqu’Action fameuse
Ou quelque aventure d’Amour.
Rebutée et toute lasse
De ne voir plus de quoi faire un Vers assez doux,
Pleine de dépit contre vous,
J’étais remontée au Parnasse,
Mais aujourd’hui qu’il se passe
Cent choses dignes de Vers,
Qu’exprès pour m’en offrir mille sujets divers
LE DAUPHIN s’est botté pour aller à la chasse,
Qu’un grand MONARQUE s’y surpasse
Et puis sans qu’il se délasse
Revient dans son Conseil alarmer l’Univers,
Je reprends aussi l’envie
De causer toute ma vie.

À la dernière saint Hubert,
Qui se fit l’autre semaine,
Jamais le ROI, jamais la REINE,
Le DAUPHIN, les BEAUTÉS, dont leur Cour est si pleine,
Ont-elles offert
Aux yeux du monde une chose plus belle
Que cette Chasse solennelle ?

Pour la décrire en peu de mots,
Autant de personnes,
Autant d’Amazones,
Autant de Héros.

MADAME sur toutes choses
Y faisait sur sont teint lever autant de Roses
Que sur la plaine de Gibier
Et, par son maintient doux et fier
Qui n’était pas d’une Mortelle,
S’y serait fait prendre cent fois
Pour la Chasseresse des bois,
Si son Augustes Époux, qui fut seul digne d’elle,
Lui faisant mettre au jour le beau Duc de VALOIS
N’avait pas empêché qu’on ne la crût Pucelle

Après la Chasse, un grand Repas ;
Après ce grand Repas on revient de Versaille[s] ;
Chacun, pour reposer, chez soi porte ses pas.

Le ROI seul ne Repose pas ;
Il entre au Conseil, il travaille ;
Est-il un plus grand Roi parmi les Potentats ?
Du bel air qu’il se prend à faire toute chose
(Car il est de tous les plaisirs,
De tout conseil, de tout ce qu’on propose,
Et rien ne s’entreprend qu’au gré de ses désirs)
Il ménage si bien ses heures ordinaires
Que le Peuple tout interdit
Croit que son ROI toujours se divertit
Ou qu’il est toujours en affaires.

Il jouait à la paume encor ces jours passés :
Comment est-ce que vous pensez
Que ce grand Roi joue à la Paume ?
Mille fois mieux que les plus exercés
De son Royaume.
Jusques dans ses ébats on remarque aisément
Combien sa conduite est réglée ;
On juge au grand ménagement
Dont sa vigilance est mêlée,
À son adresse signalés,
À son raisonnement profond
Qu’il n’entreprend à la volée
Que tous les coups frisés qu’il n’attend pas au bond.
LA FEUILLADE était son second ;
Toujours ce CAVALIER a la main occupée
D’une Raquette ou d’une Épée,
Selon que de son ROI les projets sont divers ;
Aussi dit-on qu’il a cet avantage
Que, si son ROI voulait subjuguer l’Univers,
Il serait son second encor dans cet ouvrage.
Va-t-il à la guerre, il fait rage ;
Aime-t-il, ce n’est que douceur :
Il dispose de son courage
De même que de son humeur ;
Il aiderait son PRINCE à gagner un Royaume
Aux Ottomans
Presque dans aussi peu de temps
Qu’il ferait six jeux à la Paume ;
Les Turcs qu’il a défait savent bien si je mens.

-Le même Subligny narre à son tour les épousailles de Louis de Lesclache, évoquées ci-avant par Robinet :

Enfin l’Aristote Français,
Malgré sa sévère Morale,
Trouve de la douceur à vivre sous les Lois
De l’Alliance Conjugale.
D’ESCLACHE de GIRAULT est devenu l’Époux,
Et le Ciel qui prend soin du bonheur de la France
Les joint de ce lien si doux,
Afin que cette Alliance
Quelque jour il naisse pour nous
Des héritiers de leur Science.

Lettre du 22 novembre 1665, par Mayolas.

-Mayolas diffuse une nouvelle touchant la littérature. Il s'agit de la parution d’un ouvrage du sieur de Hauteville, L'histoire royale ou les plus belles et les plus curieuses questions de l'histoire sainte (Paris, Chenault, 1665) :

APOSTILLE.

Un des beaux Esprits de ce temps,
Des plus polis, des plus savants,
Depuis deux ou trois jour étale
Au Public l’HISTOIRE ROYALE,
Dont on fera beaucoup d’état.
Il l’offre à notre POTENTAT,
En forme de LETTRES CHRÉTIENNES,
Qu’on verra toutes les semaines.
Leur grâce et leur solidité,
Leur savoir et leur piété,
Par sa production féconde,
Depuis l’origine du Monde,
Marqueront tout ce qui s’est fait
De plus rare et de plus parfait.
Ayant lu ce nouvel Ouvrage,
J’admirai de ce Personnage
La science et le beau dessein,
Et l’on m’avertit tout soudain
Que ses œuvres Philosophiques,
Morales et Théologiques,
En plusieurs Volumes divers,
Le prônent par tout l’Univers.
Cette lecture remarquable,
Utile, honnête, délectable,
Donnera des plaisirs bien grands
Aux Doctes comme aux ignorants.
Ces Trésors, ces saintes merveilles,
Ces illustres fruit de ses veilles,
Se vendent encore, par bonheur,
Au logis de mon Imprimeur.

Lettre du 22 novembre 1665, par Robinet.

-Le peintre Jean Nocret (1615-1672) qui, sous l'égide de Le Brun, aurait l'année suivante la charge d'embellir le logis de la Reine au Palais Royal, a eu le privilège de faire un portrait de Madame.

