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Leur langue indiscrète


"Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles,
Sont bruyants dans leurs faits, et vains dans leurs paroles.
De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer;
Ils n'ont point de faveurs, qu'ils n'aillent divulguer;
Et leur langue indiscrète, en qui l'on se confie,
Déshonore l'autel où leur cœur sacrifie."
Le Tartuffe, III, 3 (v. 989-994)

L'indiscrétion en matière amoureuse est un thème fréquemment abordé dans la littérature mondaine des années 1660 (1) (2), (3),(4) (5) (6).

Le sujet était également abordé dans l'Almahide (1660) (7) des Scudéry (6), Le Courtisan parfait (1663) de Gabriel Gilbert (8), et dans le conte de "L'Oraison de saint Julien" (Deuxième Partie des contes, 1666) de La Fontaine (9), dans le Démêlé de l'esprit et du coeur (1667) de l'abbé de Torche (10) .

Molière y fait allusion également dans L'Ecole des femmes ("De nos Français l'ordinaire défaut").


(1)

L'Indiscret

Il est vrai, je l'ai dit, mais ne m'en blâmez pas [...].
J'en ai fait mon plaisir, j'en fais mon entretien :
Et que servirait-il d'être heureux en ce monde,
Si le monde n'en savait rien ?

Après m'avoir traité si favorablement
Trois ou quatre nuits seulement,

Il n'est point de raison qui m'oblige à me taire.
J'en dois à tout le moins le récit à l'ami ;
Et qui n'ose parler de ce qu'il n'a pu faire,
Ne peut être heureux qu'à demi.
(Les Délices de la poésie galante, 1666, p. 146)

--

(2)

Je ne puis approuver les maximes des belles,
Qui recommandent le secret.
Un amant est assez discret

Quand on s'en veut tenir aux simples bagatelles ;
Et puis fût-il d'humeur à conter des nouvelles,
Il faudrait bien s'en consoler :

Car vouloir retenir les langues infidèles
C'est les contraindre de parler.

(Nouveau Recueil de quelques pièces galantes, 1669, p. 93-96).

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(3)

Qu'il soit discret au dernier point
Qu’il tienne même fort secrètes
Ses plus anciennes amourettes
(“Le Mari commode”, Oeuvres de feu Monsieur de Bouillon (1663), p. 34)

(4)

Qu’il lui sera toujours fidèle
Et que, comme un amant discret,
Sur les faveurs qu’il aura d’elle
Saura garder le secret”.
(“Contrat d’inclination”, Nouveau recueil de plusieurs et diverses pièces galantes de ce temps, 1665, p. 134)

(5)

Un vrai amour a pour son essence le secret et la direction et, par conséquent, ne peut nuire, puisqu’il ne peut être découvert […] Qui n’a pas assez de conduite pour cacher sa passion à toutes les autres personnes, en la faisant connaître à la seule qu’il aime, est peu judicieux, et n’aime pas bien. [Toutes les lois d’amour se réduisent à cette seule règle] : faire connaître sa passion à la personne que l’on aime, sans qu’elle s’en puisse offenser et sans qu’autre qu’elle la puisse connaître. J’avoue qu’il y a en cela quelque difficulté, parce qu’il semble que les mêmes devoirs par lesquels nous témoignons de notre amour à une femme, nous trahissent, les découvrant aux autres, et ainsi nuisent à sa réputation et choquent son honneur. […] Peut-être s’étonnera-t-on que la loi de l’amour, que l’on peut appeler la première, puisque c’est elle qui règle ses commandements, soit un commandement de le tenir couvert ; et peut-être encore les ennemis de cette belle passion voudront-ils inférer de là qu’elle n’est pas si bonne de sa nature, puisqu’il la faut ensevelir dans les ténèbres ; mais nous supplions très humblement de considérer que toutes les choses du monde les plus grandes sont toujours cachées de leur nature.
"La Justification de l’amour", dans Recueil des pièces en prose les plus agréables de ce temps], Paris, Sercy, 1660, t.III, p. 315-321.

(6)

Dans l'Histoire du temps ou Relation du royaume de coquetterie (1655) est proposé le titre de livre imaginaire suivant :

Le Contraste de deux coquettes sur la question de savoir s'il vaut mieux un amant discret qu'entreprenant et résolue en faveur du dernier.
(p. 58)

(7)

Abindarrays fait ici le procès des jeunes hommes galants :

L’indiscrétion et la jeunesse sont deux compagnes inséparables : bien loin de savoir cacher des faveurs, ils les publient quand ils en obtiennent : et ils en inventent, quand ils n’en obtiennent point. Ils montrent les lettres qu’ils reçoivent ; ils en supposent de fausses, quand ils n’en reçoivent pas […] ; ils se font autant de confidents qu’ils ont d’amis ; et leur félicité consiste plutôt à publier leurs bonnes fortunes qu’à les avoir.
(Almahide, Suite de la 2e partie, t. II, p. 1771-1772)

(8)

Les jeunes courtisans sont tous assez bien faits [...]
Mais ils ont peu de soin de se rendre parfaits.
Pour engager un coeur ils sont trop peu discrets
Ils déchirent toujours celle qu’ils galantisent
Sans savoir ce qu’ils font ni souvent ce qu’ils disent.

(9)

Il se rendait souvent chez cette femme
Par une porte aboutissante aux champs;
Allait, venait, sans que ceux de la ville
En sussent rien; non pas même ses gens.
Je m'en étonne ; et tout plaisir tranquille
N'est d'ordinaire un plaisir de marquis :
Plus il est su, plus il leur semble exquis.
("L'Oraison de Saint Julien")

(10)

Car ne pensez pas, comme vous avez dit, qu’il soit aveugle et conduit par un autre aveugle qui est l’amour. C’est une vieille erreur des peintres et des poètes et j’aimerais mieux dire que le bandeau qu’il avait sur les yeux lui est tombé sur la bouche, pour l’obliger au silence et à la discrétion.
(p. 70)




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