Naguères un Événement
Tout à fait et rare et charmant
Arriva chez cette HÉROÏNE
À qui mes Écris je destins,
Et je ne puis débuter mieux
Que par ce Récit curieux.
La Rivale de la NATURE,
L’admirable et noble PEINTURE,
Dans le plus beau de ses Portraits
Avec soin ramassait les Traits
De cette Divine HENRIETTE,
Qui même l’AMOUR inquiète,
À dessein de nous étaler
Un Tableau qui put l’égaler.
Pour réussir dans cet Ouvrage
Et le rendre digne d’hommage,
Elle se servait de la main
De NOCRET, ce fameux Humain,
Et l’un des Célèbres Copistes
De Nature suivant les pistes.
De chaque coup de son Pinceau,
On voyait naître en ce Tableau
D’aimables et charmantes choses,
Tantôt des Lys, tantôt des Roses,
Et de qui le mélange enfin
Formait un Teint et vif et fin ;
Tantôt des Brillants et des Flammes,
Pour peindre les Vainqueur des Âmes,
C’est-à-dire deux divins Yeux
Qui peuvent sur le cœur des Dieux
Établir même leur Victoire
Par un aimable excès de gloire ;
Tantôt un autre Feu nouveau
Pour faire un Miracle aussi beau
Et peindre une Bouche vermeille
Qui des Bouches est la merveille ;
Tantôt ainsi d’autres couleurs,
Peignant tous ces Charmes des Cœurs
Qui font un Chef-d’œuvre adorable
En l’HÉROINE incomparable.
Mais quoi ! la Nature, pour lors
Jalouse de ces grands efforts
Que faisait ainsi la Peinture,
Allait augmentant à mesure
Et les Appas et la Beauté
De la Jeune Divinité,
Faisant même, par son adresse,
Quelquefois mouvoir la Princesse.
D’un seul trait d’œil et d’un souris,
Elle lui ravissait le Prix
Et, d’une façon joviale,
Surmontait toujours sa Rivale.
Mais un MIROIR, grand et pompeux,
Faisant affront à toutes deux,
Exprimait avec tant de grâce
Tous leurs Miracles dans sa Glace
Qu’il semblait faire tout autant
Que la Nature en un instant
Et passer aussi la Peinture
Autant que faisait la Nature,
Imitant de l’Objet charmant
Jusques au moindre mouvement.
Or notre MUSE, là présente,
Se piquant, tant elle est plaisante,
D’étaler PEINTURE et MIROIR,
Se proposait de faire voir,
Outre les Charmes du Visage,
Cette ÂME grande, belle et sage,
Qui fait de si divines Accords
Avec les beautés de son Coprs,
Ses Clartés, son Intelligence,
Son Esprit, sa rare Prudence
Et ses Vertus et ses Discours
Qui nous ravissent tous les jours ;
Mais, apostrophant la Musette
Qui me paraissait indiscrète,
Je lui dit, à peu près, ces mots,
Qui me semblaient fort à propos :
« Osez-vous petite Superbe,
» Vous qui rampez plus bas que l’herben
» Croire imiter ce que les Dieux
» Ont seuls pu faire dans les Cieux,
» Quand vous voyez que la Peinture
» Ne peut même de la Nature
» Imiter le moindre des Traits
» Dont Elle forme tant d’attraits ?
» Ah ! demeurez-en à l’Hommage
» Sans entreprendre davantage. »
La Muse humblement m’écouta
Et justement se contenta,
Ne pouvant certe [sic] pas mieux faire,
Et d’adorer et de se taire.

-Dans l'est de la France, on dit une autre Neuvaine pour la santé de la reine-mère :

A REIMS, l’ABBESSE de S. PIERRE [Marguerite Angélique de Béthune,]
Qui vit comme un Ange sur Terre, [fille de Monsieur le Duc d’Orval.]
Ayant plusieurs fois vers les CIEUX
Élevé les mains et les yeux
Dans un grand nombre de Neuvaines
Pour la PERLE des SOUVERAINES
Et pour obtenir sa Santé
De la Céleste MAJESTÉ,
En a fait commencer une autre,
Où se dit mainte Patenôtre,
Par les NONNES de son COUVENT,
Imitant son zèle fervent,
En faveur de cette ANNE illustre,
Du Siècle l’HONNEUR et le LUSTRE.

-... Reine dont le second fils s’est récemment trouvé mal :

Le Charmant PHILIPPE, son FILS,
Si chéri dans la COUR des LYS,
MONSIEUR, digne ÉPOUX de MADAME,
Le Miroir ardent de son Âme,
Mercredi, fut indisposé,
Mais, s’étant, ce jour, reposé,
On le vit, à son ordinaire,
Plus vermeil qu’une Primevère.
LOUIS, qui l’aime tendrement,
Le visita soigneusement,
Ainsi que la belle THÉRÈSE,
Dont je pense qu’il fut bien aise.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin.

Seconde Semaine.

Du 22 novembre 1665, par Subligny.

-Subligny relate succinctement quelques divertissements pris par la cour :

On s’amuse à la Cour à chasser de nouveau
Le ROI joue encore à la Paume,
Se promène quand il fait beau,
Et puis reprend le soins de son Royaume ;
Chacun s’amuse à raisonner
Sur cette Royale Espérance
Qu’on vous voit donner à la France ;
On s’y pique de deviner
Qui sera le premier des Princes
Qu’un jour vous irez détrôner,
Attendant que LOUIS vous donne vos Provinces
Et se soit lassé de régner.

-Est-ce une nouvelle raison d'espérer ou le signe au contraire du désespoir le plus grand ? On est allé jusqu'à chercher un médecin italien pour la Reine-Mère :

Un Gentilhomme Milanais
Dont la Science est singulière,
Qui n’est ici que de ce mois,
Vient pour guérir la REINE-MÈRE.
Quelle joie à ses bons Sujets
Si cette Nouvelle est certaine
Et si ce MILANAIS peut remplir ses projets !
Oui, sans doute, ô ma bonne REINE,
Le Ciel veut prolonger le Cours
De vos beaux jours ;
Ce n’est pas aux douleurs d’une plaie inhumaine
À tenir plus longtemps contre tant de secours
Il faut être témoin de cent belles Journées
Que va faire bientôt un Fils tout Glorieux ;
Il faut voir le DAUPHIN un jour Victorieux,
Et pour cela vivre encor trente années,
Que vous donnent les Destinées !

Lettre du 29 novembre 1665, par Mayolas.

-Une autre Neuvaine est dite pour la Reine-Mère, après une cérémonie pour conjurer la peste en Grande-Bretagne :

Je mets les Nouvelles au croc
Pour parler du puissant Saint Roch.
Puisqu’à tous il est manifeste
Que ce Saint préserve de peste,
Qu’il en exempte les Français
Lorsqu’elle afflige les Anglais,
Et que son bâton seul la chasse,
Rempli d’une céleste grâce,
On ne peut assez l’admirer,
Le louer, ni le révérer.

Disons donc que dans cette Église,
Où son Nom l’on immortalise,
Le fameux Prélat de Paris,
En ces Pontificaux Habits,
Suivi d’une dévote Escorte,
Fut accueilli, près de la porte,
Par le docte et pieux Curé,
De ses beaux ornements paré.
Un très grand nombre de Confères,
Faisant des vœux et des prières,
De Capucins bien plus d’un cent,
Sortis de leur plus grand Couvent,
Les Marguilliers, sans rien rabattre,
S’y trouvant au nombre de quatre,
Surtout le Marguillier d’Honneur, [Mr. de Maridat, Conseiller au Grand Conseil.]
Plein de science et de candeur,
Qui dans le Temple de Justice
Et dans celui de l’exercice
De la haute dévotion
Fait dignement sa fonction,
Quantité de Gens remarquables,
Et des Personnes charitables,
Soit de cette Paroisse ou non,
Suivirent la Procession,
Avecque les Ecclésiastiques,
En surpelis, châpes, tuniques,
Portant des cierges à la main ;
Continuèrent leur chemin
Jusqu’au Couvent des Capucines
(Âmes pieuses et divines),
Pour aller chercher en ces lieux
Ce Dépôt beaucoup précieux
Dont Messieurs de la Ville d’Arles
(Dont quelque se peut nommer Charles)
Au DUC de VENDÔME avaient fait
Le Don conforme à son souhait.
Après qu’on eut pris la Relique
Dans une Chasse magnifique,
Qui pèse plus de six-vingt marcs,
Qu’on adorait de toutes parts,
Notre Archevêque incomparable
Donnait, de sa main vénérable,
À tous la bénédiction.
Durant cette Procession,
On revint dans le susdit Temple,
Où ce cher Patron on contemple,
Dans un ordre aimable et charmant,
Chacun priant dévotement.
Ce que je trouve d’admirable
Et de tout à fait remarquable,
C’est que, pendant ce cours si saint,
Aucun cierge ne fut étaient ;
De là jugés de la puissance
Qu’à déjà ce Bras droit, en France :
S’il arrête ou charmes les vents,
Il rendra sain l’air et les Gens.
Sur le grand Autel de l’Église
Icelle Relique fut mise,
Où quantité de cierges blancs
Et, sans mentir, plus de six cents,
Augmentait la magnificence ;
Et je crois que dans la Provence,
Dans Arles, où l’on a son Corps
Plus cher que les autres Trésors,
L’on n’en peut faire davantage
Pour ce rare et saint Personnage.
HARDOUIN donna ces moments
Indulgence pour plusieurs ans ;
On fit Fête l’après-dînée,
De même que la matinée ;
L’Abbé LE CAMUS y prêcha
Et tout l’Auditoire il toucha.
Le lendemain, une Neuvaine
Pour ANNE, notre chère REINE,
On commença, dans le dessein
D’obtenir du grand SOUVERAIN
Une santé si désirée
Et si tendrement implorée.
Neufs Prédicateurs, ces neufs jours,
Ont fait de merveilleux discours :
Ayant ouï l’Abbé CASSAIGNE,
Plus savant que n’était Montaigne,
Je puis dire, sans flatter rien,
Qu’il prêche admirablement bien.

Lettre du 29 novembre 1665, par Robinet.

-Robinet relate à son tour les précédentes nouvelles narrées par Mayolas de la Neuvaine pour la Reine-Mère et de la prière pour conjurer la peste outre-Manche :

Dimanche, on fit pompeusement
Et processionnellement
Le saint Transport d’une RELIQUE,
Qui paraîtra fort énergique
À nous défendre, entre autres Maux,
Du plus terrible des Fléaux
Qui partent du Courroux céleste,
Et que l’on craint comme la PESTE.
C’est un BRAS du fameux SAINT ROCH,
Qui jadis, plus ferme qu’un Roc,
Au milieu des tristes VICTIMES
Que ce Fléau, vengeur des Crimes,
Allait immolant à ses Yeux,
Les secourait tout de son mieux.
Ce fut Ici que dans l’Église
Où sa Mémoire on éternise
On porta donc avec honneur
Le Saint Bras de ce bon Seigneur,
Après l’avoir en mainte rue,
Comme à la FÊTE-DIEU tendue,
Aussi triomphalement porté,
Avec éclat et majesté.
Notre PRÉLAT, des plus augustes,
Dans ces Honneurs, si grands, si justes,
Comme un PATRIARCHE parut,
Et jamais, je crois, rien ne fut
Si brillant, si pompeux, si brave
Que l’est Saint Roch durant l’Octave,
Par les soins de FRÈRE SIMON, [Feuillant.]
Qui (ne me dites point : c’est mon)
Sait faire, étant sans nul Exemple,
Un petit PARADIS d’un TEMPLE.
Au reste, nos Grands Orateurs, [Les Abbés le Camus, Bizot et Biroart, Dom Côme, Feuillant,]
Nos célèbres Prédicateurs, [l’Abbé Le Fèvre et le Père Crasset, Jésuite.]
Qui du CIEL sont les chez Oracles,
Ont à l’envi fait des Miracles
Dessus ce sujet, digne d’eux
Et de leurs Talents plus pompeux.
La MUSIQUE de notre REINE,
Comme une aimable Souveraine,
Y captivait d’aise les Sens
Par ses Voix et ses Instruments,
Et, pour tout dire, deux QUESTEUSES,
Par leurs beautés impérieuses,
Leurs regards et leurs Trait Vainqueurs,
Ravissaient et Bourses et Cœurs.

-Notre gazetier revient sur les Mères coquettes de Quinault et de de Visé qui se sont fait concurrence sur les scènes parisiennes. Sur fond de semblable rivalité, il annonce deux Alexandre. L'un est celui de Racine, l'autre serait celui de Boyer. Aurait-il été remis sur scène à l'occasion de la création du premier ? Rien n'est moins sûr (Forestier, Ibid.) même si l'annonce existe :

APOSTILLE.

Enfin les deux MÈRES COQUETTES,
Malgré l’Âge aimant les Fleurettes,
Ont longtemps disputé le pas ;
Mais on attend deux ALEXANDRE, [Pièces de Théâtre.]
Qui leur feront bien faire flandres,
Proverbe et façon de parler
Pour dire faire détaler.
L’une à déjà plié Bagage,
Mais l’autre, fière davantage, [Celle du Palais Royal.]
Malgré l’Alexandre le Grand,
Conserve encor très bien son rang
Et plus que jamais est suivie,
De quoi la Galante est ravie,
Ne fût-elle dans ses Amours
Sans Rivale qu’un ou deux jours.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Duc de Valois.

Troisième Semaine.

Du 29 novembre 1665, par Subligny.

-Grâce au médecin italien venu de Milan, la Reine-Mère semble mieux se porter :

La Malade qu’on a donnée
Au Gentilhomme MILANAIS
Pour éprouver son art tout à la fois
Et guérir cette infortunée
Se porte mieux de jour en jour,
Au grand contentement de toute notre COUR.
Achève, Divin Gentilhomme,
Achève cette Cure agréable aux Français
Afin que leur MUSE te nomme
La Consolation du meilleur de leurs ROIS.
Mérite de LOUIS l’amitié toute entière
Et fais bien aujourd’hui, si jamais tu le fis.
Jamais Roi n’aima tant sa Mère
Et Reine n’aima tant son fils ;
Et, si tu garantis cette Tête si chère,
Ton bonheur est plus grand que tu ne t’es promis.

-Une anecdote concernant les Médecins et la critique qu’en fait Molière :

On devrait défendre à MOLIÈRE
D’avoir désormais de l’Esprit,
Car, s’il ne cesse pas de plaire,
S’il compose toujours de sa belle manière,
De plaisir ou d’horreur tout le Monde périt.
Ses MÉDECINS ont fait une fort belle affaire :
Un Gentilhomme qui les vit
Entra contre leur Corps en si grand colère
Que, quelques jours après, étant malade au lit,
Lorsqu’il les fallut voir, il n’en voulut rien faire.
Son Confesseur vient et lui dit :
« Monsieur, vous vous perdez ; rien n’est si nécessaire »
On en fait venir trois, le Malade s’aigrit,
Et, croyant qu’à leur ordinaire
Au lieu de consulter ils vont faire débit
De Mules, de Chevaux, d’habits, de bonne chère,
Comme au Théâtre de MOLIÈRE,
Il pousse un soupir de dépit,
Et ce fut le dernier qu’il fit.

-Subligny annonce à son tour la création de l'Alexandre de Racine prévue pour la semaine suivante et évoque, à la suite de Robinet, la Mère coquette. Ainsi :

Si bientôt LE GRAND ALEXANDRE,
Ouvrage, dit-on, sans égale,
Ne se joue au PALAIS ROYAL,
Je crains, pour se trop faire attendre,
Que ce Héros s’en trouve mal.
Depuis plus de deux mois une MÈRE COQUETTE
Y charme tout par son caquet,
Et, lorsqu’il y viendra pour y faire conquête,
Il trouvera qu’elle a tout fait.

Lettre du 6 décembre 1665, par Mayolas.

-Mayolas rapporte le sermon prêché par Bossuet pour le premier jour de l'Avent, sermon auquel d'illustres spectateurs ont assisté :

De l’Avent le beau premier jour,
LOUIS, THÉRÈSE, avec leur Cour
Non moins pieuse qu’elle est belle,
Entendirent dans leur Chapelle
L’éloquent Abbé BOSSUET,
Qui toujours bien prêche et bien fait ;
Et ce PRINCE plein de sagesse
À Saint Roch fut ouïr la Messe,
Pour à mon tour y prier DIEU,
Je me rendis en ce saint Lieu :
J’y vis une belle Quêteuse,
Aussi charmante que pieuse,
Objet d’un chacun fort chéri ;
C’est Mademoiselle FÉRY,
Qui, quêtant de fort bonne grâce,
Y vit souvent remplir sa Tasse,
Et mit bon nombre de deniers
Entre les mains des Marguilliers.

-Le docteur Alliot dont il a déjà été question au cours de cette année pour le soin qu'il apportait à soulager la Reine-Mère revient au centre des attentions de tous : il est parvenu à rétablir un haut-magistrat de Bourgogne des maux qui l'assaillaient depuis des lustres. Ainsi :

LAISNÉ, Président à Dijon, [des Comptes.]
Dont l’esprit est prudent et bon,
Auparavant de faire gille
De notre incomparable Ville,
Prit congé de SA MAJESTÉ
Avec beaucoup de gaieté,
Étant, par un art admirable,
D’un mal qu’on croyait incurable
Guéri si favorablement
Qu’il ne sent plus aucun tourment,
Encor que, pendant dix années,
De mille douleurs forcenées
Il fut attaqué sur le dos ; [d’une Corne.]
Mais ALLIOT a guéri ses maux :
Par cette cure non petite,
De plus en plus il s’accrédite.

Lettre du 6 décembre 1665, par Robinet.

-Robinet relate à son tour le sermon de Bossuet, évoqué ci-avant par Mayolas :

Dimanche, premier de l’AVENT,
Où l’on dit le Sermon souvent,
Le MONARQUE et son FRÈRE UNIQUE
Furent révérer la RELIQUE
Qui du Peuple, depuis huit jours,
Attirait un si grand concours.
Sa MAJESTÉ, de tous l’Exemple
Et dans sa COUR et dans le TEMPLE,
Voulut joindre à sa piété
Sa noble libéralité,
En mettant, de très bonne grâce,
Maints beaux Louis d’or dans la Tasse
De la jeune INFANTE FERRI,
Dont le grand Air, le Teint fleuri,
Les beaux Yeux et la belle Bouche
Pourraient émouvoir une Souche.
L’après-midi, leurs MAJESTÉS,
MONSIEUR, MADAME à leurs côtés,
Et toute la COUR autour d’Elles,
Où l’on voit briller tant de Belles,
Non par sans amoureux Souhait,
Ouirent l’ABBÉ BOSSUET,
Qui fit merveille, à l’ordinaire,
Prêchant dans la Royale Chaire, [Au Louvre.]
Où le Carême, Dieu merci,
Il doit, dit-on, paraître aussi.
De là, la REINE aux CARMÉLITES, [de la rue du Bouloy.]
Où l’on ne voit point d’Hypocrites,
Fut entendre un autre Sermon
Aussi fort éloquent et bon,
D’un Orateur plein de lumières,
Nommé l’ABBÉ de FROMENTIÈRES.

La Muse de la Cour à Mademoiselle.

Quatrième Semaine.

Du 7 décembre 1665, par Subligny.

-Subligny donne diverses nouvelles du théâtre : il évoque tour-à-tour les comédiens italiens, la représentation de l'Alexandre de Racine à laquelle ont assisté le Roi et la Reine. Le succès de la pièce a été total :

Olaria, COMÉDIENNE,
Traita ces jours passés avec beaucoup d’apprêt
Le ROI dedans son Cabaret,
Et les Amours de cette ITALIENNE
Parmi ses pintes et ses pots
Divertirent beaucoup ce glorieux HÉROS.
Jamais, il faut que je le die,
Je ne ris tant qu’à cette Comédie.

Le Vendredi leurs ALTESSES ROYALES
Virent dans leur Palais Royal
Représenter enfin l’ouvrage sans égal
D’une des plumes sans égales ;
ALEXANDRE a parlé devant nos Conquérants
Et fait des effets différents.

Si MONSIEUR, qu’on attend sur la terre et sur l’onde,
N’avait point déjà projeté
De passer ce Héros qui vainquit tant de monde,
Il aurait admiré son Sort et sa Fierté.

Un des Foudres de notre PRINCE,
L’intrépide CONDÉ, qui lui doit faire un jour
De cent pays une seule Province
Dont il verra grossir sa Cour,
Dans cette Valeur ancienne
A vu le crayon de la sienne.

D’ENGHIEN y remarqua des exemples pour lui ;
Cent jeune Guerriers d’aujourd’hui
Y prirent de nobles idées
De ce qu’ils pourront faire en tout autant de lieux
Où leurs Armes seront guidée
Par ces Princes victorieux.

Cent BEAUTÉS furent voir cette pièce Divine
Et, si mes yeux ne me trompèrent pas,
J’y vis une Âme et délicate et fine
Sous les Majestueux appas
De la PRINCESSE PALATINE.

Tous les Acteurs faisaient un jeu
Que toute la Cour idolâtre ;
Jamais Tragédie au Théâtre
Ne pourra faire un plus beau feu.

Il faut que son AUTEUR soit homme de courage ;
On le voyait dépeint dans chaque personnage.
Ses sentiments y sont hardis,
Et surtout l’on y fut surpris
De voir le Roi Porus, à qui tout autre cède,
Y pousser la fierté de l’air d’un Nicomède.

Lettre du 13 décembre 1665, par Mayolas.

-Mayolas ne déroge pas à la mode des "historiettes" qui, nous l'avons dit, parsèment les lettres des successeurs de Loret, en narrant une mésaventure survenue à un Chirurgien :

Un habile Chirurgien,
Malheureux comme un pauvre chien,
Venant, avec un Commissaire,
Pour la poursuite d’une affaire,
D’écrire une relation
Conforme à sa Profession,
Vit terminer sa destinée
Du débris d’une cheminée
Que le feu, joint avec le vet,
Fit choir sur lui en un instant
Dans le beau milieu de la rue. [Montmartre.]
Cet amas de plâtre le tue
À trente pas de sa maison,
Et cela n’est ni beau ni bon.
Outre cet haïssable outrage,
Elle fit un autre dommage.
Un Ramoneur, des plus fameux
(Je veux dire des plus fumeux),
Quoiqu’il sût assez les routines,
S’enveloppa dans ces ruines,
Et, ramonant de haut en bas,
Fut pris en faisant son tracas.
Pendant cet accident sinistre.
J’ai su d’un habile et vieux Cuistre,
Parent du Cuisinier Français,
Qu’il en eut aussi sur les doigts
Et fit renverser la marmite,
Qui certes n’était point petite,
Du gaillard Maître à qui c’était,
Dont fort il grondait et pestait.

Lettre du 12 décembre 1665, par Robinet.

-Le musicien nommé Léonard Itier a donné un concert chez Madame. Le gazetier en était et, ravi de cet épisode, a décidé de le faire partager à ses lecteurs :

Ne soyez pas, petite Muse,
Ni si follette ni si buse
Qu’en cette Lettre d’oublier
Que, Samedi, le sieur ITIER,
Jouant devant notre HÉROÏNE
D’une façon presque divine,
Faisant parler si tendrement
Les Cordes de son Instrument
(Dans ses Mains le Roi des Théorbes)
Qu’ensemble les célestes Orbes
Ne pourraient produire des sons
Si charmants que ses doux Frédons.
J’ose encor plus hardiment dire
Que PHŒBUS avecque sa Lyre
Distille bien moins de douceurs
Dans l’Oreille des Doctes SŒURS
Qu’Itier n’en fit couler en celles
De MADAME et de maintes Belles,
Qui dans sa Ruelle formaient
Un CERCLE d’APPAS qui charmaient.
Comme j’étais à ces Merveilles
Et que j’en remplis mes Oreilles,
J’ai pensé, pour parler sans fard,
Lui devoir ces Vers pour ma part.

-LePastor Fido publié en français est sorti des presses de Quinet (l'auteur en est l'Abbé Antoine Torche (1631-1675)) :

Le PASTEUR FIDO, beau Modèle
De tout Âme tendre et fidèle,
Dans notre Langue presque instruit,
C’est-à-dire presque traduit,
Peut enfin conter à nos Dames
Ses peines, ses soupirs, ses flammes,
Et mêmes aussi galamment,
Tendrement et mignardement
Qu’il faisait jadis en sa Langue,
Si propre à faire une harangue
Lorsqu’on est bien touché du DIEU
Qui met Hommes et Dieux en feu.
Je ne sais pas quelle est la PLUME
Où celui des Neufs Sœurs s’allume
Pour nous traduite ce Pasteur,
Mais, sans faire ici le flatteur,
C’est une agréable Tourneuse,
Et la LANGUE plus amoureuse,
Mère des Grâces et des Rise,
Lui cède en maint endroit le Prix,
J’ai lu, non sans plaisir extrême,
Quatre Actes de ce beau Poème,
Et j’attends impatiemment
Que QUINET donne promptement [Marchand Libraire en la Galerie des Prisonniers.]
La fin de ce divin OUVRAGE,
Où le plus sauvage Courage,
Sans doute se laissant charmer,
Apprendra comme il faut aimer
Et dira, dans l’aimable Style
De l’agréable THÉOPHILE.

Que sans un peu d’Amour les plus lourds Animaux
Connaîtraient mieux que nous et les Biens et les Maux.

La Muse de la Cour à son Altesse Royale Monseigneur le Duc d’Orléans.

Cinquième Semaine.

Du 13 décembre 1665, par Subligny

-La Faculté est déchirée sur l'origine du sang dans l'organisme humain :

Dispute s’est formée entre les Médecins ;
Sur deux points leur Corps se partage,
Et ce grand différent étonnant les plus fins,
On ne sait à qui l’avantage.

Les vieux soutiennent que le sang
A son Principe dans le FOIE ;
Le Corps des jeunes dit que le CŒUR le répand :
Qui des deux faut-il que l’on croie ?

L’on verra plutôt promener
Des Arbres dans une Prairie
Que des savants cesser de chicaner ;
À quoi sert cela, je vous prie ?
Il vont faire une Anatomie
Où ce point sera décidé ;
Si mon avis m’en était demandé,
Je les jugerais mieux que leur Philosophie,
Et je dirais que le FOIE et le CŒUR
Ne sont du sang l’un ni l’autre l’auteur,
Car, quand j’entends qu’au mépris de l’usage
Il s’en parle chez le Docteur,
Je le sens naître en mon visage.

-La peste a quitté Calais :

La Peste n’est plus dans CALAIS ;
La Mort, n’y trouvant pas son conte,
L’a fait repasser pour jamais
La Mer de l’Océan, avec sa courte honte.

Lettre du 20 décembre 1665, par Mayolas.

-Une représentation est donnée chez la Comtesse d’Armagnac :

J’appris, mangeant du Cotignac,
Que la Comtesse d’ARMAGNAC,
Princesse aussi sage que belle,
Digne du Duc de VILLEROI,
Traita splendidement le ROI,
Ainsi que MONSIEUR et MADAME
Et mainte Demoiselle et Dame,
Qui se trouvèrent de bon cœur
À ce Souper plein de douceur.
Avant cette magnificence
Et ce Régale d’importance,
Digne du ROI, digne des Dieux
Et de ces Objets précieux,
Une fort belle Comédie,
Ou plutôt Tragicomédie, [représentée par la Troupe Royale.]
D’ALEXANDRE portant le nom,
Fut donnée à ce Grand BOURBON,
Qui représente bien l’image
De ce triomphant Personnage.
Ensuite du Banquet Royal,
On eut le plaisir d’un grand Bal,
Où les Dames fort ajustées,
Par des modes bien inventées,
En hermine, en bijoux de prix,
Diamants, perles et rubis,
Offraient aux yeux dans cette Salle
L’éclat de l’Inde Orientale,
Et mêlaient leurs charmants appas
À la cadence de leurs pas,
Dont cette Assemblée éclatante
Parut infiniment contente.

-Succédant au départ de la peste à Calais, la petite-vérole emporte le duc de Foix :

Cette impertinente Graveuse,
Sotte brodeuse et ciseleuse,
Qui prend les jeunes et les vieux,
Dont le seul Nom est odieux ;
Cette meurtrière cruelle,
Qui rend fort laide la plus belle
Et laisse de chaque côté
Des marques de sa cruauté,
Qui cause de rudes alarmes
En faisant mourir mille charmes
Et fait déserter la maison
Où vole son mortel poison ;
Enfin la petite Vérole,
Sœur germaine de la Rougeole,
A ravi, le douze du mois,
L’illustre et brave Duc de Foix
Et fait mourir ce Personnage
Dans la belle fleur de son âge.
Il suffisait que sans pitié
La Mort eut ravi sa Moitié ;
Elle devait encor attendre
De le joindre à sa noble cendre,
Et, quand elle aurait attendu,
L’un ni l’autre n’eut rien perdu.
Le ROI, chérissant son mérite,
Consola par une visite,
Sans user d’un trop long délai,
La Marquise de SENECEY,
Et la REINE, avecque sa Suite,
Que l’on sait n’être pas petite,
Alla voir, parmi les regrets,
Sa Mère, Comtesse de FLEIX,
Toute notre Cour le regrette,
Et sa douleur n’est point muette,
Voyant finir son cours fatal
Par l’aigreur de ce petit mal.

-En apostille, une représentation par les Comédiens italiens :

APOSTILLE.

L’Aimable et Belle AURÉLIA, [de la Troupe des Comédiens Italiens.]
En qui grand esprit il y a,
A pris avec plaisir la peine
De faire mainte belle Scène
D’un Ouvrage plaisant et beau
Et qui de plus est tout nouveau,
Qui montre que LA BONNE FEMME
(Que cette ingénieuse Dame
Représente d’un air charmant)
Fait parfois LE MARI MÉCHANT.
Je m’étonne, au siècle où nous sommes,
Qu’on y trouve de méchants Hommes,
Car on dit pour plusieurs raisons
Qu’il en est grand nombre de bons.

-Éloge de l’Alexandre de Racine :

AUTRE.

À L’Hôtel de Bourgogne on joue
Une Pièce que fort on loue,
De même qu’au Palais Royal.
L’Ouvrage est rare et jovial :
Son seul nom vous le faire comprendre,
Puisqu’on l’intitule ALEXANDRE ;
Et, sachant celui de l’Auteur,
Excellent Versificateur,
Qu’on nomme Monsieur de RACINE,
Où la science s’enracine,
Je crois que vous ne doutez pas
Qu’il soit plein de force et d’appas.

Lettre du 20 décembre 1665, par Robinet.

À la Tête de cette Épître
Je dois mettre pour beau Chapitre
Que, comme le cher RENDEZ-VOUS
Des Savantes SŒURS est chez vous,
L’aimable et charmante URANIE,
Par une fine Symphonie
Et les miracles qu’elle fit,
Naguère encor vous y ravit ;
Que ses Violons, ses Violes,
Qui semblaient former des Paroles,
Ses Théorbes, ses Clavecins,
Touchés par de maîtresses mains,
Sous ses lois faisaient de merveilles
Pour vos délicates Oreilles,
Et que l’on jugeait aisément,
Dans ce Concert doux et charmant,
Qu’elle, ainsi que toute la Troupe,
Estime avoir le Vent en poupe
Lorsqu’elle peut vous divertir,
Et c’est aussi, sans en mentir,
Une Félicité divine
De vous plaire, ô sage HÉROÏNE.

-Divertissements de la Cour :

La COUR des LYS, sans cesse alerte,
Se divertit assez bien, certe,
Et, de ces Jours tristes et bis
Où Phœbus est un vrai Loup gris,
Sait bien, sans son secours, se faire
Des jours brillants, des jours à plaire,
Par les Jeux et par les Ébats,
Par les magnifiques Repas,
Par les charmantes Comédies
Et par les douces Mélodies.
Maintes BEAUTÉS, de qui les Yeux
Valent tous les Astres des Cieux,
Font Elles-mêmes des Régales
Dont les Chères sont sans égales.
La PRINCESSE de MONACO,
Dont, au Renom servant d’Écho,
Je pourrais mille Biens redire,
Traita l’autre soir notre SIRE
Comme on traite un visible DIEU
Tel qu’est LOUIS en ce bas Lieu.
MONSIEUR, son unique et cher FRÈRE,
Était de cette bonne Chère.
Avec sa charmante MOITIÉ,
Si digne de son amitié,
Et je ne sais combien de Belles
Qui trouvent peu de cœurs rebelles,
Et dont les Attraits conquérants
Subjuguent mêmes les plus Grands.

-La Comtesse d’Armagnac offre le divertissement. Il débute de la plus belle manière : par la représentation de l'Alexandre de Racine :

D’ARMAGNAC la belle COMTESSE,
Qui montre tant de politesse
Et qui par ses appas si doux,
Mérite bien son bel ÉPOUX,
Traita, Lundi la Compagnie
Avec une grâce infinie.
Elle composa son CADEAU
Brillant, délicieux et beau
D’un Souper qu’avec un Adverbe
Je puis appeler fort superbe,
D’un Bal éclairé comme il faut,
Où la Jeunesse fit maint saut,
Et (jugez si c’est là l’entendre)
De Monsieur le GRAND ALEXANDRE,
Lequel, après des deux mille Ans
Qu’il fut le Fléau des Persans,
A repris nouvelle Origine
D’une POÉTIQUE RACINE,
Qui le produit même à la fois
Sur deux des Théâtre Français, [de l’Hôtel de Bourgogne et du Palais Royal.]
Où la Cour et le Peuple admire
Ce grand et ce belliqueux SIRE,
Parlant, non en Macédonien,
Ains [sic] en notre Langue, et très bien.

-D'un divertissement à l'autre, en cette période de fêtes, on passe à celui donné par Madame de Montausier. La Reine y fut et avec de nombreux grands de sa suite, tous ses sens y furent régalés. Ainsi :

Mais à propos donc de Régale,
Vous seriez une Martingale
Si vous alliez, Muse, oublier
Que Madame de MONTAUSIER,
Cette habile et sage DUCHESSE
Chez qui les Doctes font la presse,
Festina somptueusement,
Le même jour, et galamment,
Notre jeune et divine REINE,
À si bon titre SOUVERAINE,
Et qu’après un friand Dessert
La MUSIQUE fit un Concert
Qui ne flatta pas moins l’Oreille
Que cette Chère nonpareille
Avait, par maint petit Ragoût,
Chatouillé Monseigneur le Goût.
De BADE l’illustre PRINCESSE
Était de ladite Liesse
Et faisait voir ses doux appas
En cet agréable Repas.
Notre MARÉCHALE éminente,
Du FUTUR SIRE GOUVERNANTE,
Honneur qui me semble assez grand,
Tenait là de même son rang,
Et l’on y comptait trois COMTESSES [Les Comtesses du Plessis, de Guise, de MaXXX.]
Très Idoines aux Allégresses
par leur jeunesse et leurs attraits ;
Voyez leurs noms ici tout près.
La Dame MARQUISE d’HUMIÈRE,
Qui ne manque pas de lumières
Ni dans l’Esprit ni dans les Yeux,
Y tenait sa place des mieux.
On m’en a nommé quelques autres,
Mais, par le Foi des douze Apôtres,
Il ne me souvient tout de bon
Que de la belle COETLOGON,
Qui parut sans trop de louange,
Ce soir-là, comme un petit Ange.
Mais, à propos d’Elle, j’ai su
Que je m’étais un peu déçu
Parlant dans mon autre Rimaille
Du COADJUTEUR de Cornouaille,
Leur donnant la Fraternité
Dans le Degré de Parenté :
Elle est sa Nièce et lui son Oncle,
Que le bon Dieu garde de Froncle.

-Mais la Reine-Mère, absente de ces festivités, manque à tous et ceux-ci goûtent ces jours avec moins de joie :

Au reste tous ces doux Plaisirs
Ne satisfont point les Désirs ;
Dans la plus brillante Allégresse
On voit une Ombre de tristesse,
Et le moins Intelligent sait
Quel en peut être le Sujet.
On voudrait, pour la Fête entière,
Y voir l’auguste REINE-MÈRE,
Et, tandis qu’on ne l’y voit pas,
Ces Plaisirs ont bien moins d’appas.
Mais nous avons bonne espérance
Qu’à la fin les Vœux de la France
Obtiendront des CIEUX la santé
De cette aimable MAJESTÉ.

La Muse de la Cour à Monseigneur le Prince.

Sixième Semaine.

Du 20 décembre 1665, par Subligny.

-La petite vérole a été fatale du Duc de Foix :

Samedi, douzième du mois,
Mourut ici le Duc de Foix ;
Les GRÂCES en pleurent,
Les AMOURS s’en meurent,
Cent BEAUTÉS en sont au abois.

Jamais rien de pareil ne vivra sur la Terre :
On l’aurait toujours pris pour un Mars, à la guerre,
Et, dans la Cour,
Pour le Dieu d’Amour.

Petite VÉROLE funeste,
En ce jeune Héros tu frappes tout le reste :
Si CHAUNE-VILLEROI qui le perd aujourd’hui
S’abandonne aux transports dont sa douleur abonde
Et s’en laisse mourir d’ennui,
C’est fait du monde.

-Subligny relate à son tour la réception donnée chez elle par Madame la Duchesse de Montausier :

La Duchesse de MONTAUSIER
Eut à souper, cette semaine,
Notre charmante et belle REINE ;
Cela se fit Lundi dernier.

Le Festin y fut délectable ;
Le GENDRE et le digne MARI
De cette DAME inimitable
Servirent à table
Cet Objet chéri.

Un très beau Concert de Musique
Suivit ce repas magnifique ;
Après ce beau Concert, le jeu,
Où l’on m’a dit que la DUCHESSE
Ne profita point pour un peu :
Elle y gagna le cœur de sa grande PRINCESSE.

C’est ainsi que dedans sa Cour,
Pour affaiblir l’ennui de la mort de son PÈRE,
Chacun s’empressera désormais tourà tour
À lui complaire.
Ô quel beau champ, que de sujets divers
S’en vont fournir de quoi triompher à mes vers !

-Enfin, il aborde également celle donnée par la Duchesse d’Armagnac qui a vu la représentation de l'Alexandre de Racine :

Sa MAJESTÉ, MONSIEUR, MADAME,
Le même soir, soupèrent tous
Chez une autre adorable Femme
Dont l’Illustre ARMAGNAC est le charmant Époux.

Grand Festin, Bal et Comédie,
Et vingt rares Beautés furent de la Partie ;
Le souper y fut excellent,
Le Bal tout galant :
Le beau Sexe y fit un ravage
Par ses yeux et par ses appas,
Dont tel qui sent déjà qu’il est dans l’esclavage
Ne se vante pas.

Les Dames, en habit d’Hermine,
Avaient toutes si bonne mine
Sous cet ajustement nouveau
Que bien las de son cœur, en les voyant si belles,
Et bien de soi-même bourreau
Était le Cavalier qui s’arrêtait près d’Elles.

Quand je n’aurais pas dit dès le commencement
Qu’un grand MONARQUE était dans cette Compagnie
Et quoiqu’INCOGNITO faisait son Ornement,
Il n’est sur mon récit aucun qui ne le die,
Car il suffit pour faire foi
Que c’était un plaisir de Roi.

On y vit le GRAND ALEXANDRE
Représenté par FLORIDOR,
Et nommer cet Acteur qui vaut son pesant d’or,
C’est dire encore assez qu’on se plut à l’entendre.

Ces plaisirs différents consommèrent la nuit,
Puis on se retira sans bruit,
Les Cavaliers pour plaindre leur défaites,
Les Dames pour conter à part soi leurs conquêtes.

Lettre du 27 décembre 1665, par Mayolas.

-En cette fin d’année, les supplications pour que la Reine-Mère retrouve sa bonne santé ne cessent pas. Ces jours-ci, par exemple, le Roi et ses plus proches sont allés participer à une Neuvaine donnée pour elle :

Notre Grand PORTE-DIADÈME,
Notre belle REINE de même,
MONSIEUR et bien d’autres encor,
Jeudi dernier, prirent l’essor
Devers SAINTE-ANNE-LA-ROYALE,
Où leur piété sans égale
Offrit leurs vœux à l’IMMORTEL
La veille du Jour de NOEL,
Qui conclut la sainte Neuvaine
Qu’on fait pour la Céleste REINE.

Lettre du 27 décembre 1665, par Robinet.

-L’Alexandre de Racine est donné par la troupe de Molière sur la scène du Palais-Royal. Robinet l'a vu et en a visiblement en a été charmé. Il rend grâce à la destinataire de ses écrits, également protectrice de cette troupe :

Toujours le fils de JUPITER,
Qu’il faisait mauvais dépiter,
J’entends le Fameux ALEXANDRE,
Qui de ce Dieu se crût descendre,
Paraît, comme on sait, à la fois
Sur nos deux Théâtres Français.
De l’Auteur admirez l’adresse,
Car pour ce vainqueur de la GRÈCE
Ce n’est pas trop de ces deux Lieux,
Sachant que cet Ambitieux
Souhaitait en faisant la Guerre
Être vu de toute la Terre.
Dimanche, en son PALAIS ROYAL,
Je l’allai voir d’un cœur féal ;
J’y découvris, en perspective
Agréable et récréative,
Les Pavillons et Campements
Qui pour lui furent si charmants,
Et je le vis aussi lui-même [le Sieur de la Grange.]
Dedans une vieillesse extrême,
Mais beaucoup plus beau qu’il n’était
Quand l’Univers il conquêtait [sic].
D’ailleurs, il me parut plus tendre
Que ne fut l’ancien Alexandre,
Mais, à dire la vérité,
Ici sa jeune Majesté
A bien pour Objet de sa flamme
Une toute autre aimable Dame. [Mademoiselle de Molière.]
Ô justes Dieux, qu’elle a d’appas !
Et qui pourrait ne l’aimer pas ?
Sans rien toucher de sa coiffure
Et de sa belle Chevelure,
Sans rien toucher de ses habits,
Semés de perles, de rubis
Et de toutes la Pierrerie
Dont l’Inde brillante est fleurie,
Rien n’est si beau ni si mignon,
Et je puis dire tout de bon
Qu’ensemble AMOUR et la NATURE
D’Elle ont fait une Mignature [sic]
Des Appas, des Grâces, des Ris
Qu’on attribuait à Cypris.
Là, PORRHUS fait aussi son Rôle [Le Sieur de la Thorillière.]
Et généreusement contrôle
Ce grand Vainqueur de l’Univers,
Lors même qu’il le tient aux fers,
Ainsi que la grand AXIANE [Mademoiselle du Parc.]
Brillante comme une Diane,
Tant par ses riches vêtements
Que par tous ses Attraits charmants
Qui font que ce Porrhus soupire
Pareillement sous son Empire.
Enfin j’y vis, sous des Habits
Qui sont sans doute aussi de prix,
ÉPHESTION avec TRAXILE, [les Sieurs du Croisi et Héber.]
Et certes il est difficile
De pouvoir rien trouver de tel
Si ce n’est peut-être à l’HÔTEL.
Je verrai donc ce qui s’y passe
Et puis, remontant au Parnasse,
Je tâcherai, Lecteur accort,
De vous en faire mon rapport.

Princesse, vous aimez la Troupe de Molière
Et vous la protégez par grâce singulière ;
Ainsi vous vous plairez d’en lire ce Discours,
Qui de notre Missive enfin borne le Cours.
Belle Altesse, des Dons de tous les Dieux ornée,
Je prends congé de vous jusques à l’autre année.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome I (mai 1665-juin 1666) de l'édition du Bon Nathan-James-Edouard de Rothschild et de Émile Picot des Continuateurs de Loret, 1881-1883, Paris, D. Morgand et C. Fatout éditeurs).




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